Robert Habay, ancien sidérurgiste et archéologue

Il est des personnes comme Robert Habay qui ne se satisfont pas de leur vie professionnelle. Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier est rempli de ses hommes qui développent une passion ainsi qu’une véritable expertise dans des domaines étrangers à l’industrie. Marcel Donati est un exemple parmi tant d’autres. Lamineur, poète, acteur. Michel Olmi, soudeur à Usinor, militant rétrogradé manœuvre et photographe primé. Adrien Printz historien de la vallée usinière de la Fensch ou encore René Boudot, militant chrétien, cheminot puis magasinier dans une usine sidérurgique à Longwy, spécialiste du marxisme. Est-ce une échappatoire à un destin tout tracé, « du berceau à la tombe » ? La mine ou l’usine nourrissent mais elles enferment. 

C’est bien ce sentiment d’enfermement qui pousse Robert Habay, employé à l’ARBED (Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange) comme chargeur à échapper au gueulard empoisonné des hauts-fourneaux.

Échapper au quotidien du travail… qui d’autre l’a mieux raconté que Thierry Metz dans Le journal d’un manœuvre ?  Du bruit, toute la journée. On ne sait pas ce qui se passe. Quelqu’un fait des gestes : Il gagne son pain c’est tout

Et plus proche de nous, Joseph Ponthus. Prématurément disparu. Dans son unique ouvrage explosif A la ligne, le brillant étudiant en littérature devenu ouvrier intérimaire dans les usines agroalimentaires de Bretagne raconte son quotidien et la nécessité de sortir de l’état d’abrutissement engendré par le travail à la chaîne et les cadences infernales : Au fil des heures et des jours le besoin d’écrire s’incruste tenace comme une arête dans la gorge

A chacun sa bouffée d’oxygène. Robert Habay est l’un des découvreurs de la nécropole mérovingienne sur le site du bois de Butte à proximité d’Audun-le-Tiche. Elle regroupe plus de 200 tombes du V^e au VII^e siècle. Les premières découvertes ont été faites dans les années 1880 mais c’est en 1952 que Robert Habay entreprend une fouille systématique sous l’œil désapprobateur de la Direction régionale des Affaires culturelles. En effet, Le sidérurgiste n’est pas archéologue de profession ce qui est très mal vu de l’institution. Cette attitude trahit une forme de suspicion souvent observée lorsque des ouvriers s’emparent d’activités culturelles supposées réservées de droit à une élite diplômée.

Pour paraphraser Alexandre Marius Jacob, anarchiste-cambrioleur se définissant comme « travailleur de la nuit » : la légitimité ne se quémande pas, elle se prend. Robert Habay fonde la Société audunoise d’histoire locale et d’archéologie, Il en sera le président et vice-président pendant 41 ans. Il n’a eu de cesse de se battre pour la préservation et la valorisation de ce patrimoine. 

Ce qui émeut dans les parcours originaux de personnes comme Robert Habay, c’est d’être témoin d’une émancipation à l’œuvre. Échapper au quotidien réglé des « trois-huit » de l’usine, à la prise en charge totale de sa vie par la société des forges ou de la mine locale. Combien d’hommes ont ainsi développé des talents en dehors de l’usine ? Des talents qui se voyaient aussi dans leur travail quotidien. Ainsi, j’avais un grand-oncle prénommé Hyacinthe, un colosse, ajusteur au service entretien des hauts-fourneaux de la Providence à Réhon. Lorsqu’il fallait remplacer une conduite ou une pièce défectueuse, il ne prenait jamais de mesures. Tout à l’œil. Il revenait à l’atelier, traçait les tôles, pliait, soudait et ça tombait pile sous les yeux éberlués de ses collègues. Rentré à la maison il se consacrait dans sa cave à la reproduction de l’usine à l’échelle. Hyacinthe était un ogre. Peut-être était-ce sa façon à lui de digérer l’usine, la grande dévoreuse d’hommes.

Ainsi, ces vies d’ouvriers ont un point commun, sont aussi des histoires de résistance. Les années de travail bénévole, d’obstination de Robert Habay et des membres de la Société Audunoise d’Histoire Locale et d’Archéologie ont vu leur aboutissement en 2020 avec l’aménagement de l’ancien temple protestant d’Audun-le-Tiche en musée et centre d’interprétation d’histoire locale.

• Société Audunoise d'Histoire Locale et d'Archéologie, [en ligne], https://www.sahla.fr, page consultée le 27 octobre 2021.
• Philippe Neu, « Audun-le-Tiche : le musée archéologique prépare son ouverture », Le Républicain Lorrain, 29 juin 2021, [en ligne], https://www.republicain-lorrain.fr/culture-loisirs/2021/06/29/audun-le-tiche-le-musee-archeologique-prepare-son-ouverture, page consultée le 27 octobre 2021. 
• Le Maitron, [en ligne], https://maitron.fr/, page consultée le 27 octobre 2021.
• Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, L’Arpenteur éditions, 1990.
• Joseph Ponthus, A la ligne, Feuillets d’usine, folio, 2020.
• Jacques Colombat, Alexandre Marius Jacob, le forçat intraitable, Riveneuve éditions, 2012.
• Adrien Printz, La vallée usinière, Imprimerie Marchal,1985.