Umberto Eco, Le Nom de la rose

22 novembre 1982
02m 58s
Réf. 00121

Notice

Résumé :

Entretien avec l'écrivain italien Umberto Eco, prix Médicis étranger pour son roman Le Nom de la rose . Le célèbre sémiologue explique pourquoi il a choisi de situer son roman au début du XIVe siècle, une époque de transition où on commence à interpréter les signes naturels de façon "moderne".

Type de média :
Date de diffusion :
22 novembre 1982
Source :
A2 (Collection: JA2 Dernière )
Thèmes :

Éclairage

Une formidable érudition conjuguée à un extraordinaire talent de vulgarisation, telles sont les clefs du succès mondial d'Umberto Eco (né en 1932).

Diplômé de philosophie, universitaire spécialiste de scolastique et d'esthétique médiévales, pionnier de la recherche en sémiologie (La Structure absente en 1968 ou Lector in fabula en 1979), il est aussi à ses débuts journaliste de presse écrite, et surtout de télévision à la RAI. Il y apprend les mécanismes de la communication de masse, et est amené à s'intéresser à différentes manifestations de la culture populaire (De Superman au surhomme en 1976), et notamment aux genres littéraires dits mineurs comme le roman policier et le feuilleton.

En 1980, son premier roman, Le Nom de la rose, connaît un succès international immédiat, qui s'explique entre autre par la virtuosité avec laquelle Eco adapte aux structures narratives du genre policier historique ses connaissances de la pensée de l'Europe médiévale et ses propres théories sémiologiques. Suivront Le Pendule de Foucault (1988), L'Ile du jour d'avant (1994), Baudolino (2000) et La Mystérieuse flamme de la reine Loana (2004). Essayiste, linguiste, sémiologue, professeur à Bologne, Yale ou encore au Collège de France, journaliste et romancier, Eco est aussi membre du Collège de Pataphysique, vers lequel devait nécessairement le conduire son infatigable quête du sens.

Aurélia Caton

Transcription

Hervé Claude
Enfin, le prix Médicis étranger a été décerné à l'italien Umberto Eco pour Le Nom de la rose. C'est le premier roman de ce très grand écrivain italien, donc, qui a 50 ans et qui était surtout connu pour ses ouvrages théoriques de sémiologie et de science de signes. Le Nom de la rose, c'est son premier roman, donc, qu'il a situé au XIVe siècle, et il explique pourquoi à Monique Atlan qui l'a interrogé tout à l'heure.
Umberto Eco
Le Moyen-Age était une époque affolée par la signification, plus que nous, même si nous avons la télévision et le téléphone. Chaque événement de la réalité, de la nature était lu comme un signe. Il y avait une situation hallucinatoire. Dans l'époque où je raconte, cette attitude envers les signes était en train de se laïciser. Comme mon personnage fait, on commençait à interpréter les signes d'une façon, laissez-moi dire moderne, les signes naturels. On n'était plus dans l'état d'âme symbolique, mais il y a les autres personnages qui sont encore dans cet état d'âme. Donc je me trouvais, en choisissant le début du XIVe siècle, dans une situation assez intéressante sur le clivage entre deux univers et deux façons de lire le monde. Mais on lit toujours le monde, même aujourd'hui, comme un livre.
Monique Atlan
Est-il aisé de passer de l'écriture d'essayiste à celle de romancier ?
Umberto Eco
Bon, avant de commencer le roman, je ne croyais pas être capable d'écrire un roman. Ce n'est pas encore dit, d'ailleurs. Mais j'ai l'impression que tous mes essais théoriques sont écrits comme un roman, c'est-à-dire avec le goût de mettre en public les phases de la recherche. Et donc, probablement, le jour que j'avais écrit un roman, je devais faire un roman avec une structure policière parce que je crois que toute recherche a une structure policière, même un livre de philosophie ou un livre d'histoire.
Monique Atlan
Et pensez-vous que cette expérience romanesque puisse renouveler votre approche des questions théoriques ?
Umberto Eco
Ça, je ne le sais pas exactement. En tant que théoricien de questions de communication littéraire, j'avais écrit beaucoup sur la narrativité avant, mais je dois dire que l'expérience directe m'a donné des idées. Enfin, il faut toujours faire des expériences pour comprendre mieux quelque chose. Des idées qui ne sont pas tellement différentes des idées précédentes mais elles m'ont éclairci certaines choses. Par exemple, le fait qu'un roman n'est pas, avant tout, un fait d'écriture verbale mais c'est un fait de construction de monde. Et après avoir écrit mon roman, j'étais poussé à lire les romans des autres pour voir comment, avant tout, il y avait, là, la construction d'un monde d'où le choix linguistique découlait.