Le Sacre du Printemps par Angelin Preljocaj

10 décembre 2001
06m 12s
Réf. 00874

Notice

Résumé :

En 2001, le chorégraphe Angelin Preljocaj, directeur du Ballet Preljocaj-Centre chorégraphique national d'Aix-en-Provence, met en scène Le Sacre du Printemps, sur la musique d'Igor Stravinsky. C'est le chef d'orchestre Daniel Barenboïm qui lui a suggéré cette idée. Un défi que Preljocaj relève. Il en explique les raisons à la journaliste Laurence Piquet tout en évoquant le spectacle Helikopter, chorégraphié en 2007, sur une musique de Stockhausen.

Date de diffusion :
10 décembre 2001
Source :

Éclairage

Depuis sa création en 1913, Le Sacre du Printemps chorégraphié par Vaslav Nijinski (1889-1950), sur la partition d'Igor Stravinsky (1882-1971), a excité l'imagination de quelques deux cents chorégraphes en tous genres. C'est dire l'impact de ce spectacle au moins deux fois révolutionnaire : par sa musique somptueusement dissonante ; sa danse, tout aussi violemment inédite. Interprété par la troupe des Ballets russes, ce spectacle, véritable monstre de l'histoire de l'art, fit un scandale éclatant lors de sa création le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris. D'un côté, barrissements et ruptures rythmiques ; de l'autre, jambes en-dedans et gestes segmentés. Entre les deux, une page d'histoire d'une Russie païenne racontant le sacrifice d'une jeune vierge Elue qui danse jusqu'à ce que mort s'ensuive. Stravinsky, en complicité avec le peintre et costumier Nicolas Roerich, en avait écrit le scénario. "C'est le ballet des cagneux, assena un critique. Quant à la musique, elle dépasse en horreur tout ce qu'on peut imaginer. Une accumulation de fausses notes."

En choisissant de se confronter à un mythe aussi puissant que celui du Sacre du Printemps, Preljocaj, qui a longtemps hésité avant de se jeter à l'eau, s'inscrit dans l'histoire de la danse tout en se cognant aux nombreuses versions mises en scène par des artistes aussi différents que Mary Wigman, Maurice Béjart, Pina Bausch, Paul Taylor, Mats Ek.....

Le Sacre du Printemps, selon Preljocaj, joue la carte de la guerre des sexes au milieu de mottes de gazon. Les hommes, en chemises multicolores, chassent les femmes en mini-jupes noires. A la vie, la mort, le sexe est d'emblée présent à travers le premier geste des danseuses - elles ôtent leur petite culotte devant les garçons. Attrait et terreur, il devient la monnaie d'échange d'une relation qui connaît surtout la brutalité pour convaincre.

Cette relecture aiguisée s'inscrit dans une ligne de création chère au chorégraphe. Preljocaj appartient à la petite frange des contemporains qui osent se confronter à des pièces du répertoire. Dans ce contexte, Preljocaj a une passion pour les Ballets russes, la fameuse compagnie créée et dirigée par Serge Diaghilev (1872-1929) de 1909 à 1929. En admirateur, il apprécie la puissance inventive des spectacles que cette troupe interpréta. Il mesure aussi l'incroyable rassemblement d'artistes que sut concrétiser Diaghilev pour inventer des ballets inédits. Chorégraphes, écrivains, peintres, musiciens, il sut s'entourer du gratin des artistes avec un instinct féroce.

Cette confrontation stimule Preljocaj. En 1989, sur une proposition de Michel Caserta, directeur de la Biennale de la danse du Val-de-Marne, il se lance à l'assaut de Noces chorégraphié en 1923 par Bronislava Nijinska, sœur de Nijnski, sur la partition de Stravinsky. Sur cette cantate évoquant les rites d'un mariage rural en Russie, il met en scène sa vision des noces vécues comme un rapt tel qu'elles le sont dans la tradition albanaise qui est la sienne. Ce coup d'éclat sera suivi en 1993 de deux autres relectures : celle de Parade (1917) chorégraphié à l'origine par Léonide Massine sur une musique d'Erik Satie, et du Spectre de la rose (1911) de Michel Fokine sur la partition de Karl-Maria von Weber et interprété par Vaslav Nijinski.

Parallèlement à cette ligne "Ballets russes", Angelin Preljocaj propose en 1990 pour les danseurs du Ballet de l'Opéra de Lyon une version de Roméo et Juliette sur la partition de Prokofiev. Il fait un carton : sa version futuriste et sombre, dans des décors du dessinateur Enki Bilal, est l'un des best-sellers de la danse. Comme dans Le Sacre du Printemps dont les courses affolées prolongent celles de Noces, l'érotisme, l'héroïsme et la mort, motifs récurrents chez Preljocal, électrisent son geste. Ils apportent sens et urgence à son écriture anguleuse et fluide.

Rosita Boisseau

Transcription

Présentatrice
À Paris, deux ballets contemporains à découvrir au Théâtre de la Ville à partir de demain. Deux créations signées du chorégraphe Angelin Preljocaj que nous avons le plaisir d’accueillir ce soir. Bonsoir, vous présentez pour la première fois dans la capitale votre version du Sacre du Printemps , une partition de Stravinsky qui a donné lieu déjà à une cinquantaine de chorégraphies, Pina Bausch, Nijinski. Qu’est-ce qui vous a poussé, vous, à entrer dans cette musique ?
Angelin Preljocaj
Au départ, j’y étais pas du tout enclin, parce que comme vous avez dit, il y a 50 versions, et puis là-dedans, il y a 7 ou 8 chefs d’œuvres. Et je me disais, mais pourquoi en fait, porter une pierre supplémentaire à cet édifice qui est déjà bien assez important.
Présentatrice
Alors, le détonateur, Angelin ?
Angelin Preljocaj
Alors, le détonateur c’est Daniel Barenboïm qui me contacte et qui me convainc qu’il y a encore quelque chose à faire sur cette œuvre magnifique. Qu’elle est encore actuelle, qu’elle est encore porteuse d’une émotion et d’une thématique tout à fait encore en prise avec notre époque. Et puis, c’est la rencontre avec lui-même, avec Daniel Barenboïm qui m’a incité à accepter cette proposition parce que c’est un des plus grands chefs actuels. Et je me disais même, au moins si je le rate, j’aurai le plaisir de travailler avec lui, quoi.
Présentatrice
Alors, l’histoire au départ de cette partition, c’est l’histoire d’une jeune vierge qui est sacrifiée dans un rituel dédié au printemps. Vous, vous avez complètement inversé les choses ?
Angelin Preljocaj
Oui, j’ai suivi quand même la thématique concernant l’élue, et cetera, mais j’ai plutôt eu le désir d’en faire une femme qui, à travers ce rituel assez barbare finalement, qui finalement réussit à s’en sortir et à affirmer sa féminité sous un angle nouveau.
Présentatrice
Alors, là sur le plateau, on assiste à la générale de ce soir. Il y a quoi, il y a 6 jeunes danseuses, 6 jeunes danseurs. A quel moment sommes-nous là, Angelin ?
Angelin Preljocaj
On est au début, c’est les premières rencontres entre les hommes et les femmes. Ça se cherche un peu, il y a une sorte de violence et d’échappement. Des danseuses qui cherchent un peu à s’éloigner de l’étreinte un peu pressante des hommes, et voilà.
Présentatrice
Mais les femmes, chez vous, elles ne sont pas passives, elles sont plutôt des guerrières, des battantes ?
Angelin Preljocaj
Oui, dans cette partie qu’on voit, elles se débattent un peu comme un peu comme elles peuvent de ces étreintes, mais par la suite elles prennent de plus en plus de force. Et elles profitent de ce rituel pour, finalement, s’affirmer de plus en plus. Et celle qui est élue dans cet acte un peu fondateur de l’énergie sexuelle du groupe, finit par reprendre le dessus et affirmer sa féminité sous un nouveau jour.
Présentatrice
Alors, dans une autre création que certains ont pu découvrir à Avignon notamment cet été, et puis l’année dernière, je crois que c’était à Créteil, Helikopter sur une musique de Stockhausen. Parlez-nous de ce vrombissement, de cette espèce d’hélicoptère qui est là sur scène. Comment vous vous êtes marié avec cette musique ?
Angelin Preljocaj
Mais là c’est vraiment une expérience que je voulais offrir aux danseurs, mais en même temps au public ; parce que c’est vraiment quelque chose d’assez exceptionnel de se confronter à ces turbines d’hélicoptères, à ces violons qui se mélangent dans un concept très techno-organique. Et donc l’idée, c’était de voir comment la danse pouvait trouver son chemin à travers ces turbulences incroyables, sonores.
Présentatrice
Alors, regardez bien le jeu de la vidéo, on écoute en même temps la musique, on regarde les danseurs, et on en parle dans quelques secondes, Angelin.
(Musique)
Présentatrice
Alors, votre chorégraphie épouse, elle aussi, le travail d’un vidéaste. Comment ça s’est passé ?
Angelin Preljocaj
Alors c’est-à-dire c’est Holger Förterer, qui est un vidéaste plasticien, qui a créé ce projet interactif entre la projection qui est sur le sol et les danseurs. C’est-à-dire que si on projette une flaque d’eau en fait, si les danseurs rentrent en courant, ils font des gerbes d’eau, ils…. Vraiment comme en réel quoi, alors que c’est totalement virtuel et donc la déformation se fait immédiatement en même temps que le processus informatique.
Présentatrice
Comment qualifier votre travail, Angelin Preljocaj, pour les gens qui ne vous connaissent pas bien ; parce que dans le microcosme de la danse évidemment, vous êtes très connu. Vous avez travaillé aussi bien à New York, dans plein d’endroits différents. Vous êtes très demandé, vous travaillez beaucoup avec l’Opéra de Paris. Qu’est-ce qui qualifie votre travail, est-ce qu’il y a des mots pour ça ?
Angelin Preljocaj
Ben je ne sais pas. Je crois que je suis quand même resté assez fidèle au mouvement et à la danse. Donc, je suis un chorégraphe qui aime la danse. Alors je sais, ça peut paraître bizarre comme ça mais c’est vrai. Je crois que c’est peut-être un de mes derniers combats, c’est de continuer à danser quoi, en fait.
Présentatrice
Vous êtes un enfant de Champigny-sur-Marne, vous êtes arrivé, vos parents avaient fui l’Albanie. Qu’est-ce qui reste de l’Albanie dans vos racines ?
Angelin Preljocaj
Et bien, je crois qu’il y a toute une partie instinctive dans mon travail qui se confronte régulièrement à un côté peut-être cartésien, qui me vient de mon éducation que j’ai acquise en France, en fait. Où il y a dans mon travail chorégraphique, il y a toute une structuration qui est liée à ça, à cette culture française, à un esprit assez mathématique. Et puis il y a quelque chose d'un peu plus étrange qui me vient peut-être de mes montagnes albanaises d’où viennent mes parents. Qui est quelque chose de plus ancestral, de beaucoup plus instinctif et qui se retrouve peut-être dans mon travail. C’est peut-être ce mélange qui….
Présentatrice
En tout cas, on va vous découvrir au Théâtre de la Ville à partir de demain jusqu’au 22 décembre. Est-ce que vous aimez le cirque ?
Angelin Preljocaj
Ah oui, bien sûr !
Présentatrice
Et bien, ça m’arrange, voici un autre cadeau de Noël, nous partons à Bercy pour nous émerveiller devant le cirque de Moscou. Des numéros d’une qualité exceptionnelle, avec des animaux d’une prouesse incroyable, regardez.