Les Compagnies de hauts-parleurs et tracts
Notice
Présentation des compagnies de hauts-parleurs et de tracts (CHPT), nouvellement créées pour rallier les populations et les rendre fidèle à la France. Cet outil d'information audiovisuelle de l'armée s'inscrit dans le cadre de la guerre psychologique et fait partie du 5e Bureau.
Éclairage
La guerre d'indépendance algérienne est le premier conflit qui met en œuvre, avec un fort développement des moyens et tous types de supports, l'action psychologique. Elle est théorisée par quelques officiers, qui sous l'influence des événements de la guerre d'Indochine, sont convaincus de la « guerre révolutionnaire » menée par le FLN. L'état-major et le gouvernement général de l'Algérie (GGA) sont parfaitement conscients du rôle dévolu à la psychologie de masse dans le règlement futur du conflit algérien, surtout après l'arrivée de Maurice Bourgès-Maunoury à la Défense en janvier 1956 et de Robert Lacoste au poste de ministre résidant en Algérie. La direction des affaires politiques du GGA a un bureau psychologique et, cinq mois après le début de l'insurrection de novembre 1954, la Xe région militaire s'enrichit d'un « bureau régional d'action psychologique » – puis bureau psychologique ou 5e bureau – qui a clairement pour objectif de contrer l'action du FLN en matière de propagande et d'action psychologique. C'est à ce bureau que sont rattachés la section Algérie du SCA, le journal Le Bled, un service radiophonique diffusant sur Radio Alger, les Compagnies de haut-parleurs et tracts (CHPT) à partir de juin 1956, une imprimerie et de nombreux « officiers itinérants ». Les CHPT sont donc, tout comme le SCA, des outils au service de l'action psychologique, le cinéma ayant été jugé suffisamment important pour intégrer l'armada des médias à employer auprès des populations « musulmanes ». Les CHPT, qui sont inspirées directement des Loudspeaker and Leaflet Companies américaines, prendront le nom de Compagnies de diffusion et de production (CDP) en 1959.
Ce film était sans doute destiné à un public très particulier (limité aux personnels travaillant dans les CHPT et dans le renseignement) au vu des informations secrètes qu'il donne sur la mission des CHPT : « Créer dans une masse humaine déterminée un choc psychologique susceptible de modifier profondément son état d'esprit ». Il s'agit donc d'un « manuel » d'action psychologique et de propagande, qui montre les techniques employées par les équipes, sur fond de musique classique calme. Grâce à une autonomie de moyens et à leur mobilité, les camions de ces compagnies sillonnent le territoire algérien, allant à la rencontre des populations, notamment sur les marchés comme dans ce film, pour les abreuver des thèmes de la contre-propagande française. Tous les supports sont utilisés : photographies, tracts, causeries, films, panneaux, journaux... La forme orale et les images sont évidemment déterminantes auprès d'une population majoritairement analphabète. Plusieurs langues sont employées : française, arabe et kabyle, comme on le voit ici avec l'enregistrement d'un journal parlé en langue arabe, destiné à être diffusé par haut-parleur. D'après les chiffres cités dans le film, qui demeurent invérifiables, 500 000 habitants dans les zones habitées, ou 50 000 habitants dans les régions désertiques, sont touchés en quelques jours par ces sons et ces images de propagande. Mais, c'est primordial, ces chiffres cités ne valent pas pour eux-mêmes et ne viennent qu'après des opérations de renseignement visant à dresser une « carte psychologique » de la région à traiter, et avant des opérations strictement militaires : « Employées en combinaison avec des actions opérationnelles, administratives, économiques, sociales et culturelles, appuyées sur une infrastructure psychologique de plus en plus dense, ces unités, un des moyens de la guerre psychologique, moyen d'appoint ou même de choc, ont prouvé déjà leur efficacité dans la lutte menée en Algérie contre les forces de subversion ».
Le 5ème Bureau ne doute pas de l'efficacité de cette action psychologique. Les résultats sont difficiles à évaluer précisément, mais il y a lieu de douter de son influence concrète auprès des populations confrontées aux réalités de la guerre et du système colonial. En outre, la propagande nationaliste développée par le FLN et ses soutiens (pays arabes, l'Égypte en tête, puis le Maroc et la Tunisie après leur indépendance) connaît une importante diffusion et un succès réel.
Quoi qu'il en soit, Maurice Challe, nouveau commandant en chef en 1959 donne une nouvelle impulsion et un développement inédit à l'action psychologique du 5ème Bureau en lui attribuant des moyens humains et matériels inégalés.