L'avenir de l'Afrique française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : des lendemains qui chantent ?

1947
14m 28s
Réf. 00111

Notice

Résumé :

En août 1940, l'Afrique Equatoriale Française et le Cameroun se rallient à la France libre. Pendant deux années les Français vont transformer ce territoire et en faire une région riche, puissante et fertile, prête à collaborer à l'effort de guerre. Ce documentaire raconte cette épopée à travers un commentaire épique et des images filmées pendant les années de guerre.

Date de diffusion :
1947
Source :

Éclairage

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de reconstruction nationale et de tensions mondiales, l'Empire colonial constitue un terrain propice à l'exaltation de la grandeur de la France. Un tel discours triomphaliste se donne à entendre dans ce documentaire de 1947 – année particulièrement difficile sur le plan économique et social en métropole –, produit deux ans après la fin du conflit par l'Office français d'information cinématographique (OFIC). Les trois brèves évocations musicales du générique – mélodie orientalisante puis thème de La victoire en chantant, immédiatement fondu dans quelques notes de La Marseillaise – constituent à elles seules un condensé du propos. Il s'agit tout d'abord de mettre en avant le rôle clé de l'Afrique équatoriale française pendant la guerre : c'est en effet le premier ensemble territorial à s'être rallié au camp gaulliste dès 1940, sous la houlette de son gouverneur-général, Félix Éboué. Il s'agit ensuite d'affirmer le potentiel économique des colonies, avant et après 1945, gage d'un avenir meilleur pour l'ensemble de l'empire français. L'OFIC a été créé par les autorités de la France Libre. La photographe Germaine Krull est par exemple créditée au générique, elle qui a fait partie des opérateurs fréquemment missionnées en AEF pour le compte des Forces françaises libres entre 1942 et 1945. C'est donc essentiellement à partir d'images tournées en Afrique équatoriale française durant le conflit qu'est construit le film, et tout particulièrement avec de nombreuses séquences portant sur l'effort de guerre.

Le document est prolixe sur la production de caoutchouc. Il présente à la fois un des modes de production anciens de cette matière première stratégique dans la région – la cueillette de caoutchouc sauvage dans le cadre archaïque de l'économie dite « de traite » – et une forme plus moderne, celle de l'économie de plantation et de la transformation industrielle locale. C'est faire oublier au spectateur que l'avenir caoutchoutier se situe désormais dans les grandes plantations d'hévéas asiatiques, et non dans le bassin du Congo.

Le documentaire reste par ailleurs bien silencieux sur des réalités économiques en demi-teinte des colonies : la sous-industrialisation y est notamment patente. Sans doute la guerre a-t-elle contribué à accélérer une petite industrialisation de l'AEF – la valorisation du latex au Cameroun (région de la Sanaga), la filière du bois au Gabon en fournissent deux exemples. Mais le développement des territoires d'outre-mer ne peut désormais plus aller sans des investissements métropolitains, ceux-là même qui commencent, en 1947, à être consentis par le biais du Fonds de Développement Économique et Social (FIDES). Ces préoccupations avaient d'ailleurs été considérées comme prioritaires lors de la conférence de Brazzaville (1944), organisée par les autorités de la France Libre.

C'est à partager cette vision modernisatrice, optimiste et impériale qu'est donc convié le spectateur de 1947, alors même que l'Afrique d'après-guerre a changé, que le sous-investissement colonial y est criant et que les revendications de tous ordres commencent à s'y faire plus pressantes.

Sophie Dulucq

Transcription

(Musique)
(Silence)
Journaliste
Le 15 octobre 1940, à Montoire, la France était aimablement invitée à collaborer. L’espoir, pourtant, survivait. Quelques semaines auparavant, à bord de [inaudible], le général de Gaulle débarquait à Douala, Cameroun.
(Musique)
Journaliste
Les 26, 27, 28 août, journées qu’on appelle, là-bas, les Trois Glorieuses, l’Afrique Équatoriale Française et le Cameroun se ralliaient à la France libre. Le général de Gaulle, pour la première fois depuis les sombres journées de juin, mettait le pied sur un sol français. Qu’allait apporter l’AEF à la France libre ? Un territoire porte-drapeau ? Bien plus. En trente mois, une colonie pauvre d’accès difficile allait devenir un territoire libre, géré par des hommes libres. Leclair, Pleven, Eboué, Larminat, noms glorieux qui nous donnèrent l’AEF. Ils firent, pendant les mois les plus sombres, de Brazzaville, une capitale française.
(Musique)
Journaliste
L’espoir n’était pas mort puisque dans son empire, la France regroupait ses forces en vue de chasser l’envahisseur.
(Musique)
Journaliste
L’Afrique Equatoriale s’étend comme un gigantesque trait d’union entre le centre désertique de l’Afrique et les rivages inhospitaliers de la côte Atlantique. Énorme, six fois la France, elle comprend, au nord, une zone saharienne tempérée par le lac Tchad. Plus au sud, une zone d’herbe rappelle la savane américaine des romans d’aventure. Au sud enfin, l’impénétrable forêt équatoriale qui, ceinturant le Globe d’un anneau vert foncé, se retrouve au Brésil comme aux îles de la Sonde. On comprend, alors, l’importance stratégique de l’AEF. Brazzaville et Bangui ouvrent le Congo belge. Fort-Archambault commande l’accès du Soudan anglo-égyptien. Fort-Lamy domine le Nigeria britannique et le Sud saharien. Et des liaisons impériales anglaises, alors que l’axe tenait la Sicile, la Crête et Bizerte, devaient emprunter, pour ravitailler le front de Libye, les lignes de communication aériennes et terrestres de l’Afrique centrale. Les routes allaient alors jouer un rôle essentiel dans [l’arrière] combattante. De l’Oubangui jusqu’au désert libyque, la grande route stratégique Bangui-Largeot voit passer, en 1942 et 1943, des milliers de véhicules pour approvisionner la colonne Leclerc aux fameux exploits. Voie vers la civilisation, la route est le souci constant de l’administrateur et du colon. Elle est aussi le lieu des peines et des joies de l’indigène.
(Bruit)
Journaliste
Des cours d’eau la coupent, terreur de l’automobiliste. Mais des ponts élégants et robustes viennent remplacer les bacs archaïques que l’on attendait, parfois, des heures. Le service des Travaux publics, en étroite liaison avec les services économiques et militaires intéressés, a construit, en trois ans, des kilomètres d’ouvrage d’art en béton, en fer ou en bois. C’est par les cours d’eau que s’est faite, au début, la pénétration de la colonie.
(Musique)
Journaliste
Le bassin du Congo avec ses affluents, dont le majestueux Oubangui, offre un réseau de 2 000 kilomètres navigable en toute saison.
(Musique)
Journaliste
Le transport des marchandises sur le fleuve est assuré par de larges péniches. Elles sont remorquées par des vapeurs à eau chauffés au bois, qui mettent environ deux semaines pour franchir les 1 200 kilomètres qui séparent Brazzaville de Bangui.
(Musique)
Journaliste
Le cours inférieur du Congo, entre Brazzaville et Matadi, est coupé d’une succession de rapides infranchissables. De plus, l’embouchure du fleuve n’est pas en territoire français. C’est pourquoi on a créé, en toute hâte, le port maritime de Pointe-Noire, le plus moderne de toute la côte occidentale de l’Afrique. Dès à présent, cinq bateaux de tonnage moyen peuvent accoster simultanément. Il fallait alors rattacher Pointe-Noire au port fluvial de Brazzaville. Un chemin de fer ? Pourquoi pas ? En 1934, le Congo Océan était achevé. Franchissant l’obstacle qui rend le Congo inaccessible à la navigation, le massif de Mayombé. Ce ne sont que tunnels, viaducs, rampes et courbes.
(Musique)
Journaliste
Délicieusement rafraîchis au wagon restaurant, confortablement allongés dans leur cabinet, les passagers ignorent les travaux titanesques que les ingénieurs durent accomplir pour construire cette artère vitale de 600 kilomètres.
(Bruit)
Journaliste
Deux lignes aériennes sont fondées par le colonel de Marmier et le colonel Valin, dès novembre 1940. Ces deux lignes, balisées de la façon la plus moderne, relient Pointe-Noire, Brazzaville et Fort-Lamy, au Caire et à Beyrouth, à Djibouti et Tananarive. Et maintenant, à Alger et Paris. En 1942, les Alliés perdent l’Extrême-Orient qui fournissait au monde la presque totalité du caoutchouc naturel. La bataille du caoutchouc allait se livrer. Dans le combat, l’AEF répondait présent. Au Gabon, le caoutchouc est tiré des lianes. Formé dans une école indigène professionnelle, l’expert a reconnu, dans ce boa vert qui étreint l’arbre, une liane à caoutchouc. Une escalade de 30 mètres, quelques coups de hache, et le serpent n’est plus qu’un vulgaire câble. On l’étend, on le saigne, on le tronçonne afin d’en exprimer tout le suc. Traité par une décoction acide de feuilles, le latex se coagule. On en fait alors des crêpes plates que l’on met à sécher soigneusement à l’ombre. Le caoutchouc ainsi obtenu est d’une très bonne qualité.
(Musique)
Journaliste
Une autre espèce sauvage, le caoutchouc de Rhizome, se récolte dans le moyen Congo, au pays des Batékés. Les Indigènes déterrent, à la houe, les branches souterraines, longues de 3 à 4 mètres, et les mettent en fagots.
(Musique)
Journaliste
Au village, le fagot est placé dans l’eau vive. Il y reste plusieurs jours. Le battage détache l'écorce et la pulpe.
(Bruit)
Journaliste
Il se forme alors une pâte rougeâtre que l’on ébouillante. Le latex se coagule. Après les lavages et battages successifs, on obtient une crêpe poreuse rosâtre.
(Musique)
Journaliste
Comme vous, comme moi, le paysan noir entend être payé de ses peines. On pèse les crêpes à la balance romaine. On les achète comptant. Et on distribue des primes. Un coupe-coupe, une marmite, ou l’une de ces merveilleuses lampes-tempête, récompense des récoltes individuelles supérieures à 10 kilos par mois. L’argent circule, condition de la prospérité. Et l’administrateur veille à l’approvisionnement du marché. On tâte les cotonnades aux bigarrures violentes. Ainsi naît, dans un saisissant raccourci, le commerce des nations.
(Musique)
Journaliste
Caoutchouc industriel. Sur le plateau de la Sanaga, au Cameroun, la forêt incendiée a disparu.
(Musique)
Journaliste
Dans ce paysage millénaire, on a planté des hévéas. Ceux-ci mettent sept ans pour atteindre l’âge d’exploitation. Et des carrés d’un kilomètre de côté s’étendent à perte de vue, desservis par rues et avenues. On saigne l’arbre en spirale tous les quatre jours. Le latex est recueilli. Des coupes aux bidons, des bidons aux camions, 6 000 ouvriers et manœuvres indigènes vont et viennent comme des fourmis. En route pour l’usine.
(Musique)
Journaliste
Une laiterie modèle, comme Pasteur l’eut rêvée ? Non. Le latex, ici blanc comme crème, passe de cuve en cuve. On le coagule à l’acide formique.
(Musique)
Journaliste
Au cours de la nuit, un épais matelas de mousse blanche s’est formé. La feuille recueillie est lavée à grande eau et amenée, par des rigoles d’aluminium, dans une série de laminoirs. Elle est essorée, pressée, coupée, puis séchée et brunie au feu de bois. Les 10 tonnes de caoutchouc pur livrés chaque jour par cette exploitation deviendront, entre les mains des Alliés, 100 tonnes de caoutchoucs industriels. La plantation de la Sanaga produit, à elle seule, presque autant de caoutchouc que le reste de la colonie. De 1938 à 1943, la production a triplé. Chaque mois, à présent, l’AEF et le Cameroun exportent plus de 600 tonnes de caoutchouc. Il en faut 800 kilos dans un tank et 600 dans un bombardier, 75 tonnes dans un Croiseur, et seulement 80 grammes dans un masque à gaz.
(Musique)
Journaliste
De la roue caoutchoutée à l’aile contreplaquée, les produits de l’AEF font la guerre. Engins gracieux et terribles, comme leurs ancêtres, les frégates, les avions Mosquito sont en bois. Un avion n’est pas fabriqué de douves comme un tonneau. Il est en contreplaqué. Et la forêt équatoriale est une mine d’avions. L’okoumé est le roi de la forêt gabonaise. Sur 15 mètres de long, 2 mètres de diamètre, le tronc n’offre pas une bosse, pas une branche, pas un nœud. De son bois rose, veiné, souple, on tire des poutres, des planches et du placage.
(Musique)
Journaliste
Le grand corps gisant est tronçonné. Ce n’est plus que du bois en grumes. 3 billes sans défaut. Il s’agit, à présent, de les acheminer.
(Musique)
Journaliste
30 tonnes de bois remorquées par une minuscule automotrice jusqu’à la rivière. Et c’est la mise à l’eau.
(Musique)
Journaliste
Les billes oscillent doucement, et se groupent comme des crocodiles endormis à demi immergés. On les amarre, et un remorqueur entraînera le radeau vers l’usine.
(Musique)
Journaliste
400 000 tonnes de billes peuvent descendre ainsi, chaque année, les rivières du Gabon. A l’arrivé à Port-Gentil, les treuils à vapeur s’emparent des billes. Certaines sont entraînées vers les scieries. D’autres sont fixées sur des tours géants, et l’on assiste à la fascinante opération du déroulage. La bille d’okoumé est attaquée par une lame, et la précision de l’appareil est telle que l’épaisseur des feuilles est réglée au millimètre.
(Bruit)
Journaliste
La feuille est découpée en rectangle de 1 mètre sur 2. Séchée à la vapeur, mise en caisse à claire-voie, elle est expédiée outre-mer, à l’usine où trois feuilles seront ajustées et collées à contre-fil, d’où le nom de contreplaqué. En Angleterre, on a mis au point une colle synthétique et un procédé de moulage qui permet d’obtenir des formes aérodynamiques aussi variées que possible. Mais l’aviation n’est pas le seul débouché de cette industrie. Et déjà des bois sont stockés pour fabriquer maisons et meubles que la guerre a détruits.
(Musique)