André Halimi
Voilà, le festival prend fin, et il prend fin aussi pour les critiques qui sont ici, actuellement.
Il y a Robert Chazal de France Soir, Jean-Louis Bory du Nouvel Observateur, François Morin de L'Humanité, Jean de Baroncelli pour Le Monde et Henry Chapier pour Combat.
Alors, est-ce que ce festival a été, pour vous, un bagne ou un paradis ?
Robert Chazal ?
Robert Chazal
Ce n'est jamais un bagne.
Sans ça, on n'y viendrait pas.
Rien ne nous oblige à venir, finalement.
André Halimi
Il y a des gens masos, paraît-il.
Robert Chazal
Non, on avait vu tous les films à Paris alors on aurait très bien pu ne pas venir à Cannes.
Mais Cannes, ce n'est pas désagréable.
Et puis, quand même, on a vu des grandes choses.
On a vu un film espagnol qui restera dans nos mémoires.
Jean-Louis Bory
Comme le prototype du film qu'il ne fait pas faire ni voir, non ?
Robert Chazal
C'est ça.
André Halimi
François Morin, ce festival, pour vous ?
François Morin
Précisément, je ne suis du tout de l'avis de Chazal.
Je pense que ce film espagnol est le plus grand film du festival.
Jean (de) Baroncelli
Vous ne parlez pas du même, sans doute.
Jean-Louis Bory
Vous ne parlez pas du même.
Jean (de) Baroncelli
Il y a eu deux films espagnols, à Cannes.
Il y en a eu un, effectivement, qui était très beau, et l'autre sur lequel je partage entièrement l'avis de Chazal.
Maintenant, si on disait une chose, c'est que ce festival, quel que soit le palmarès, quel que soit, demain, le film couronné restera le festival de "Cris et Chuchotements".
Parce que finalement, pendant ces quinze jours, on a vu un chef-d'oeuvre, et ça, ça compte.
Alors, je crois que dans trois, quatre ans, on aura complètement oublié la palme d'or du festival 73 mais on se souviendra encore du film de Bergman.
André Halimi
La sélection française, Jean de Baroncelli, est-ce qu'elle vous a donné satisfaction ?
Jean (de) Baroncelli
Je l'ai trouvée, disons, très supérieure à cellle de l'année dernière, ce qui n'est pas difficile, mais très intéressante.
Dans cette sélection, il y a un film sur lequel je fais d'extrêmes réserves...
Jean-Louis Bory
Qui est ? Qui est ?
Jean (de) Baroncelli
Oui, je suis le seul, peut-être.
Oui, mais ça ne m'empêche pas de faire des réserves, qui est "La Grande Bouffe", bien sûr.
Mais j'ai beaucoup aimé "La Maman et la putain", et j'ai beaucoup aimé un film qui n'était pas en compétition, et dont je trouve qu'on devrait parler.
C'est le film de Gérard Guérin qui s'appelle "Lo Pais", qui est un film admirable.
André Halimi
Henry Chapier, est-ce un bilan positif, ce festival, pour vous ?
Henry Chapier
Moi, je crois surtout qu'il y a plusieurs festivals qui se déroulent en même temps.
Au risque de me répéter, je vais le redire, forcément, les films qui sont dans la compétition et qui ont lieu ici sont favorisés dans cette enceinte du palais.
A coté du festival officiel, il y a quand même la Quinzaine, la Semaine de la critique et toute une série de projections indépendantes.
Il est très difficile de les suivre toutes.
Et contrairement à Robert Chazal, j'avoue n'avoir pas tout vu, même ici, pas seulement à Paris.
Mais je crois qu'on ne peut pas tout voir et qu'on rate, justement, des chefs-d'oeuvre qui sont à côté, et qui ne correspondent pas tout à fait au goût officiel.
Ce qui me frappe un peu, c'est qu'on ne peut pas dire... on dit, chaque année : " Les jeux sont fait parce que telle ou telle personne va voter pour tel film ".
Cette année, ce n'est pas ça.
Il y a une compétition où, finalement, il n'y a pas assez de films en lice, voilà.
Il y en a deux ou trois.
Alors, si on ne les aime pas, il faut quand même se rendre à l'évidence : il faut donner un prix à quelqu'un.
Je trouve, comme Jean de Baroncelli, que le Bergman est un film qui écrase tout le reste.
Et même le Truffaut, le film de Truffaut, qui est également hors compétition.
Alors, à ce petit jeu-là, on vide la compétition de son essence parce que ce qui est intéressant est dehors.
Alors, on n'y peut rien.
Jean (de) Baroncelli
Au fond, pourrait presque faire un palmarès idéal et dans lequel Bergman aurait la palme d'or et peut-être, Truffaut, le prix spécial du jury.
Jean-Louis Bory
Moi, je trouve que cette idée de palmarès, en somme, elle est...
elle est complètement, maintenant, démonétisée.
Parce que Chapier a raison de dire qu'en dépit de mon teint, j'ai vu beaucoup de films.
Et bien, la Quinzaine des réalisateurs a présenté trois ou quatre films qui étaient...
Normalement, leur place devait être le grand palais.
Là aussi, la Semaine de la critique était nettement moins bonne que les autres années.
Mais la Quinzaine des réalisateurs, les Perspectives du cinéma de 73 et même le Marché du film, on a vu des films de très grande qualité.
Et je suis de l'avis de Baroncelli en regrettant que "Lo Pais" qui, pour moi, était, sans doute, un des meilleurs films français que j'ai vus à Cannes, cette année, n'ait pas, justement, bénéficié de la notoriété dont il aurait bénéficié s'il avait été en sélection.
Mais c'est supposer que le fait qu'il y ait un palmarès, on s'en fout.
Jean (de) Baroncelli
Oui, on s'en fout.
Mais il faut bien dire que les réalisateurs, eux, ne s'en foutent pas.
Et que nous, nous nous foutons du palmarès, et je crois que nous avons raison, mais indiscutablement, un grand prix au festival...
André Halimi
Est-ce que ça a encore une valeur commerciale ?
Jean (de) Baroncelli
Je crois très importante.
En tout cas, pour les films qui n'auraient pas une promotion commerciale normale, et pour certains films étrangers, je crois que ça demeure important.
André Halimi
Et vous, Bory, si aucun film français n'a un prix ?
Jean-Louis Bory
Je trouve ça scandaleux parce que c'est la première année que où la sélection française présente un intérêt quelconque.
L'année dernière, on tournait dans la sucrerie et la guimauve.
Cette année, avec "La Planète Sauvage", avec "La Maman et la putain", et surtout avec "La Grande Bouffe", que j'aime énormément, avec le Truffaut qui est le retour de Truffaut dans une forme éblouissante, la France fait figure de cinéma adulte.
C'est la première fois depuis des années.
Alors, je trouverais scandaleux que le palmarès n'en tienne pas compte.
André Halimi
Mais ce n'est pas l'avis de Jean de Baroncelli et de François Morin.
Jean (de) Baroncelli
Non. Moi, c'est absolument mon avis.
Je trouve même que si...
On devrait presque donner un prix du jury à la sélection française.
Jean-Louis Bory
Exactement.
Jean (de) Baroncelli
A l'intérieur de cette sélection française, il y a un film que moi, personnellement, je n'aime pas.
Mais ce n'est pas parce que je ne l'aime pas que j'estime qu'il n'aurait pas dû venir à Cannes.
Je préfère de loin avoir vu ce film à Cannes que ceux que nous avons vus de l'année dernière, quelle que soit l'opinion personnelle que j'ai sur ce film.
André Halimi
D'accord.
Jean (de) Baroncelli
Qui est défavorable.
André Halimi
François Morin ?
François Morin
Moi, je déteste absolument "La Grande Bouffe".
Je pense que c'est un film creux.
Jean (de) Baroncelli
Mais c'est un film raté.
Jean-Louis Bory
Non, c'est un très grand film.
C'est le meilleur... c'est le chef-d'oeuvre du festival.
Robert Chazal
... laisse-les s'embourber.
C'est une très mauvaise querelle.
Il y maintenant les pères-la-pudeur qui se lève, qui disent, qui écrivent qu'ils sont contre ça, ça devient ridicule.
Il ne faut pas, non plus, entrer dans ce jeu.
C'est, en effet, un film qui cherche à heurter.
Il a heurté les gens, et c'est parfait ainsi puisque c'est son but.
Ferreri a dit très justement : " Je tends un miroir à la société actuelle et quand... "
Sans aucun doute.
Donc c'est un grand film qui avait parfaitement sa place.
Qu'on soit heurté par la vulgarité (puisque c'est le mot vulgarité qui revient tout le temps) de ce film, peut-être...
Jean-Louis Bory
Mais non, ce n'est pas vulgaire.
Robert Chazal
Ecoutez, la notion de vulgarité est tellement différente suivant chaque individu qu'on ne peut pas juger là-dessus.
En tout cas, certainement, la sélection française est remarquable.
Je crois que ça serait une erreur de demander au jury de donner un prix à la sélection française parce que ça serait enlever, par exemple, à "La Maman et la putain" ou "La Grande Bouffe", la chance d'avoir un prix.
Il était évident que les trois films français présentés méritent chacun un titre différent...
Jean-Louis Bory
J'aimerai bien qu'il y ait un coup de chapeau à Topor et à "La Planète Sauvage".
Ca, c'est facile à trouver pour le libellé du prix qu'on lui donnerait.
Parce qu'il est très bien qu'il y ait une bande dessinée au festival de Cannes.
Enfin, ce genre-là, qui n'a jamais accédé au grand palais.
Et puis l'effort de Topor est tel, et ça représente tellement d'années de boulot, que ça serait très bien qu'ils aient une sanction.
Jean (de) Baroncelli
Mais Bory, moi, je trouve qu'un prix spécial du jury donné conjointement à "La Maman et la putain" et à "La Planète Sauvage", c'est-à-dire au film de...
Robert Chazal
Quel drôle de mélange !
Jean (de) Baroncelli
Pourquoi pas ?
Jean-Louis Bory
C'est" La Maman Sauvage" et "La Planète Putain" !
Tu retrouves "La Grande Bouffe", là ?
André Halimi
Oui, Robert Chazal ?
Robert Chazal
Non, je trouve que ce mélange de films me paraît dangereux.
La mention spéciale pour les dessins animés, ça va tout seul.
Il n'y a même pas de problème : il n'y a pas de concurrent.
Et on peut même dire que dans les courts métrages...
Il faudrait quand même dire que les courts métrages sont particulièrement débiles et il faudrait signaler ou on supprime les court métrages ici, ou on en donne de bons.
Mais enfin, c'est effrayant.
Jean (de) Baroncelli
Il y en a eu un bon.
André Halimi
François Morin n'est pas d'accord du tout avec vous.
François Morin
Non, moi, je ne pense pas comme Jean de Baroncelli, par exemple, que le jury devrait donner un grand prix à Bergman.
Parce que Bergman, c'est Bergman.
Et évidemment, son film est un très grand film.
J'aime beaucoup le film de Bergman.
Je pense peut-être, comme lui, que c'est peut-être le plus grand film du festival.
Mais on s'attend, quand même, en allant voir un film de Bergman, à trouver un film de Bergman.
Aussi, ça serait, à mon avis, faire perdre son temps au jury de Cannes que de confirmer Bergman par un grand prix.
Cela dit, je pense que le jury ferait oeuvre bien meilleure et beaucoup plus efficace s'il primait, justement, quelqu'un qui est venu à Cannes, en une année 68 pour la citer, dont le film devait passer.
C'était, à l'époque, "Peppermint frappé".
Et il est parti sans rien, etc.
Or, il a présenté, à mon avis, un très beau film.
C'est Carlos Saura.
Il a présenté un très beau film, cette année.
Et si Carlos Saura partait de Cannes sans un prix quelconque, je pense que ça serait très dommageable pour le cinéma.
En ce qui concerne les manifestions parallèles, je crois, la Semaine de la critique etc., je pense aussi, comme Chapier, que c'est là aussi qu'on voit le cinéma qui n'est pas le cinéma arrivé, qui n'est pas le cinéma officiel, qui est un cinéma en gestation, qui a énormément d'imperfections, souvent, mais qui présente des choses très intéressantes.
André Halimi
Henry Chapier ?
Henry Chapier
Moi, écoutez, je trouve, personnellement, que nous sommes devenus très indulgents et très assoupis, finalement.
Parce que nous sommes contents de tout et nous discutons un tout petit peu comme le jury va le faire dans quelques heures, probablement.
Il me semble, tout de même, qu'il n'y a pas eu un coup d'éclat.
Bon, le Ferreri, chacun a exprimé son avis dessus.
Jean-Louis Bory
Henry, tu parles seulement de ceux qui sont en compétition.
Henry Chapier
Bon, on a trouvé Bergman et "La montagne Sacrée"...
Jean-Louis Bory
C'est deux coups d'éclat du tonnerre de Dieu !
Henry Chapier
C'est exact, mais enfin, sur cent vingt films, c'est quand même assez peu de choses.
Jean-Louis Bory
Deux chefs-d'oeuvre sur cent vingt, moi, je trouve que c'est une très bonne moyenne, oui.
Henry Chapier
Non, il y a eu des années beaucoup plus intéressantes.
Il faut dire, quand même, que le cinéma et ce festival lui-même se trouvent maintenant un tout petit peu en crise.
Je trouvais ce cloisonnement, pour le public, n'est pas clair du tout.
Pour nous, c'est très clair.
Nous avons nos salles, nos horaires.
Mais le public, finalement, n'y comprend plus rien.
Le public ne peut pas comprendre pourquoi un film que nous avons tous trouvé intéressant ne peut pas être présenté ici.
Alors, moi, je crois qu'il faut plutôt en finir avec toutes ces barrières, ces ghettos, ces mentions spéciales, cette séparation des films d'art, d'essai, des jeunes, des vieux.
Il faudrait réunir tout ça à nouveau dans un grand festival, quitte à avoir, effectivement, les sentiments au même endroit pour le même public et sans aucune discrimination.
Jean (de) Baroncelli
Cela suppose qu'il n'y a ni palmarès, ni jury...
Nous, nous allons voir les films un peu au hasard, comme ça, parce que nous savons que celui-ci va nous intéresser...
Jean-Louis Bory
Ce n'est plus au hasard parce que le téléphone arabe joue terriblement.
Jean (de) Baroncelli
On ne peut pas demander à un jury de se fier à....
Henry Chapier
La sélection officielle est quand même...
Elle n'est pas très bonne, la sélection étrangère du festival officiel.
Elle comporte des films inutiles.
Jean (de) Baroncelli
Absolument, c'est ce que j'allais dire.
J'allais dire que la sélection officielle, cette année, n'est pas brillante.
Le festival a pris un départ très rapide et très brillant, puis, il y a eu un plafonnement.
Les trois derniers jours sont catastrophiques.
André Halimi
Robert Chazal ?
Robert Chazal
Il faut qu'il y ait des prix parce que sans ça, la moitié des gens ne viendront pas.
André Halimi
Robert Chazal, qu'est-ce que vous souhaitez pour l'année prochaine ?
Robert Chazal
Que ça continue.
André Halimi
Que ça continue de la même façon ?
Robert Chazal
Exactement.
André Halimi
C'est parfait.
Et bien, écoutez, merci d'être venus.
Il est temps, maintenant, pour nous, de nous séparer.
Festival 74, certainement.
Merci
Jacqueline Alexandre
Et bien, si vous souhaitez que ça continue, nous aussi.
Mais pour cette année, c'est terminé puisque c'était la dernière émission en direct du festival de Cannes.
J'espère à tous à l'année prochaine, sur la deuxième et troisième chaîne.
Au revoir.