Manifestation des sidérurgistes à Longwy
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Résumé
A l'appel de la CGT, des milliers de personnes défilent à Longwy pour défendre les emplois et manifester contre le démantèlement de la sidérurgie dans le bassin. Explications, avec l'interview d'une manifestante, épouse de sidérurgiste, et l'intervention à la tribune d'Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT.
Date de publication du document :
Février 2022
Date de diffusion :
16 mars 1984
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Contexte historique
ParDoctorant en Histoire, Crulh, Université de Lorraine
La manifestation du 16 mars 1984 à Longwy a lieu alors que le gouvernement s’apprête à annoncer dans les semaines qui suivent un nouveau plan de restructuration massif de la sidérurgie française. Les Lorrains sentent bien qu’une fois de plus leur région ne sera pas épargnée par les fermetures d’usines et les suppressions d’emplois. Le déplacement en personne du secrétaire général de la CGT, Henri Krasucki, atteste de l’attente teintée de pessimisme dans laquelle se trouve plongée la population locale. En effet, au cours de la décennie de crise que vient de connaître l’industrie sidérurgique française (et européenne), la région Lorraine toute entière et le bassin de Longwy en particulier se sont retrouvés en première ligne.
Cette crise possède des origines multiples, au premier rang desquelles une baisse de la demande d’acier au profit de nouveaux matériaux entraînant une crise de surproduction. Une nouvelle répartition mondiale des espaces d’extractions et de productions favorisant l’émergence de nouveaux concurrents, a des conséquences douloureuses : la désindustrialisation de nombreux territoires industriels et ses effets économiques, sociaux et politiques sur la population. Le bassin de Longwy, dont l’activité économique et la vie sociale sont liées à la sidérurgie depuis près d’un siècle, est un exemple typique de ces bassins mono-industriels qui connaissent une reconversion économique et une diversification des activités difficiles.
Déjà en 1979, la population locale s’est plongée dans une longue et intense bataille contre la suppression de 6 500 emplois dans le bassin, annoncée par les deux grands groupes sidérurgiques Usinor et Sacilor. La lutte, longue de près de sept mois, menée par le mouvement ouvrier local et appuyée par la population longovicienne n’a pas mis un coup d’arrêt aux restructurations mais a permis la mise en place par l’état d’une Convention générale de protection sociale assurant un accompagnement social conséquent aux ouvriers touchés par les suppressions d’emplois.
L’élection de François Mitterrand à la présidence de la république en 1981 suscite beaucoup d’attentes au sein de la population du bassin de Longwy. De nombreux ouvriers espèrent alors voir les fermetures d’usines enrayées par l’arrivée de la gauche au pouvoir. Pour son premier voyage présidentiel en province, François Mitterrand se rend d’ailleurs à Longwy, où il prononce un discours en faveur de l’emploi et du redressement de l’industrie sidérurgique. Poursuivant son objectif de redynamisation et de modernisation de la sidérurgie, le gouvernement décide de nationaliser ce secteur industriel dès 1981. En réalité, il ne fait là qu’entériner un processus progressif qui se met en place dès le début de la crise lorsque l’État commence à prendre en charge l’endettement colossal des groupes sidérurgiques nationaux. Mais au tournant des années 1983-1984, le gouvernement est obligé de revoir ses objectifs de redressement industriel à la baisse devant la dégradation mondiale du marché de l’acier et des plans de restructuration de l’industrie voient à nouveau le jour.
C’est dans ce contexte que les Lorrains et plus particulièrement les « Longwy » se mobilisent à nouveau à partir de mars 1984. Cette mobilisation, initiée par une CGT encore bien implantée dans les usines de la vallée mais qui n’arrive plus à entraîner l’unité syndicale derrière elle, se fait contre les suppressions d’emploi à venir mais aussi contre les effets déjà bien présents du processus de désindustrialisation tel que le chômage, qui touche particulièrement les jeunes de la région, comme en témoigne cette femme de sidérurgiste dans le reportage. Dans son discours, Henri Krasucki dénonce la modernisation de la sidérurgie avancée par le gouvernement qui, selon lui, ne sert que de prétexte à la fermeture des usines. La position de la CGT est la même qu’en 1979, elle préconise le maintien et l’amélioration des sites sidérurgiques français et s’oppose aux suppressions d’emplois. Mais l’image du syndicat souffre de sa proximité avec le gouvernement de gauche qui, malgré ses promesses ne peut enrayer le cycle de restructuration de la sidérurgie (la CGT a appelé à voter pour François Mitterrand). Le syndicat est également impacté par l’étiolement des communautés ouvrières qui se met progressivement en place à cette période, conséquence directe de la désindustrialisation. Les craintes de la population longovicienne quant à l’avenir de l’activité sidérurgique dans le bassin sont confirmées par l’annonce, quelques jours après la manifestation, de la suppression de 8 500 emplois dans la région Lorraine et la mise à l’arrêt du « train à feuillard » de Réhon.
Le reportage s’achève sur une vue du crassier qui domine Longwy, symbole par excellence de l’activité industrielle de la vallée. Celui-ci sera détruit dans les années qui suivent ainsi que la plupart des infrastructures sidérurgiques du bassin. Aujourd’hui ne subsistent que quelques traces éparses de cette histoire économique et sociale qui a tant marqué la région. La reconversion industrielle du territoire n’a pas rempli les espoirs escomptés, les entreprises ne s’installant que provisoirement dans les zones d’activités dédiées, et l’activité salariale s’est progressivement déplacée vers le Luxembourg voisin. Le nombre d’habitants à Longwy a diminué et la ville souffre encore aujourd’hui des multiples conséquences de la désindustrialisation.
Bibliographie
- Pascal Raggi, La désindustrialisation de la Lorraine du fer, Paris, Classiques Garnier, 2019.
Transcription
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Jacques Paté
Mais le premier titre à la une de notre édition, c’est la marche de la Lorraine sur Longwy.Plus de 5 000 personnes ont voulu défendre, à l’appel de la CGT, l’emploi en Lorraine.Cette marche était conduite par Monsieur Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT, qui répondra en direct de notre studio de Metz aux questions de Gérard Emica à 19h38.Mais dans l’immédiat, le détail de cette journée dont l’un des thèmes principaux était la défense de l’acier lorrain, à l’heure où le gouvernement s’apprête à faire connaître son plan.
(Silence)
Gérard Emica
Longwy, ville morte en 1979, Longwy en fête en 1984.Un raccourci paradoxal qui illustre pourtant ici une même volonté :demeurer la capitale de la sidérurgie lorraine.Un même refus aussi, celui d’un nouveau plan acier qui se traduirait par 4 à 5 000 suppressions d’emplois supplémentaires.Cette mobilisation des Longwy comme on les appelle ici, concrétise aussi la désunion syndicale.Seule la CGT Lorraine appelait à manifester.Aux quatre coins de rendez-vous, mineurs de fer, sidérurgistes mais aussi ouvrières du textile, ou tout simplement femmes de sidérurgistes, solidarité oblige, ont répondu présent.
Manifestante
Là, nous sommes des femmes, des mères de famille avec nos enfants à la maison, chômeurs.Alors vous savez, quand ces femmes ont le problème, alors on est toujours présent pour la défense de l’emploi.Quel que soit le syndicat, on est toujours présent.
Gérard Emica
Les quatre cortèges ont convergé cet après-midi vers un hôtel de ville paré des couleurs de la Lorraine.Peu de slogans mais beaucoup de banderoles reprenaient les thèmes des campagnes de la CGT sur la reconquête du marché intérieur, sur le refus des fermetures d’usine, sur le refus du déclin de la sidérurgie qu’Henri Krasucki devait développer dans son discours devant 5 à 6 000 manifestants.
(Silence)
Henri Krasucki
On nous parle de filière électrique.Le mot électrique sonne moderne, le moderne est à la mode, mais en réalité, de cette filière électrique ne sort que des aciers les plus ordinaires, le bas de gamme en quelque sorte de la production.Nous ne dédaignons aucune production.On a besoin de ronds à béton.On en a besoin même davantage encore parce que l’industrie de la construction est une grande consommatrice de produits sidérurgiques.Mais c’est tout ce qu’on peut y faire.Et ainsi, au nom de ce prétendu modernisme, on abandonnerait les mines de fer, l’agglomération, les hauts-fourneaux, l’aciérie, bref les usines, toute activité.
Gérard Emica
Henri Krasucki devait aussi rappeler les batailles passées, celles de 1979, les promesses du président de la République ici même en octobre 81.Manifestement, le leader de la CGT a voulu remobiliser aujourd’hui des troupes passablement éprouvées par l’incertitude qui plane toujours sur la sidérurgie.
(Silence)
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