Le Sacre du Printemps par Angelin Preljocaj
Notice
En 2001, le chorégraphe Angelin Preljocaj, directeur du Ballet Preljocaj-Centre chorégraphique national d'Aix-en-Provence, met en scène Le Sacre du Printemps, sur la musique d'Igor Stravinsky. C'est le chef d'orchestre Daniel Barenboïm qui lui a suggéré cette idée. Un défi que Preljocaj relève. Il en explique les raisons à la journaliste Laurence Piquet tout en évoquant le spectacle Helikopter, chorégraphié en 2007, sur une musique de Stockhausen.
- Igor Stravinsky - Compositeur(trice)
- Karlheinz Stockhausen - Compositeur(trice)
- Carl Maria (von) Weber - Compositeur(trice)
- Serge Diaghilev - Direction artistique
- Holger Förterer - Scénographe
- Maurice Béjart - Chorégraphe
- Pina Bausch - Chorégraphe
- Mats Ek - Chorégraphe
- Angelin Preljocaj - Chorégraphe
- Michel Fokine - Chorégraphe
- Paul Taylor - Chorégraphe
- Mary Wigman - Chorégraphe
- Daniel Barenboïm - Direction musicale
- Vaslav Nijinski - Danseur(se)
Éclairage
Depuis sa création en 1913, Le Sacre du Printemps chorégraphié par Vaslav Nijinski (1889-1950), sur la partition d'Igor Stravinsky (1882-1971), a excité l'imagination de quelques deux cents chorégraphes en tous genres. C'est dire l'impact de ce spectacle au moins deux fois révolutionnaire : par sa musique somptueusement dissonante ; sa danse, tout aussi violemment inédite. Interprété par la troupe des Ballets russes, ce spectacle, véritable monstre de l'histoire de l'art, fit un scandale éclatant lors de sa création le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris. D'un côté, barrissements et ruptures rythmiques ; de l'autre, jambes en-dedans et gestes segmentés. Entre les deux, une page d'histoire d'une Russie païenne racontant le sacrifice d'une jeune vierge Elue qui danse jusqu'à ce que mort s'ensuive. Stravinsky, en complicité avec le peintre et costumier Nicolas Roerich, en avait écrit le scénario. "C'est le ballet des cagneux, assena un critique. Quant à la musique, elle dépasse en horreur tout ce qu'on peut imaginer. Une accumulation de fausses notes."
En choisissant de se confronter à un mythe aussi puissant que celui du Sacre du Printemps, Preljocaj, qui a longtemps hésité avant de se jeter à l'eau, s'inscrit dans l'histoire de la danse tout en se cognant aux nombreuses versions mises en scène par des artistes aussi différents que Mary Wigman, Maurice Béjart, Pina Bausch, Paul Taylor, Mats Ek.....
Le Sacre du Printemps, selon Preljocaj, joue la carte de la guerre des sexes au milieu de mottes de gazon. Les hommes, en chemises multicolores, chassent les femmes en mini-jupes noires. A la vie, la mort, le sexe est d'emblée présent à travers le premier geste des danseuses - elles ôtent leur petite culotte devant les garçons. Attrait et terreur, il devient la monnaie d'échange d'une relation qui connaît surtout la brutalité pour convaincre.
Cette relecture aiguisée s'inscrit dans une ligne de création chère au chorégraphe. Preljocaj appartient à la petite frange des contemporains qui osent se confronter à des pièces du répertoire. Dans ce contexte, Preljocaj a une passion pour les Ballets russes, la fameuse compagnie créée et dirigée par Serge Diaghilev (1872-1929) de 1909 à 1929. En admirateur, il apprécie la puissance inventive des spectacles que cette troupe interpréta. Il mesure aussi l'incroyable rassemblement d'artistes que sut concrétiser Diaghilev pour inventer des ballets inédits. Chorégraphes, écrivains, peintres, musiciens, il sut s'entourer du gratin des artistes avec un instinct féroce.
Cette confrontation stimule Preljocaj. En 1989, sur une proposition de Michel Caserta, directeur de la Biennale de la danse du Val-de-Marne, il se lance à l'assaut de Noces chorégraphié en 1923 par Bronislava Nijinska, sœur de Nijnski, sur la partition de Stravinsky. Sur cette cantate évoquant les rites d'un mariage rural en Russie, il met en scène sa vision des noces vécues comme un rapt tel qu'elles le sont dans la tradition albanaise qui est la sienne. Ce coup d'éclat sera suivi en 1993 de deux autres relectures : celle de Parade (1917) chorégraphié à l'origine par Léonide Massine sur une musique d'Erik Satie, et du Spectre de la rose (1911) de Michel Fokine sur la partition de Karl-Maria von Weber et interprété par Vaslav Nijinski.
Parallèlement à cette ligne "Ballets russes", Angelin Preljocaj propose en 1990 pour les danseurs du Ballet de l'Opéra de Lyon une version de Roméo et Juliette sur la partition de Prokofiev. Il fait un carton : sa version futuriste et sombre, dans des décors du dessinateur Enki Bilal, est l'un des best-sellers de la danse. Comme dans Le Sacre du Printemps dont les courses affolées prolongent celles de Noces, l'érotisme, l'héroïsme et la mort, motifs récurrents chez Preljocal, électrisent son geste. Ils apportent sens et urgence à son écriture anguleuse et fluide.