Les étudiants africains à Paris au début des années 1960

09 décembre 1963
23m 42s
Réf. 00108

Notice

Résumé :

Des étudiants africains arrivent en France pour la rentrée universitaire. D'autres sont déjà des étudiants à Paris depuis plusieurs années. Quelles impressions les nouveaux arrivants ont-ils en arrivant en France ? Quels problèmes se posent à ceux qui continuent leurs études ?

Type de média :
Date de diffusion :
09 décembre 1963
Source :

Éclairage

Ce documentaire de 23 minutes, daté de 1963, enquête – comme s'il s'agissait d'une absolue nouveauté – sur la présence nombreuse d'étudiants originaires d'Afrique subsaharienne en France. Si le phénomène n'est pas complètement nouveau, il a néanmoins pris une ampleur inédite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et plus encore après l'accession à l'indépendance des territoires africains.

Pour autant, il s'inscrit dans un continuum. De la fin du XIXe siècle aux années 1930, les étudiants africains sont rares à venir en France. En 1926, le chiffre officiel est de 75 « élèves et étudiants » sur les 2 500 Africains et Malgaches recensés sur le territoire français. On peut considérer que, dans l'entre-deux-guerres, une centaine seulement fait des études en métropole, et surtout à Paris. Les premiers contingents partis étudier en France sont alors constitués de quelques éléments triés sur le volet, qui bénéficient soit d'une bourse d'État (à partir des années 1920), soit d'une bourse privée obtenue dans le cadre de l'enseignement missionnaire. La plupart d'entre eux appartiennent aux élites occidentalisées. Le retard français est par ailleurs criant en matière de structures d'enseignement dans les colonies, si l'on compare la situation avec celle des colonies britanniques, par exemple. Jusqu'aux années 1950, on trouve peu de lycées et aucun établissement d'enseignement supérieur, à deux exceptions près, le Sénégal et Madagascar. L'enseignement primaire est aussi très inégalement organisé : en 1949-50, par exemple, à peine 4,2 % d'enfants sont scolarisés en AOF, contre 22 % au Cameroun ; les taux sont un peu plus élevés au Sénégal, en Côte d'Ivoire (25 à 35 %) et, de manière générale, dans les grandes agglomérations.

Une première poussée des effectifs estudiantins se produit après 1945 grâce au nombre croissant de bourses octroyées par les autorités coloniales, dans le cadre d'une politique volontariste de promotion de l'éducation. Si les efforts portent surtout sur la scolarisation primaire et secondaire, la réorganisation des cursus et la multiplication des bourses d'enseignement supérieur après 1945 permettent aux plus avancés d'aller étudier en métropole. Un Office des Étudiants d'Outre-Mer facilite leur installation : en 1949-50, on compte environ 2 000 lycéens et étudiants africains ou malgaches en métropole ; 4 000 en 1952-53 ; 8 000 en 1959-60. Au total, dans les années 1950, 9 à 10 % des élèves des colonies françaises d'Afrique partiraient ainsi faire leurs études secondaires ou supérieures en France.

Après les indépendances, ce nombre augmente encore nettement et atteint les 10 000. Ces étudiants africains se répartissent sur l'ensemble du territoire, même si la région parisienne continue d'en accueillir les plus gros contingents, l'offre y restant la plus élevée en matière d'enseignement supérieur. L'Office des Étudiants d'Outre-mer devient l'Office de Coopération et d'Accueil Universitaire, puis le Centre International des Étudiants et Stagiaires. Les années 1960 correspondent de fait à une période faste où l'ex-métropole ouvre les portes de ses universités aux étudiants de l'ex-Empire. La volonté de ne pas couper les liens avec les ex-colonies, et notamment avec leurs nouvelles élites dirigeantes, conduit la France à encourager l'installation d'étudiants, tandis que se met en place un système croisé de bourses françaises et de bourses nationales financées par les nouveaux États.

Sophie Dulucq

Transcription

(Musique)
Journaliste 1
Vous les croisez dans les rues du Quartier Latin. Ils sont vos voisins à la faculté, au restaurant universitaire, dans les bibliothèques. D’année en année, ils viennent plus nombreux de tous les pays d’Afrique noire. Et pourtant, vous les connaissez mal, vous les connaissez à peine. Cette année, l’Office de coopération et d’accueil universitaire s’est efforcé de résoudre les problèmes de près de 4 000 boursiers de la Communauté. Ceux-là sont considérés comme des privilégiés. Sur le plan matériel, ils touchent, en plus de leur bourse, une indemnité de premier équipement et une indemnité de trousseau. Ils sont logés dès leur arrivée, répartis ensuite dans les différentes villes universitaires de France selon leur orientation, bénéficient, enfin, de tous les avantages sociaux accordés aux étudiants français. D’autre part, orienteurs et psychologues s’appliquent à les aider, à préciser une orientation, correspondant à leurs goûts et à leurs aptitudes, souvent mal définie au départ. On s’efforce au maximum d’atténuer leur angoisse. Et pourtant, cette angoisse existe. Ceux-ci avaient tout juste dormi une première nuit en France quand nous les avons interrogés.
Françoise Dumayet
Alors, Monsieur, comment vous appelez-vous, s’il vous plaît ?
Etienne Bacho
Je m’appelle Bacho Etienne.
Journaliste 1
Oui. Vous venez d’où ?
Etienne Bacho
Je viens de Cotonou.
Journaliste 1
Vous êtes du Dahomey ?
Etienne Bacho
Oui, Madame.
Journaliste 1
Vous êtes boursier naturellement ?
Etienne Bacho
Oui, je le suis.
Journaliste 1
Alors, vous venez faire l’école normale de musique, et vous venez sans doute préparer le concours d’entrée ?
Inervenant 1
Oui, Madame. Mais je ne savais pas qu’il y avait un concours d’entrée pour l’école normale.
Journaliste 1
Oui, il y en a un, mais on vous donnera tous ces renseignements, justement, à l’enseignement tout à l’heure.
Etienne Bacho
Ah bon, Madame.
Journaliste 1
Mais quel genre de difficulté redoutiez-vous ?
Etienne Bacho
Comme moi, je suis un Nègre et je viens au pays des Blancs, mes parents qui sont incultes, – nous disons incultes, qui sont analphabètes, quoi – ils ne savent pas trop si je ferai l’objet d’un accueil fraternel, ici.
Journaliste 1
Chaleureux, oui. C’est ça que vos parents redoutaient le plus ?
Etienne Bacho
Oui, c’est ça surtout.
Journaliste 1
Et vous personnellement ?
Etienne Bacho
Moi, à ce point de vue, je ne crains rien. Surtout, comme je ne savais pas exactement dans quelles conditions je devrais travailler, c’est ça qui me préoccupait. Mais pour la question de l’ambiance dans laquelle je vais évoluer, je ne craignais pas tellement pour ça.
Journaliste 1
Monsieur Essimi, vous êtes né en quelle année, Monsieur ?
Essimi
En 1942.
Journaliste 1
Quelles études vous venez faire ici maintenant, Monsieur ?
Essimi
Je viens faire des études d’ingénieur. Et j’aimerais rentrer, de préférence, aux Arts et Métiers.
Journaliste 1
Vous venez de Cameroun, et c’est votre premier voyage en avion ?
Essimi
C’est le tout premier.
Journaliste 1
C’est le tout premier. Alors, c’était agréable ou désagréable ?
Essimi
C’était plutôt merveilleux, parce que je… il m’a toujours semblé impensable qu’on pouvait être en sécurité à une si grande hauteur.
Journaliste 1
Et vous vous sentiez en sécurité ?
Essimi
Mieux que sur le sol.
Journaliste 1
Mais vous aviez demandé cette bourse il y a combien de temps ?
Essimi
Il y a de cela environ trois mois.
Journaliste 1
Il y a trois mois. Et vous avez eu la réponse quand ?
Essimi
La réponse, trois jours avant mon départ.
Journaliste 1
Que font vos parents ?
Essimi
Mes parents ? Ma mère, déjà, est ménagère, et puis, elle fait des champs d’arachide. Quant à mon père, il est instituteur.
Journaliste 1
Et vous étiez en vacances chez eux ?
Essimi
Au village, oui.
Journaliste 1
Vous étiez en vacances au village.
Essimi
Oui, chez eux.
Journaliste 1
Et ce costume, vous l’avez acheté pour partir ?
Essimi
Je l’ai acheté… Je n’ai pas eu le temps de choisir. Je suis tout juste entré dans une boutique, j’ai demandé un costume, on m’a présenté celui-ci parce que j’étais très pressé.
Journaliste 1
Et c’est tout ? Vous êtes venu avec ce costume ?
Essimi
Je suis venu avec ce costume. Je n’ai presque rien. Personne ne prévoyait que je pouvais venir en France. Je n’ai eu ni de l’argent de poche, ni une petite valise pour emballer mes effets.
Journaliste 1
Et vos parents, comment ont-ils accueilli ce départ précipité ?
Essimi
Plutôt… Ils sont plutôt sceptiques.
Journaliste 1
Sceptiques sur quoi ?
Essimi
Sceptiques sur les études que je vais faire. Ils ne savent pas si ce sera des études aussi lucratives que je le pense moi-même.
Journaliste 1
Parce que si pensez que, si vous réussissiez vos études, vous pourrez avoir une bonne situation ?
Essimi
Une très bonne situation. Quant à eux, ils pensent que c’est une perte de temps, les études supérieures.
Journaliste 1
Donc, vous êtes venu un peu contre leur gré ?
Essimi
Contre leur gré, c’est ça.
Journaliste 1
Et cependant, votre père était instituteur ?
Essimi
Je parle de la majorité. Y a que mon père qui pouvait voir la chose à peu près…
Journaliste 1
Objectivement ?
Essimi
Objectivement, c’est ça.
Journaliste 1
Est-ce que vous pensez que ce sera difficile de faire ces études ?
Essimi
Il y a surtout le problème de l’adaptation. C’est-à-dire la vitesse de travail n’est pas la même que chez nous. Parce qu’on… Et puis, on dit : « les petits Français – c’est-à-dire ceux qui seront mes camarades – être d’une intelligence prodigieuse ». Alors, ça m’inquiète beaucoup.
Journaliste 1
Ceux qui ont une bourse et une chambre où se loger ont, moins que les autres, à redouter des contacts humains difficiles, dans une ville où leur rythme de vie empêche les gens de se parler. Mais les études sont déroutantes. Et la naïve inquiétude des premiers jours fait souvent place à un sentiment d’insécurité plus amer. Malgré le confort rassurant du pavillon d’Outre-mer dans les jardins de la cité universitaire, on se demande avec anxiété au prix de quels efforts on obtiendra le diplôme qu’on est venu chercher.
(Musique)
Journaliste 2
D’où êtes-vous ?
Intervenant 1
Je suis de Madagascar, Madame. Je suis en train de faire un concours d’entrée au conservatoire des Arts et métiers, branche topographie.
Journaliste 2
Et quel âge avez-vous ?
Intervenant 1
Maintenant, j’ai 26 ans.
Journaliste 2
Donc, vous aviez déjà un certain retard par rapport à vos camarades français ?
Intervenant 1
Ah, très très en retard. J’estime que j’ai un retard de huit ans.
Journaliste 2
Huit ans de retard, c’est ça ? Et d’autre part, en retard sur le plan de la préparation même ?
Intervenant 1
Ah oui, justement. Un an de retard dans la préparation.
Journaliste 2
Oui, et vous me parliez du rythme tout à l’heure, du rythme de travail. Il n’est pas le même non plus ?
Intervenant 1
Ah oui, le rythme, c’est tellement différent, ici, en Europe. Ici, on a tendance à tout courir dans un délai, dans un laps de temps très très limité. Alors que chez nous, en Afrique, à Madagascar, on est beaucoup plus à l’aise.
Journaliste 2
Oui, c’est cela. Et d’autre part, les cours même, est-ce que vous arrivez à les suivre ? Est-ce que les cours des professeurs pour vous sont aussi trop rapides ?
Intervenant 1
Oui, on peut le dire. Franchement, trop rapide. Puisqu’après tout, le professeur… D’ailleurs, ça, c’est une remarque générale. Ici, le professeur ne s’occupe pas tellement tellement des élèves. Pour lui, il suffit de faire des cours, et puis d’interroger, et puis il s’en va. Alors, les élèves… C’est à nous, élèves, que nous nous débrouillons pour faire le mieux pour pouvoir suivre.
Journaliste 2
Et là, vous vous êtes senti très seul ?
Intervenant 1
Ah oui, dans ce cas-là, très très seul, oui.
Journaliste 2
Et si vous échouez, que ferez-vous ?
Intervenant 1
Alors là, je continuerais ma préparation jusqu’à ce que je m’intégrerai.
Journaliste 2
Jusqu’à ce que vous ayez réussi ?
Intervenant 1
D’accord.
Journaliste 2
Vous aviez une bourse en arrivant ?
Intervenant 2
Non, je n’ai pas eu de bourse. J’ai passé deux ans sans bourse.
Journaliste 2
Deux années difficiles ?
Intervenant 2
Très difficiles.
Journaliste 2
Difficiles à quel point de vue ?
Intervenant 2
En effet, je n’ai pas eu de logement quand je venais d’arriver ici. Alors, il m’a fallu me débrouiller partout. Et les chambres que j’ai trouvées, c’était trop cher, et vraiment très cher par rapport à en Afrique. Parce que chez nous, en Afrique, un étudiant, lorsqu’il a 1 500 francs CFA, soit 3 000 anciens francs français, nous pouvons vivre pendant au moins deux mois. Alors qu’en France, ça, on ne peut pas trouver. Ça, c’était pour moi une grande difficulté.
Journaliste 2
Oui. Vous étiez venu avec quelle somme ?
Intervenant 2
Je suis venu… Je suis venu ici avec, peut-être, 40 000 francs CFA donc 80 000 francs, anciens francs.
Journaliste 2
Pour vivre combien de temps ?
Intervenant 2
Je suis venu… D’abord, mes parents m’avaient dit, il faut que j’y aille. Et ils m'enverront s'ils ont quelque chose, de l’argent, par la suite, malheureusement….
Journaliste 2
Donc, c’était l’incertitude ?
Intervenant 2
L’incertitude, parce que d’abord, quand je suis venu ici, je leur ai écrit. Et la situation économique était encore très lamentable. Ils étaient incapables de m’envoyer de l’argent.
Journaliste 2
Est-ce que vous avez connu le préjugé de couleur aussi ?
Intervenant 2
Cette question… Dans ces deux hôtels, oui, où j’ai été. Vraiment, ils ne vous disaient pas que… on me refusait parce que j’étais Noir. Mais moi-même, je l’ai senti, que vraiment il y avait des chambres mais qu’ils ne voulaient pas m’avoir, qu’il ne veut pas prendre une personne de ma race.
Journaliste 2
Et les conditions de vie étaient très différentes, évidemment, des conditions de vie dans votre famille ?
Intervenant 2
Evidemment, parce qu’ici d’abord, j’ai été dans une famille. C’était à moi de faire à manger. Alors, j’étais à Boulogne-Billancourt. Je ne pouvais pas m’amuser tous les soirs à finir manger au restaurant universitaire de Morbihan. Alors il a fallu que je fasse moi-même à manger. Avec la famille, je ne mangeais pas. Alors, moi qui étais habitué à manger toujours ensemble avec la famille, avec des copains et des amis, alors, j’ai passé vraiment trois mois, quatre mois seul, à manger tout seul comme un égoïste et hypocrite, alors que chez nous, ça ne se fait pas.
Journaliste 2
Problème d’études, problème d’argent, changement brutal des habitudes de vie, méfiance à laquelle on se heurte encore trop fréquemment sous le prétexte qu’on a la peau d’une autre couleur. Tel est le lot des difficultés quotidiennes, accusées, peut-être, par le rythme précipité de la vie à Paris. Alors, choisir la province, est-ce une solution qui permet de s’adapter plus facilement ?
(Musique)
Journaliste 2
Dites-moi, messieurs, d’où êtes-vous ?
Intervenant 3
Du Dahomey, Madame.
Journaliste 2
Du Dahomey. Vous êtes à Paris depuis combien de temps ?
Intervenant 3
A Paris ? Non, je suis à Paris depuis deux mois, mais je suis étudiant à Rouen.
Journaliste 2
Vous êtes étudiant à Rouen. Alors, dites-moi, on dit toujours que la vie est plus facile en province pour les étudiants de couleur. Est-ce vrai ?
Intervenant 3
Oh, ce n’est pas aussi facile qu’on le croit. On a les mêmes difficultés que les étudiants africains à Paris. Et en province, il se passe que les gens ont trop tendance à généraliser. Parce qu’une fois qu’il y a quelque chose de mal fait, ça se sent. Tout le monde le sait tout de suite en ville. Et les étudiants africains en province se surveillent plus que les étudiants… ils sont condamnés, plutôt, à se surveiller en province que les étudiants africains à Paris.
Journaliste 2
Vous faites très attention ?
Intervenant 3
Oui, on est obligés, presque.
Journaliste 2
Qu’est-ce que vous faites à Rouen ?
Intervenant 3
A Rouen, je suis étudiant en Sciences économiques. Et je ne suis pas boursier. J’ai été à la charge de ma mère jusqu’aux deux parties de bac. Après, elle a vieilli, et puis, ses affaires ne marchent plus tellement bien. J’ai été obligé de me faire nommer surveillant d’externat au lycée Fontenay à Rouen.
Journaliste 2
Et comment ça se passe avec vos camarades, alors ?
Intervenant 3
Les camarades ? On a des camarades de faculté qui sont gentils, et d’autres qui trouvent qu’on n’a pas notre place là.
Journaliste 2
Par exemple, dans les sorties, les surprises party, comment ça se passe ?
Intervenant 3
Dans les surprises party, c’est un problème très délicat. Il y en a qui vous invitent, et puis, il y a un autre qui lui souffle à l’oreille : « Dis donc, tu n’emmènes pas ton Noir avec nous, hein ! » L’autre dit… Il vient vous revoir très gêné. Il dit : « Tu sais, la surprise-party, je l’ai organisé avec un autre copain, et cet autre copain ne veut pas de toi parce qu’il ne te connaît pas ». Et c’est toute cette haine inconnue qu’on ne voit jamais.
Journaliste 1
Est-ce que vous pensez que, par exemple d’ici dix ans, ces garçons, qui seront devenus des hommes, seront déjà plus proches de vous ?
Intervenant 4
Je crois que ceux qui ont eu des contacts avec des jeunes Africains, étant sur les bancs de la faculté ou bien, ils ont quand même, même s’ils deviennent plus âgés, vieux, ils sauront qu’enfin… Je ne sais pas. Comment vous dirais-je, moi ?
Journaliste 2
Ils sauront vous comprendre ?
Intervenant 4
Voilà, quoi, ils sauront comprendre les Africains.
Journaliste 2
Alors, est-ce que les Noirs sont racistes en Afrique aussi vis-à-vis des Blancs ?
Intervenant 3
En Afrique… Le racisme existe partout. Les Noirs sont racistes, les Blancs sont racistes.
Journaliste 2
Vous l’admettez ?
Intervenant 3
Et ça, moi je l’admets. Et c’est de la bêtise de la part des deux classes. Parce que moi, je trouve qu’on est pareil. Vous êtes une Blanche, moi je suis un Noir, mais ça ce n’est qu’une illusion parce que tous deux, enfermés dans une chambre, vous ne pouvez pas émettre la lumière blanche. C’est la lumière du soleil qui montre cette différence-là. Et si on vous coupe les veines, c’est le sang rouge qui sortira de mes veines, qui sortira des vôtres aussi.
Journaliste 1
Cependant, les études en Europe sont une sanction indispensable pour contribuer, avec pleine efficacité, à l’édification d’un pays en développement. Cet étudiant malien, élève de l’Ecole des Travaux Publics l’a si bien compris, qu’après un premier séjour, il est revenu, avec sa femme et ses enfants, pour terminer ses études. Boursier de son gouvernement, il est logé dans un grand ensemble de la banlieue parisienne, où il jouit de tous les privilèges du confort. Il est assez conscient des ambiguïtés de sa situation d’Africain étudiant en Europe pour en faire une analyse exacte et impartiale. Différence de race, de civilisation, de religion, d’éducation, différences qu’il faut réduire ou accuser selon les besoins, selon les espoirs d’où sortira l’Afrique de demain.
Journaliste
Et pour venir faire vos études en France, vous avez rencontré des difficultés familiales ?
Intervenant 5
Ah oui ça, j’ai trouvé beaucoup de difficultés. Parce que les parents, d’abord… Venir en France, pour eux, c’est sortir de sa peau d’Africain, et ne plus être soi-même. Et ils ne veulent pas, quand même, qu’on sorte, parce qu’étant à l’extérieur, nous n’avons pas de conseiller qui puisse nous mettre dans le droit chemin. Ça c’est leur conception. La raison pour laquelle… Pour éviter toute catastrophe, ils préfèrent nous garder. Moi, je suis musulman. En principe, je ne dois boire ni d’alcool, je ne dois pas manger de porc, alors je dois prier tout le temps. Alors, les activités en France sont telles qu’il est impossible, justement, de pratiquer d’une manière correcte, justement, cette religion.
Journaliste
C’est-à-dire que vous devez leur mentir alors ?
Intervenant 5
Ah oui. J’ai menti. Ce mensonge leur sera utile, plus tard. Ils ne le savent pas tout de suite, mais ça leur sera utile plus tard. Parce qu’il y a mon intérêt. Et quand je dis mon intérêt, c’est l’intérêt aussi de ma famille.
Journaliste
Et là, vous êtes venu justement avec votre épouse et l’aîné.
Intervenant 5
Je suis venu avant mon épouse.
Journaliste
Oui, mais cette épouse a été choisie par votre père ?
Intervenant 5
Non. Mais seulement, c’est… Elle a été choisie, parce que… D’abord, j’ai voulu me marier avec une autre fille qui était une fille de caste. Alors, les parents ne voulaient pas. C’est une sorte de hiérarchie, chez nous. En principe, ces gens font partie d’une classe inférieure. Alors les parents ne voulaient pas. Alors maintenant, j'ai abdiqué, bien entendu. Alors j’ai rencontré celle-là et l’aimer. Alors, ils étaient tout à fait d’accord. Ils ont même engagé tous les frais. Alors, voilà comment je l’ai épousée.
Journaliste
Comment sont vues les Françaises, les Blanches qui épousent des Noirs lorsqu’elles vont en Afrique ?
Intervenant 5
Comment elles sont vues ? Elles ne sont pas mal vues.
Journaliste
Elles sont bien accueillies au départ ?
Intervenant 5
Parce que l’hospitalité est sacrée chez nous. Même un ennemi, on le reçoit. Seulement, il y a une question de religion qui fait qu’il y a quelques difficultés de la part des parents pour admettre d’avoir la femme blanche. Parce qu’une fois que la femme blanche promet de prier, c’est fini. La famille l’adopte automatiquement…. Alors, c’est pour vous dire… Il faut éloigner toute idée de racisme de la part des parents. Pour eux, c’est une question de religion. Ce sont des fanatiques. Une fois que la Française accepte de prier, c’est fini. La femme, ils l’adoptent automatiquement, sans difficulté. Et puis, tout dépend de l’éducation que son mari lui donne ici. Parce qu’il y a certains maris qui n’expliquent pas clairement ce qui se passe en Afrique. D’autres se font passer pour des fils à papa, des richards. Quand ils partent en Afrique, c’est une déception de la part de la femme.
Journaliste
Quelle idée vous faisiez-vous des Français avant de venir, et quelle idée vous en faites-vous maintenant ?
Intervenant 5
Avant de venir, les Français pour eux, c’était tous des colonialistes, des colons.
Journaliste
C’est-à-dire ?
Intervenant 5
C’est-à-dire des gens qui viennent chez nous pour nous prendre tout et sans rien laisser. Mais cette idée, on peut dire, quand même, qu’elle est fausse au départ, parce qu’on ne peut pas juger toute la France en partant de quelques individus qui sont partis à l’aventure.
Journaliste
Alors maintenant, quelle est votre idée de la France ?
Intervenant 5
Maintenant… Quand je suis venu en France, j’ai vu que, d’abord, les gens mènent une vie individualiste, ce qui est totalement différente de celle que nous menons en Afrique. Alors… Parce qu’avant de venir, je ne savais que les gens étaient comme cela. Que chacun rentre chez soi et on ferme la porte, on ne sort pas, on ne se dit pas bonjour. Alors ce sont des choses qui m’ont frappé tout de suite. Parce que chez nous, on ne peut pas dépasser une personne sans la saluer.
Journaliste
Et vous restez africains même en France ?
Intervenant 5
Même en France. Parce que même chez moi, ici, je prépare mes repas. Ma femme et mes enfants. Je m’assieds par terre sur des journaux. Et puis, nous mangeons à la main. Ça, c’est pour ne pas perdre l’habitude de l’Afrique. C’est pour rester nous-mêmes. Nous avons pourtant des tables. J’ai tout un service. J’ai des fourchettes et des cuillères.
Journaliste
Et vous, par exemple, dans une discussion, quand votre mari a une discussion avec un de ses camarades, vous ne donnez jamais votre avis ?
Intervenante 1
Quelquefois, oui, si.
Journaliste
Si, quelquefois ? Là, vous le donnez.
Intervenante 1
Oui.
Journaliste
Mais pas en public, comme ça ?
Intervenante 1
Non, pas en public.
Journaliste
Ça vous gêne ? Les femmes sont très pudiques, très timides ?
Intervenante 1
Oui. Chez nous, une femme ne doit pas parler devant ces gens, devant ses copains et doit respecter les gens, quoi.
Journaliste
Oui, mais ici, il y a des jeunes Africaines qui font des études, et qui deviennent beaucoup moins timides, par exemple. Vous en connaissez ?
Intervenante 1
Non.
Journaliste
Mais vous n’en connaissez pas ?
Intervenante 1
Non.
Journaliste
Vous sortez peu ?
Intervenante 1
Oui, je ne sors presque pas.
Journaliste
Est-ce que vous avez envie de vivre comme les Françaises vivent ?
Intervenante 1
Non.
Journaliste
Pourquoi ?
Intervenante 1
J’ai ma façon de vivre, moi.
Journaliste
Quelle est votre façon de vivre ?
Intervenante 1
Je voudrais vivre comme en Afrique.
Journaliste
Mais vous avez un fils. Et comment pensez-vous l’élever ?
Intervenant 5
Ce fils, je l’élèverais comme j’ai été élevé par mon père.
Journaliste
Quels sont les grands principes ?
Intervenant 5
Parce qu’un garçon doit souffrir, parce que c’est un individu qui partira dans la vie sans savoir où on peut le mettre, où la nature peut le mettre, où son destin peut le conduire. Il peut trouver des difficultés dans n’importe quel domaine. Il faut, alors, le préparer d’avance pour qu’il soit apte à souffrir, à supporter la faim, les douleurs…
(Musique)
Journaliste
Connaître les problèmes de ces étudiants africains, c’est tenter de rompre l’isolement dans lequel vous les laissez trop souvent par indifférence. C’est aussi contribuer à un avenir de collaboration étroite, en s’efforçant, comme cet étudiant malien, de comprendre avant de juger.
(Musique)