Miloš Forman

23 avril 1966
07m 21s
Réf. 00037

Notice

Résumé :

De passage à Paris, Henry Chapier rencontre Miloš Forman dans une salle de cinéma du Quartier Latin. Suite à un bref portrait du cinéaste qui est alors au début de sa carrière, Forman explique comment il a débuté au cinéma, les raisons pour lesquelles il a choisi des acteurs amateurs dans L'As de pique et Les Amours d'une blonde. Il évoque ses cinéastes préférés, sa relation au cinéma néoréaliste italien et l'utilisation de la musique dans ses films.

Type de média :
Date de diffusion :
23 avril 1966
Source :
ORTF (Collection: Cinema )
Thèmes :

Éclairage

Le cinéaste tchécoslovaque Miloš Forman est âgé de 34 ans en 1966, lorsque suite à la sortie dans son pays de L'As de pique (1963) et des Amours d'une blonde (1965) il apparaît comme le chef de file d'une "Nouvelle Vague" locale, à laquelle participent d'autres réalisateurs comme Vera Chytilová ou Jaromil Jireš : liberté de ton, humour et goût du réalisme satirique - évoquant une forme de "cinéma-vérité" - rappellent chez l'ancien élève de l'école de cinéma de Prague les premières fictions de Godard, Chabrol ou Rivette. Les films de Forman, écrits en collaboration avec Ivan Passer, décrivent alors les conflits de génération et combattent à leur manière le conformisme ambiant.

Précurseur de l'esprit du Printemps de Prague, Forman tournera un dernier film dans son pays, le symbolique Au feu, les pompiers ! en 1967, avant d'être obligé à l'exil en 1968. Il poursuit depuis une remarquable carrière aux Etats-Unis, dont il deviendra ressortissant en 1977. A son actif, des oeuvres aussi marquantes que Vol au-dessus d'un nid de coucou (1975), Hair (1979), Amadeus (1984) et Man on the Moon (1999).

Thierry Méranger

Transcription

(Silence)
Henry Chapier
Milos Forman, jeune cinéaste tchèque, est venu pour 24 heures à Paris. Il était logique d'aller le trouver au quartier latin. Avant d'y rencontrer son public, il y a découvert une atmosphère familière, celle de ses films, celle de son adolescence, celle des rêves de jeunesse qu'on fait à Prague, à Paris ou ailleurs, quand on a 20 ans. L'As de pique, Les Amours d'une blonde, 2 titres de films qui ne disaient rien aux Français il y a seulement 6 mois. Ils n'ont presque pas quitté l'affiche depuis, on découvre avec surprise un jeune cinéma tchèque qui ressemble étrangement au nôtre.
(Silence)
Henry Chapier
Milos Forman, comment êtes vous venu au cinéma ?
Milos Forman
Alors j'ai, j'ai commencé penser à la cinéma quand j'étais 13-14-15 ans, et j'ai voulu, dans ce temps, toujours épouser les protagonistes féminines que j'ai vues à l'écran. Comme Rita Hayworth, Michèle Morgan, Danielle Darrieux, et j'ai pensé que c'est la solution, comment les épouser, comment réussir, c'est d'être acteur. Alors j'ai commencé jouer comme acteur, mais après quelques ans, j'ai compris qu'il faut être le metteur en scène.
Henry Chapier
Est-ce que vous avez réussi à épouser une star ?
Milos Forman
Non, non, j'ai épousé toujours les jeunes filles très normales, je faisais ses premières films toujours, elles ont devenu des stars dans mon pays, elles m'ont quitté, avec les acteurs naturellement.
Henry Chapier
Dans vos films, on a l'impression que vous utilisez surtout des acteurs non professionnels ? Les 2 jeunes, celui de L'As de pique, le garçon qui est le héros de L'As de pique, et la jeune fille des Amours d'une blonde, ne me semblent pas être des acteurs très connus, n'est-ce pas ? Est-ce que je me trompe ?
Milos Forman
Oui, ce sont des acteurs non professionnels comme on dit. C'est, mais les autres aussi les, mais c'est difficile de trouver un acteur professionnel, dans 15 ans, de l'âge 15 ans, oui, mais les autres, les adultes sont aussi des acteurs non professionnels. C'est pourquoi, c'est parce que, quand vous faites vos premiers films, j'ai eu beaucoup de peur, de peur des acteurs professionnels. Parce que vous voulez avoir les bons acteurs, mais qui sont les bons acteurs ? Ils vous ont fait déjà, 10, 20, 50 films, et ils, ils ont peur de vous, parce que, ils ne savent rien de vous.
Henry Chapier
Vous ferez, vous faites vos premiers films et ils ont peur que vous allez le détruire, et ils vont vous diriger... Ils ne vous font pas confiance...
Milos Forman
Parce que j'ai essayé, quand j'ai préparé le film, j'ai fait les essais avec les acteurs professionnels, et j'ai senti qu'ils ne m'ont pas cru. Qu'ils vont me diriger, qu'ils vont faire les choses qu'ils croient qu'ils ne croient pas, alors c'était pas possible. Alors c'est la raison pourquoi j'ai choisi les acteurs non professionnels, mais finalement, j'ai trouvé des acteurs non professionnels d'un certain point de vue, beaucoup plus intéressants que les acteurs professionnels. Parce que ils sont réels.
Henry Chapier
En somme, dans vos deux films, ce que nous avons pu voir en France, vous traitez de problèmes d'adolescence. Est-ce que vos films relatent des souvenirs de cette période là ou est-ce que le conflit des générations vous intéresse comme problème, en tant que problème ?
Milos Forman
Alors j'aime, c'est un âge formidable l'adolescence, c'est un âge dans lequel la, la..., c'est terrible le mot en français, distance, la différence, la différence entre les expériences et les idéals, cette différence est la plus passionnant, la plus touchant dans cet âge. Or si les relations entre les générations sont, je pense que c'est la crise un peu dans les relations entre les fils et ses pères, aujourd'hui. Que si les relations sont mieux alors, nous, les adultes, je pense un peu coupable que le monde en général, c'est pas encore mieux qu'il est.
Henry Chapier
Dites moi, Milos Forman, quels sont les cinéastes que vous préférez ? Commençons par les cinéastes modernes si vous voulez ?
Milos Forman
Français ?
Henry Chapier
Non, Français, Italiens, Russes, ce que vous voulez. J'aimerais savoir un peu quels sont les cinéastes que vous préférez ou que vous aimez même, sans les préférer tellement aux autres.
Milos Forman
Alors j'aime beaucoup des metteurs en scène, mais je préfère par exemple, Jean Vigo, j'adore, c'est un génie moderne je trouve. J'aime beaucoup Renoir, des nouvelles vagues français j'aime, pas tous mais, j'aime Truffaut et Godard, et j'aime bien les cinéastes anglais.
Henry Chapier
Certains ont trouvé que vos films relevaient un peu du néoréalisme italien à cause de cette partie documentaire. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette définition du néoréalisme ?
Milos Forman
Alors moi, moi, j'aimais beaucoup les films de néoréalisme italien, il y a là bas les manières de films documentaires là bas, mais moi je pense que les films de néoréalisme, ce sont les films un peu à la thèse, et moi je préfère les films à la coeur.
Henry Chapier
Il y a dans votre film quelque chose de très original, c'est que la bande sonore, enfin la musique, provoque le plan. La plupart du temps, la musique accompagne un plan, soit elle est inutile, eh bien, chez vous elle précède vraiment le plan, et donne la tonalité.
Milos Forman
Oui, moi j'aime bien utiliser pour le film la musique qui était déjà composée. Je n'aime pas beaucoup la musique qui est composée spécialement pour film, et ce sont des raisons, si j'ai la musique déjà avant le tournage, je peux me laisser provoquer de ce musique, je peux l'écouter chaque jour. Et la deuxième raison c'est, ils sont très laids, ce sont les enfants terribles les compositeurs, ils composent en plupart les meilleures choses sans raison. Si vous voulez spécialement composer quelque chose très bon, jamais. Vous me comprenez ?