Allocution de Monsieur Mitterrand et interview du Caïd de M'Chounèche (2)

01 décembre 1954
01m 40s
Réf. 00212

Notice

Résumé :

Interview du Caïd (chef coutumier) Maoui par le journaliste Jacques Perrot.

Date de diffusion :
01 décembre 1954
Date d'événement :
29 novembre 1954
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Dans la nuit du 1er novembre, les fellaghas préparent une embuscade dans les gorges de Thiganimine, sur la route reliant Biskra à Batna, afin d'arrêter la navette autocar quotidienne qui relie les deux villes. Dans cet autocar voyagent un couple de Français, les Monnerot, instituteurs en Algérie depuis un mois, et le Caïd de M'Chounèche, Bennadji Sadok, un ancien officier qui se rend à Batna pour y montrer aux autorités françaises des tracts nationalistes et prévenir qu'il est l'objet d'un ultimatum s'il ne se lie pas au parti des indépendantistes. Lorsque les nationalistes arrêtent l'autocar et font mine d'emmener les deux Français, le Caïd s'interpose. Il est tué d'une rafale de mitraillette. Guy Monnerot est mortellement blessé. Sa femme est grièvement touchée au bassin.

Cet épisode n'est qu'une des nombreuses actions menées durant la nuit du 1er novembre. Mais sa portée, avec la mort d'un civil européen et celle d'un Français musulman dévoué à la France, prend force de symbole. L'événement frappe les esprits, masquant en partie cette autre réalité qu'ont pu démontrer Yves Courrière et Maria Romo : la plupart des objectifs du 1er novembre, souvent visés de façon assez "artisanale", ne firent que très peu de victimes et ne relevaient pas, globalement, d'une volonté terroriste systématique [Yves Courrière, Les Fils de la Toussaint, Paris, Fayard, 1998 / Maria Romo, "Le gouvernement Mendès France et le maintien de l'ordre en Algérie", in Jauffret J. C. et Vaïsse M. (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d'Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001].

Un mois après la mort du Caïd Sadok, l'interview par la télévision de son successeur, le Caïd Maoui, vise à accréditer l'idée que les Algériens de souche seraient opposés la rébellion, prêts à lutter contre elle et armés pour le faire. L'approche de la télévision épouse ici les exigences gouvernementales. Sa stratégie consiste à interroger un responsable militaire autochtone et à souligner la perte d'Algériens (une "sentinelle") dans la lutte contre les "rebelles" tout en jouant implicitement sur la charge émotionnelle du souvenir de Guy Monnerot et de Bennadji Sadok. On peut en effet noter l'introduction de l'entretien : "J'ai à mes côtés le Caïd Maoui qui a remplacé le Caïd Sadok qui a été tué dans les événements que l'on sait".

L'information se veut rassurante : d'un ton posé et assuré, le Caïd Maoui rapporte le détail d'une attaque, dans la nuit du 9 au 10 novembre, à laquelle n'a succédé qu'un petit accrochage. Un calme qui accréditerait la thèse du musellement en cours de l'insurrection et une déclaration qui rime avec celle de Pierre Mendès France, le 27, déclarant aux Français que "contrairement à ce qui a été dit, le calme règne en Algérie" alors même que les opérations de sabotage et les accrochages se multiplient. Il faut toutefois souligner une évolution dans le traitement télévisuel de l'Algérie à la charnière de novembre et décembre 1954 : à l'issue du voyage de François Mitterrand, un reportage d'information sur les "événements" permet d'entendre deux témoins civils de l'insurrection de la Toussaint.

Si, comme a pu le souligner Evelyne Cohen ["Télévision, pouvoir et citoyenneté", in Marie-Françoise Lévy (dir.), La Télévision dans la République. Les années 50, Bruxelles, Complexe, 1999], ce reportage valorise encore la logique gouvernementale, il témoigne de la timide amorce d'une vision élargie de la situation algérienne.

Philippe Tétart

Transcription

Jacques Perrot
J'ai à mes côtés le Caïd Maoui qui a remplacé le Caïd Sadok qui a été tué dans les événements que l'on sait. Voulez-vous nous rappeler, Monsieur le Caïd, ce qui s'est passé dans la nuit du 9 au 10 novembre ?
(Maoui) Caïd
Voilà, j'ai été installé le 8 novembre. Le 9, j'ai dû passer une nuit très calme. La nuit du 9 au 10, nous étions attaqués par surprise par des rebelles à 1h50 du matin. J'ai organisé une discipline très efficace à l'intérieur de mon poste.
Jacques Perrot
Vous aviez combien d'hommes ?
(Maoui) Caïd
J'ai un nombre environ en tout d'une quinzaine de types.
Jacques Perrot
Oui.
(Maoui) Caïd
Moi compris. Alors là j'ai des moyens pour me défendre, j'ai des grenades et des armes automatiques, mitraillettes et quelques armes individuelles. Alors de là, j'ai combattu contre ces rebelles de 1h50 du matin jusqu'à 4h et demi du matin. Ces derniers ont été retirés, et à 4h30 j'ai envoyé des patrouilles à (sic) circuler aux abords du village ; on n'a rien trouvé et de là on a repris la vie normale.
Jacques Perrot
Vous avez eu des pertes dans vos hommes ?
(Maoui) Caïd
J'ai un blessé qui a été la sentinelle au moment de l'attaque par surprise, et une sentinelle qui a été tué, au côté de l'école qui se trouve environ de moi à 200 mètres.
Jacques Perrot
Et depuis cette nuit-là, il ne s'est rien passé ?
(Maoui) Caïd
Depuis cette nuit-là, c'est… une nuit après il y a eu un petit accrochage très simple de quelques patrouilles qui sont venues vadrouiller ici avec la mitraille ; ces gens se sont retirés sans laisser de pertes.
Jacques Perrot
Monsieur le Caïd, je vous remercie.
(Maoui) Caïd
Je vous en prie.