Vivre à Mont-de-Marsan

10 mai 1977
45m 27s
Réf. 00501

Notice

Résumé :

Reportage qui s'intéresse aux pratiques culturelles dans une ville moyenne de province telle que Mont-de-Marsan. Du cinéma au musée, de la bibliothèque au disquaire, en passant par le sport ou encore la télévision, deux Montois, un professeur et une mère au foyer, nous parlent de leurs activités. A leurs témoignages s'ajoutent ceux des professionnels de la vie culturelle montoise et notamment de Raymond Farbos, président de l'Association Culturelle de la ville.

Type de média :
Date de diffusion :
10 mai 1977
Personnalité(s) :

Éclairage

Le document illustre les pratiques culturelles d'une petite ville de province (30 000 habitants), préfecture des Landes, à la fin des années 1970. Les politiques culturelles locales sont, à cette époque, en pleine réflexion, notamment depuis la mise en œuvre d'un ministère des Affaires culturelles en 1959. Pour autant, l'époque est très incertaine en la matière : les inégalités des pratiques culturelles, mises en évidence depuis le début des années 1960 par les travaux de Pierre Bourdieu, contrastent avec la volonté du ministère de "démocratiser la culture" et de la rendre accessible à tous.

Les inégalités territoriales, notamment celles entre Paris et la province, sont aussi dénoncées par les élus locaux, qui réclament plus de marge de manœuvre et la possibilité de disposer de véritables leviers institutionnels pour développer des politiques culturelles locales dynamiques. L'heure de la décentralisation culturelle n'a pas sonné, les projets de maisons de la culture tant attendus par André Malraux ont été abandonnés. En ce sens, les professionnels de la culture (artistes, libraires, bibliothécaires etc.), les associations culturelles attendent la mise en œuvre de nouveaux mécanismes législatifs et un renforcement de l'implication des collectivités locales dans le secteur culturel : aides aux compagnies locales, aides aux libraires indépendants, construction de salles de spectacles ou de cinéma etc.

Les besoins des petites et moyennes villes sont d'autant plus forts, que les pratiques culturelles ont tendance à se développer et à se diversifier depuis le début des années 1960 : développement du cinéma, diversification des genres musicaux etc. 1968 a permis de montrer les importants écarts qui existent entre la volonté de démocratisation souhaitée par Malraux et les attentes des masses. Celles-ci sont déçues par un ministère brouillon et autoritaire qui donne la priorité au patrimoine architectural et quelques créations qui correspondent aux goûts d'un ministre très critique sur les arts contemporains. Les années suivantes, qui se caractérisent par un désengagement de l'Etat, et par le manque de marge de manœuvre des collectivités locales pour impulser des politiques dynamiques, confirment la tendance.

Le reportage illustre remarquablement la situation culturelle du pays à la fin des années 1970. Les années 1980, de part le volontarisme du ministère Lang et les pratiques de décentralisation culturelle modifieront la donne.

Bibliographie :

- MOLLARD, Claude , Le Cinquième pouvoir. La Culture et l'Etat de Malraux à Lang, Paris : A. Colin, 1999.

- POIRIER, Philippe, L'Etat et la culture en France, Paris : Larousse, 2007.

Laurent Jalabert

Transcription

(Bruit)
Journaliste
28 000 habitants, ville de garnison, préfecture du département des Landes, numéro 40 sur les plaques minéralogiques automobiles ; une ville moyenne comme la désigne le contrat récemment signé par Mont-de-Marsan avec l’Etat. Traduisez, une ville comme les autres, avec ses toits de tuiles, sa petite gare, ses supermarchés, ses parcmètres ; et la rivière au milieu qui se pollue doucement. Le trou [incompris] a écrit [incompris] de Mont-de-Marsan. Il aurait pu désigner de la même manière Niort, Millau, Lens, Montélimar, Longwy ou Saint-Flour. Parce qu’il y a en effet quelque chose d’enfoui, de lointain, de perdu dans ces villes de la petite province, qui s’ignorent forcément entre elles, et dont Paris connaît quoi au juste ? Chacun sait vaguement que Mont-de-Marsan a poussé quelque part au milieu de la forêt landaise ; et que certains de ses enfants, profitant sans doute du climat et de la bonne chère, sont devenus d’immenses champions de rugby. Oui, mais quelles sont les pratiques culturelles des Montois, que lisent-ils ? Quels disques écoutent-ils ? Comment vivent-ils en somme la culture quotidienne ; c’est-à-dire celle du journal matinal, cette ration de pensée mâchonnée avec le petit déjeuner ; et celle de la télévision, cette nouvelle prière du soir, mystère. C’est à se demander parfois, si nous n’en savons davantage sur les rites bantous que sur notre propre pratique culturelle. Mais d’abord, à qui avons-nous affaire ?
Yves Saphy
Dans la commune de Mont-de-Marsan, plus du tiers de la population active vit soit de l’armée, soit de l’administration ; la maison de l’agriculture, direction de la santé, les renseignements généraux, l’inspection académique, et l’inspection du travail.
Journaliste
Alors, qu’est-ce que ça implique comme conséquence ?
Yves Saphy
Ben, c’est une ville essentiellement composée de fonctionnaires. Je ne sais pas si du point de vue de la mentalité, ça a des conséquences. En tout cas, du point de vue de l’emploi, ce qui est important, c’est qu’une grande partie de l’emploi local est déterminée depuis l’extérieur de Mont-de-Marsan ; c’est-à-dire depuis Paris.
(Bruit)
Journaliste
Sortie de la grand-messe en l’église Sainte-Madeleine, la même qu’il y a 100 ans. Tradition religieuse sans doute, mais aussi trace, sillage culturel ; et la photo de famille, culture, et le repas de communion, culture encore. Pour faire le portrait culturel d’une ville, il ne suffit donc pas d’additionner ses agrégés de lettres, ses prix de concours général ; et ses gagnants au super Banco du Jeu des 1 000 francs. La vérité ne réside pas dans les inventaires statistiques, mais dans la vie quotidienne. Déchiffrer les signes qu’elle nous fait, interroger la mémoire collective de la ville, apprendre ses valeurs.
Yves Saphy
Le théâtre municipal, on y joue surtout des pièces des galas Karsenty-Herbert, parfois aussi des artistes isolés viennent y faire des représentations. Mais je me demande si le stade municipal n’est pas le meilleur théâtre de Mont-de-Marsan.
Journaliste
Ici, comme dans beaucoup de villes de France au demeurant, il n’y a pas de maison de la culture. Mais on compte cinq stades, quatre salles couvertes, un trinquet et une piscine. Un habitant sur huit pratique assidûment un sport. Ce serait donc méconnaître cette ville et probablement ses semblables que de faire abstraction d’une donnée aussi importante. Faut-il y voir le triomphe du muscle sur l’intelligence ? Ou bien, y aurait-il une façon moins schématique de regarder le sport ? Et si, par exemple l’homme, en venant sur ce terrain collectif ne courait pas seulement après son ombre et le temps. Alors, c’est dur de s’y remettre ?
Yves Saphy
Il faut chaud, il fait très chaud. Puis, ça fait quand même un certain temps que la saison est finie. Enfin, ça fait du bien quand même.
Journaliste
Pour la plupart des gens, le fait de se passer un ballon passe pour une activité simplement manuelle.
Yves Saphy
C’est une activité manuelle et physique incontestablement, mais il y a aussi des possibilités d’expression intellectuelle considérables. Ceci dit, il est vrai que dans le sport, les manuels n’ont pas à subir la loi des intellectuels ; comme ils doivent en fait le subir dans la peinture, dans la sculpture ou par ailleurs. Pour toutes les autres formes de culture, ce sont les intellectuels qui décident ce qui est bon ou ce qui n’est pas bon. Dans le domaine sportif, ce n’est pas tout à fait vrai. Si vous regardez un match attentivement, je crois que la quantité de sentiments qui est exprimée sur un terrain, je crois que pour moi, un match de rugby, c’est une scène de théâtre. Tous les sentiments sont exprimés, la solidarité, l’agressivité, la haine. Tous les sentiments peuvent être exprimés pendant un match, quel que soit le sport.
Journaliste
Parce que l’Espagne n’est pas loin et pousse sa corne jusqu’ici, Mont-de-Marsan possède des arènes. Chaque année, à l’occasion des fêtes patronales, les meilleurs toreros s’y rendent pour des corridas dont la réputation est aussi ancienne que le siècle. C’est là bien sûr une tradition culturelle différente, un trait particulier dans le signalement de la ville. Mais pour l’essentiel, Mont-de-Marsan répond au portrait-robot de la ville moyenne. Elle a son cercle d’échecs, son groupe de jeunes qui organise des concerts de pop music et de rock. Ses associations folkloriques, son école de musique, son club féminin, "Mont-de-Marsan accueil" son cercle de bridge et sa jeune troupe théâtrale vivant difficilement. Elle s’appelle ici le théâtre de feu et brûle d’une passion qui n’est pas aussi encouragée qu’elle le souhaiterait. Pour sa part, le maire se félicite de consacrer à la culture 10 % de son budget. Et à ce propos opère un rapprochement qu’on n’attendait guère entre culture et maintien de l’ordre. Plus les jeunes sont encadrés en nombre dans des organisations de cette nature, dit-il, et moins il y a de délinquance.
(Musique)
(Bruit)
Journaliste
Le journal quotidien, ça entre pour vous dans la vie culturelle des gens ?
Yves Saphy
J’ai l’impression que la lecture d’un journal, c’est surtout pour s’informer des nouvelles locales, nouvelles sportives plus que nouvelles politiques. Les nouvelles politiques, on en reste le plus souvent au titre.
Journaliste
Et pour vous ?
Yves Saphy
Ben pour moi le journal c'est... d’abord, ça m’intéresse beaucoup, puis en plus, ça fait partie de mon travail ; puisque pratiquement tous les jours, je découpe des journaux. Là je suis en retard, j’ai un paquet de journaux à découper. Et je découpe et je les place dans des chemises là. Ça me sert pour faire travailler les élèves dessus. Là, je vais vous montrer ce que je fais avec mes découpages. Parce que je passe à peu près deux ou trois heures pas semaine à découper. Alors, vous voyez, j’ai 90 ou 95 chemises sur des sujets différents, entreprises, multinationales, des sujets très divers, mais toujours liés à mon travail. Alors, je découpe les articles, puis je les mets en tas. Puis, quand j’ai besoin de traiter une question pour les cours, ben, à ce moment-là, je me mets à tout lire. Parce que je n’ai pas lu tous les articles qui sont là-dedans. Mais quand j’en ai besoin, je lis ce qui m’intéresse pour le travail.
Journaliste
Est-ce qu’il y a une notion de plaisir quand même ?
Yves Saphy
Oui, mais c’est directement utilitaire. Enfin, ce n’est pas toujours directement, mais c’est utilitaire en tout cas. J'en arrive à m’intéresser beaucoup plus au sujet qui concerne le travail, que je peux utiliser dans le travail, qu’aux autres sujets. Le reste, j’en arrive à le négliger.
Journaliste
Il y a des romans là quand même.
Yves Saphy
Quelques romans, oui, mais j’en lis assez peu. Quelques romans policiers qui ne sont pas là d’ailleurs. Un peu de littérature africaine, parce que j’ai eu l’occasion d’y aller, enfin ou de littérature sur l’Afrique. Et c’est à peu près tout.
Journaliste
Qu’est-ce que vous vendez surtout Madame ici ?
Intervenante 1
Sud-Ouest monsieur, c'est le journal que nous vendons le plus.
Journaliste
Et pourquoi à votre avis ?
Intervenante 1
Parce qu’il est régional d’abord, et il donne toutes les nouvelles de la localité.
Journaliste
Est-ce que vous vendez des magazines culturels ?
Intervenante 1
Nous vendons des revues comme La Revue des Deux Mondes. Il y en a des quantités….
Journaliste
Ça se vend bien ?
Intervenante 1
Moyennement, surtout les livres au point de vue culturel.
Journaliste
C’est-à-dire, vous avez... Vous faites librairie en même temps alors ?
Intervenante 1
Oui.
Journaliste
Et qu’est-ce qui se vend le mieux en librairie, les nouveautés ? Par exemple, qu’est-ce que vous avez vendu récemment beaucoup ?
Intervenante 1
Récemment, ce sont les prix de la presse qui se sont vendus, c’est-à-dire Le Grand capitaine, et Ne pleure pas. Et il y a des livres qu'on vend sur le rugby, le livre de Dauga également.
Journaliste
Cette jeune femme se nome Armelle Turc, sans profession, mère de trois enfants. Elle et son mari, cadre en agronomie, ont jadis vécu à Paris. Puis, ils ont choisi de s’installer à Mont-de-Marsan. Ils ont fait bâtir leur maison à la campagne. Est-ce étrange ? Ils avouent, nous sommes heureux.
Armelle Turc
Je suis née en province, je suis née à la campagne, je suis une rurale ; ce qui fait que d’habiter comme ici à la campagne avec une ville en plus à quelques kilomètres, non au contraire.
Journaliste
C’est pour ça que vous avez choisi un décor très campagnard ?
Armelle Turc
Très campagnard, oui, absolument, entouré de prairie. Je ne dis pas de pelouse, parce que c’est une prairie et des grands arbres.
Journaliste
Alors, vos arbres.
Armelle Turc
Oui, mes arbres, ce sont mes compagnons de chaque jour, je les vois tous les jours.
Journaliste
Vous m’avez dit que ça faisait partie de la culture ça.
Armelle Turc
Oui, exactement !
Journaliste
Pourquoi ?
Armelle Turc
Ben, parce que je trouve que c’est très beau, ça suffit.
Journaliste
On pourrait regarder un chêne comme….
Armelle Turc
Oui, à travers le soleil couchant, c'est encore mieux.
Journaliste
Lequel vous regardez tout le temps ?
Armelle Turc
Non, je les aime tous.
Journaliste
Un des actes culturels les plus ordinaires et les moins conscients de la vie courante est sans doute le simple achat des objets ; ce dont on se vêt, ce dont on aime s’entourer, l’objet comme emblème social ou comme représentation d’un idéal de beauté ; dont on s’offre la jouissance en même temps que la possession.
Armelle Turc
Vous pourriez me dire, s’il vous plaît, le prix de ce petit coffret ?
Inconnue 1
3 000 francs, c’est un coffret à parfum. Vous l’ouvrez, il est à musique, et c’est un coffret à bijoux, les pierres sont en cristal incrustées d’or.
Armelle Turc
Je peux laisser ?
Inconnue 1
Oui !
Armelle Turc
J’aime bien la maison, j’aime bien la décoration. Malheureusement, ça aussi, ça coûte cher. Mais enfin, on s’efforce de chercher par le biais des ventes aux enchères ou quelques antiquaires ; on arrive quand même en cherchant bien, à trouver quelques meubles à des prix raisonnables.
Journaliste
Il y a des antiquaires valables en province ?
Armelle Turc
Oui !
Journaliste
Puis, il y a l’objet comme support de la culture, instrument d’usage individuel, d’ordinaire coûteux et techniquement raffiné, qui incarne et diffuse une culture sans visage. La chaîne à haute fidélité, vous l’avez achetée ici ou… ?
Armelle Turc
Oui, à Mont-de-Marsan, je l’ai acheté à Mont-de-Marsan.
Journaliste
Il y a ce qu’il faut alors.
Armelle Turc
Oui !
Journaliste
Comment avez-vous fait pour l’acheter ?
Armelle Turc
Ah, comment j’ai fait pour l’acheter ? Alors, c’est toute une histoire, parce que c’est compliqué quand on n’y connaît rien, tout compte fait. Alors, comme j’écoutais déjà France Musique sur un autre poste, un petit poste. Et je me suis dit que la meilleure solution, c’était de téléphoner à France Musique ; et d’essayer d’avoir un technicien pour m’expliquer ce qu’il fallait vraiment acheter.
Journaliste
C’est passé comme ça ?
Armelle Turc
Oui, comme ça, exactement.
Journaliste
Il vous a conseillé ?
Armelle Turc
Ah, il m’a conseillé, je veux dire, il n’a pas imposé sur la marque, mais enfin sur tous les détails techniques.
Journaliste
Et cette chaîne existait à Mont-de-Marsan ?
Armelle Turc
Oui, c’est-à-dire que j’avais vu quelqu’un qui l’avait déjà. Alors, il m’a fait entendre, ça allait très bien.
Journaliste
Vous écoutez quand ?
Armelle Turc
Quand ? Toute la journée pratiquement.
Journaliste
C’est-à-dire en faisant….
Armelle Turc
Oui, en faisant mon petit train-train.
Journaliste
Du matin au soir.
Armelle Turc
Du matin au soir, depuis la Marseillaise du matin, enfin pas jusqu’à la Marseillaise du soir, mais c’est juste.
Journaliste
Les concerts, vous disiez que les concerts vous manquaient.
Armelle Turc
Oui !
Journaliste
Alors, à Mont-de-Marsan, vous en avez vu cette année ? Qu’est-ce que vous avez vu ?
Armelle Turc
Non, ce n’est pas très aspiré, ça me suffit, je dois dire, franchement la chaîne. Je m’achète des disques, j’écoute France Musique. Je m’informe donc par ce biais. Ensuite, si vraiment j’ai envie de réentendre, ben, je vais m’acheter le disque.
Journaliste
Et quand passe un grand concertiste dans la région ?
Armelle Turc
Les grands concertistes sont plutôt rares dans la région, il faut aller à Bordeaux.
Journaliste
Vous êtes allée à Bordeaux ?
Armelle Turc
Non, pas encore.
Journaliste
Vous avez envie d’y aller ?
Armelle Turc
Oui, enfin avec les enfants, c’est toujours un problème, mais peut-être un peu plus tard.
Journaliste
Et pour les disques, comment vous faites ?
Armelle Turc
Les disques, ben, il y a un magasin à Mont-de-Marsan, très bien achalandé.
(Bruit)
Armelle Turc
Je venais voir si vous avez reçu mon disque.
Intervenante 2
Non, celui que vous m’avez commandé par téléphone la semaine dernière, Rapsodie norvégienne de Lalo. Alors, je ne l’ai pas, je l’ai mis en commande.
Armelle Turc
Et je voudrais les musiques de Monsieur Widor, Charles-Marie Widor…
Intervenante 2
Oui, c’est une musique d’orgue.
Armelle Turc
Voilà, c’est ça.
Intervenante 2
Oui, ben, ça va être chez Erato de toute façon. Voilà, je vais essayer de vous l’avoir avant les vacances, parce qu’après, il y a du retard des maisons qui ferment, des maisons qui ont du personnel de remplacement. On n’est pas toujours satisfait des livraisons, ça pose des problèmes les demandes de vacances. Mais j’ai relevé votre numéro de téléphone.
Armelle Turc
Bon, très bien, vous m’appelez quand il y en a.
Intervenante 2
Je vous appellerai quand j’aurais quelque chose.
Armelle Turc
Bon, et bien ça m'évitera de revenir, au revoir Madame.
Intervenante 2
Au revoir Madame, merci !
Journaliste
Vous avez des problèmes avec les livraisons, Madame ?
Intervenante 2
Il y a des disques qui manquent, qui sont carrément manquants, en réimpression. Quelquefois, ils sont supprimés du catalogue en cours d’année, ça arrive aussi. Ça m’est arrivé dernièrement chez Decca. Alors, le problème c’est quelquefois, nous sommes obligés quand nous commandons que la commande fasse un certain chiffre.
Journaliste
C’est-à-dire.
Intervenante 2
Minimum, je pense que ça arrive maintenant à peu près dans toutes les maisons, à 300 francs hors taxes. Alors, pour satisfaire un client, Madame Turc est une bonne cliente par exemple. Eh ben, pour satisfaire sa demande, je vais par exemple demander son disque en complétant par des choses dont je n’ai pas précisément besoin en ce moment. Et je vais recevoir tout, sauf son disque. Et ça nous arrive couramment, vous voyez.
Journaliste
Les jeunes ici aussi achètent des disques de pop music et de variétés. En un an, Madame Lalagu a vendu quatre chaînes haute fidélité, mais pas un seul magnétoscope, il n’est pas encore entré dans les mœurs. En revanche, les récepteurs de télévision continuent de s’écouler comme des petits pains.
(Bruit)
Christiane Lahitete
Il y a quelque chose en particulier que vous cherchez ?
Armelle Turc
Pour les vacances, je voudrais quelque chose d'intéressant.
Christiane Lahitete
Qui vous délasse.
Armelle Turc
Qui délasse, mais enfin qui soit quand même assez intéressant.
Christiane Lahitete
Bien vous avez Le Palais des fêtes de Max Gallo, vous avez des tas de livres de ce style. Vous avez le livre de Françoise Dorin aussi. Va trouver maman, papa travaille, vous voyez, tout dépend du style que vous désirez.
Armelle Turc
Non, je veux…. Vous n’auriez pas les œuvres d'Edgar Poe par hasard ? [Inaudible]
Journaliste
Les jeunes ici aussi achètent des disques de pop music et de variétés. En un an, Madame Lalagu a vendu quatre chaînes haute fidélité, mais pas un seul magnétoscope, il n’est pas encore entré dans les mœurs. En revanche, les récepteurs de télévision continuent de s’écouler comme des petits pains.
(Bruit)
Christiane Lahitete
Il y a quelque chose en particulier que vous cherchez ?
Armelle Turc
Pour les vacances, je voudrais quelque chose d'intéressant.
Christiane Lahitete
Qui vous délasse.
Armelle Turc
Qui délasse, mais enfin qui soit quand même assez intéressant.
Christiane Lahitete
Bien vous avez Le Palais des fêtes de Max Gallo, vous avez des tas de livres de ce style. Vous avez le livre de Françoise Dorin aussi. Va trouver maman, papa travaille, vous voyez, tout dépend du style que vous désirez.
Armelle Turc
Non, je veux…. Vous n’auriez pas les œuvres d'Edgar Poe par hasard ?
Christiane Lahitete
C’est-à-dire, je pense que nous les avons en petite collection Gallimard. Attendez, je vais appeler mon employé parce que il les a... nous les avons à la réserve, je suppose. Bernard, nous avons les œuvres d'Edgar Poe dans la collection Gallimard ?
Bernard
Ah non, on ne les a pas.
Christiane Lahitete
On devait les recevoir alors.
Bernard
Ecoutez, je vais me mettre derrière, s’il y a un petit problème là.
Christiane Lahitete
On ne les a plus, je pense.
Armelle Turc
Vous n’avez pas le livre, comment il s’appelle cet auteur, sur l’île de Pâques. Mais ça, vous ne pourriez pas me le commander ?
Christiane Lahitete
Si, dans la collection Plon. On peut vous le commander.
Armelle Turc
Comment il s’appelle, Mizière ou Mazière, je ne sais plus.
Christiane Lahitete
C’est dans la collection Plon Terres humaines, oui. On peut vous le commander, l'avoir assez rapidement, parce que Plon nous livre très vite. Autrement, nous avons Le cheval d’orgueil .
Armelle Turc
Mais ça, je l’avais déjà acheté.
Christiane Lahitete
Vous l’avez déjà, oui. Si vous aimez ce style, vous avez des tas de livres dans cette collection.
Armelle Turc
Ah oui, il y a ce livre-là sur le village.
Christiane Lahitete
Ah, Montaillou, village occitan. Ah oui là, c’est un livre extraordinaire.
Armelle Turc
Très bien, ben voilà.
Christiane Lahitete
C’est un livre extraordinaire que nous vendons beaucoup, parce que c’est de Le Roy Ladurie. Et je suppose que, vous voyez, avant 50 ans, il n’y aurait pas un autre document de ce genre.
Armelle Turc
Tiens, ben, je crois que ça ira.
Christiane Lahitete
Nous le vendons extrêmement d’ailleurs c'est le cheval de bataille de notre librairie. Nous le vendons beaucoup, au moins tous les jours, une à deux fois tous les jours, et nous le suivons régulièrement, vous voyez.
Armelle Turc
Quel est le prix de ce livre ?
Christiane Lahitete
Vous avez le prix ici, vous avez un cavalier.
Armelle Turc
59 francs.
Christiane Lahitete
59 francs, voilà.
Armelle Turc
Bon, je vais déjà prendre ça. De toute façon, vous me commandez les autres.
Christiane Lahitete
Oui, on va vous le commander, Bernard, tu vas le marquer n'est-ce-pas ? Vous l'aurez avant la fin de la semaine, parce que Plon livre très vite. Vous l’aurez pour partir en vacances.
Armelle Turc
Parfait, merci bien !
Journaliste
Madame Lahitete, est-ce que c’est difficile de tenir une librairie de ce style à Mont-de-Marsan ?
Christiane Lahitete
Pour moi, non, j’arrive à dominer le sujet, surtout que nous sommes spécialisés. Moi bien sûr, je m’occupe de tous ces livres, et lui de la philosophie. Alors au fond, il est très compétent en philosophie mon coéquipier. En plus, j’avais une culture très classique, ce qui fait que ça va poser aucun problème.
Journaliste
Oui, mais est-ce qu’il y a une clientèle à Mont-de-Marsan pour Piaget, pour Deleuze, pour Guattari ?
Christiane Lahitete
Oui, mais bien sûr, parce que les commandes, c’est par 50. C’est normal parce que…
Journaliste
Qui ?
Christiane Lahitete
Les psychiatres.
Journaliste
Mont-de-Marsan n’est pas seulement peuplé de psychiatres.
Christiane Lahitete
Si, il y a une école d’enfants inadaptés. Alors, il y a beaucoup d’infirmières, d’élèves infirmiers. Alors, ils nous commandent, ils viennent acheter des livres eux-mêmes, ou alors quelquefois les psychiatres. Ils achètent directement par 50 pour leur distribuer voyez-vous.
Journaliste
Et quels ont été vos best-sellers cette année alors ?
Christiane Lahitete
Nos best-sellers, ben, je pense que c’est Montaillou, Village occitan que nous avons vendu le plus, alors et toi, dans ta collection, le Piaget, finalement on vend un peu de tout sauf des romans policiers. On ne m’en demande jamais, ni des Angélique, ni des choses qui sont très intéressantes pour certains. Je suppose, mais enfin ce n’est pas le genre de notre clientèle. Ils ne rentrent pas ici pour un Angélique ou pour un roman policier.
Journaliste
Vous avez une bonne clientèle, ou Mont-de-Marsan est une ville très cultivée ?
Christiane Lahitete
Une clientèle, c’est-à-dire que nous avons une clientèle de professeurs, d’étudiants qui achètent leurs livres ici. Puis, avec ces écoles, je vous dis, d’enfants inadaptés, ils ont trouvé ce qu’ils allaient chercher à Bordeaux ou à Pau. Alors, ils se sont précipités le premier jour pour rafler tous les Bettelheim, ce qui fait que malgré tout, vous savez, ça a pris assez vite.
Journaliste
Peut-on croire que 28 000 Montois engloutissent voracement du Piaget, du Le Roy Ladurie et du Bettelheim ? Ici, une élite consomme le savoir en vogue. Mais là, derrière les murs de la lecture publique, la vérité est plus humble.
Sylvette Salzard
On lit surtout des romans, dans la majorité des cas des prix littéraires qui ont beaucoup de succès, les livres dont on parle à la télévision, à la radio. En général, le public lit des comptes rendus ou écoute des critiques et il veut absolument lire les livres après coup.
Journaliste
Par exemple, vous avez des idées de titres en mémoire ?
Sylvette Salzard
Ben, pour les prix littéraires, on a eu La Vie devant soi d'Emile Ajar. Alors là, on a acheté deux ou trois exemplaires de cet ouvrage. Ils sont toujours en réservation. Les personnes peuvent les demander, faire un tour d’attente pour lire l’ouvrage. Depuis que c'est paru, donc en novembre, les livres sont toujours en réservation. On n’a jamais pu les mettre en rayon.
Journaliste
Et encore.
Sylvette Salzard
Encore, on a le Peyrefitte, l’ouvrage sur la Chine, je ne sais plus le titre exact, Quand la Chine s’éveillera. Alors là, il est en réservation depuis l’année dernière pratiquement.
Journaliste
Et qui est-ce qui vient chercher les livres ici ?
Sylvette Salzard
Une majorité des personnes qui ne travaillent pas, des retraités, des jeunes femmes qui ne travaillent pas, qui ont de jeunes enfants, et énormément de lycéens. Puis alors l’autre public, nous avons des professeurs, instituteurs ; beaucoup de militaires puisqu’il y a deux bases ici, très peu d’ouvriers par contre, très peu d’exploitants agricoles.
Journaliste
Vous êtes insuffisamment connue peut-être, non ?
Sylvette Salzard
C’est-à-dire qu’il faut venir à Mont-de-Marsan. Oui, on n’est pas très connu, enfin, comme toutes les bibliothèques. On est un petit peu méconnu plutôt. Puis, il n’y a qu’une bibliothèque dans le centre des Landes. Alors pour les personnes qui habitent en dehors de Mont-de-Marsan, il y a probablement un problème de déplacement. Je pense par exemple aux exploitants agricoles. Puis, il y a des horaires qui ne sont peut-être pas très commodes, les horaires de travail. Nous, nous sommes ouverts jusqu’à 7 heures le soir, mais peut-être que personne ne le sait. On essaie de faire de la publicité, mais je ne sais pas ce que ça donne.
Journaliste
Qu’est-ce qui diffuse la culture dans une ville comme Mont-de-Marsan ? Qui la diffuse, vous, les bibliothécaires ?
Sylvette Salzard
Ah, je ne sais pas, à Mont-de-Marsan, c’est très difficile.
Journaliste
Mais dites-nous.
Sylvette Salzard
On espère, nous, puis par l’intermédiaire des écoles, je pense, des écoles et des lycées. Autrement, au point de vue artistique et théâtre aussi, je trouve qu’il n’y a pas grand-chose. Les musées aussi, quelques expositions, il y a des concerts, mais il n’y a peut-être pas assez de publicité, ou ce n’est peut-être pas accessible à tout le monde. Mais nous, pour la bibliothèque, on voudrait que ce soit accessible à tout le monde. On essaie de faire beaucoup de publicités dans ce sens.
Journaliste
Par exemple, vous avez fait un rayon enfant alors.
Sylvette Salzard
Oui, mais ça c’est tout à fait normal. Ça doit exister dans toute bibliothèque.
Journaliste
Comment fonctionne-t-il alors ?
Sylvette Salzard
Mais il fonctionne comme la bibliothèque des adultes, c’est-à-dire le même principe de prêt de livre. Les enfants ont droit à autant de livres qu’ont droit les adultes, c’est-à-dire qu’ils peuvent emprunter trois livres. Le classement des livres est le même qu’en bibliothèque d’adulte. On essaie de les préparer à la lecture d’une bibliothèque publique.
Journaliste
Combien de personnes à peu près vous achètent les livres ou les empruntent ?
Sylvette Salzard
Chez les adultes, nous avions l’année dernière en 75, à peu près 1 000 abonnés adultes. Et pour les enfants, nous en avions à peu près 900, c’est-à-dire presque autant. Et les enfants ont beaucoup moins de moyens en locaux finalement.
Yves Saphy
La culture pour moi, ce qui est le plus important, c’est ce qu’on peut faire, ou ce qu’on peut comprendre avec ses tripes.
Journaliste
Ce n’est pas le nombre de rayonnages dans une bibliothèque.
Yves Saphy
Non, certainement pas. A la limite même, le nombre de bouquins dans une bibliothèque, ça peut être un signe extérieur. A la limite, certains bouquins sont achetés pour la reliure, plus que pour le contenu. Je participe assez peu aux rares activités culturelles qu’il y a.
Journaliste
Pourquoi ?
Yves Saphy
Pourquoi ? J’ai visité les musées de Mont-de-Marsan, je connais assez bien la bibliothèque, j’y vais de temps en temps, mais enfin, ça reste un peu extérieur à moi.
Journaliste
Et pour le reste, pour le théâtre et cinéma ?
Yves Saphy
Pour tout ce qui est théâtre et cinéma, incontestablement c’est plus difficile, parce qu’il va y avoir trois salles de cinéma à Mont-de-Marsan. Et si vous enlevez les films pornographiques, et certains films policiers sans intérêt, il ne reste plus grand-chose. Donc, du point de vue cinéma, ce n’est pas satisfaisant.
Journaliste
Le système de distribution des films, surtout dans les petites villes, limite la liberté de choix du public. Cinématographiquement, c’est vrai, la province est un désert. Pour le reste, on peut s’interroger sur un phénomène qui se répète de ville en ville. C’est presque toujours le même petit groupe de notables de bonne volonté qui fait le programme culturel de l’année.
Raymond Farbos
L'année culturelle à Mont-de-Marsan, nous allons prendre la dernière si vous voulez. C’est la plus récente, c’est donc là que j’en oublierai le moins. Nous avons en octobre, puisque notre année culturelle commence en octobre, organisé dans le cadre des soirées d’automne sur le musée ; des expositions qui ont présenté [incompris]. Nous avons présenté l’œuvre du prix de sculpture de l’année qui était Michel [incompris]. Et à cette période-là, nous faisons un festival, c’est peut-être un mot un peu prétentieux le mot festival. Mais un ensemble de manifestations de disciplines très différentes qui couvrent à peu près une plage d’un mois et demi. Alors, nous avons du théâtre, nous avons de la musique avec des concerts d’orchestres importants ou des solistes. Nous avons des conférenciers, pour vous citer le genre de conférence, nous avon eu Haroun Tazieff, De Closets, Rébuffat, par exemple. Nous avons également du cinéma avec des présentations de films ou en avant-première ou avec le metteur en scène ; ou une personnalité qui a participé à sa création et un débat après cette projection. Qu’est-ce que je peux encore oublier ? Il y a de la danse.
Journaliste
Combien de personnes sont touchées par ces manifestations à peu près ?
Raymond Farbos
Je pense que nous pouvons, suivant les disciplines, le chiffrer entre 600 et 300.
Journaliste
Sur combien d’habitants ?
Raymond Farbos
28 000 habitants sur l’agglomération. Il est certain qu’il est difficile de faire davantage de spectateurs pour la bonne raison que les salles dont nous disposons ne sont pas supérieures au point de vue capacité.
Journaliste
Est-ce que c’est la seule raison à votre avis ?
Raymond Farbos
Non, je ne pense pas que ce soit la seule raison ; parce qu’en fait, on a très rarement refusé du monde. Dans des occasions très très exceptionnelles, je pense à une opérette que nous avons donné il y a deux ans, et qui avait été le retour de l’opérette à Mont-de-Marsan depuis de nombreuses années. C’est la seule fois où on a effectivement vendu 650 places et strapontins et refusé du monde.
Journaliste
C’est vous qui choisissez un petit peu ?
Raymond Farbos
C’est nous qui choisissons. Nous choisissons en accord avec la municipalité sur le plan du théâtre, puisqu’elle concerve la maîtrise du programme théâtral. Mais elle nous laisse pour cette fois là le choix.
Journaliste
Et si vous n’étiez pas là.
Raymond Farbos
Il est certain qu’on est peu nombreux dans une petite ville de cette dimension, avec Henri Lacoste, qui était Maire adjoint. Nous avons été invraisemblablement, et deux ou trois autres, les animateurs de la vie culturelle. Vous me faites dire des choses un peu prétentieuses.
Journaliste
Pourquoi quoi alors ? Parce que vous étiez bourgeois ? Parce que vous aviez le savoir, le temps, l’argent ?
Raymond Farbos
Non, le goût peut-être. Le temps, on le prend, parce que j’ai des occupations professionnelles qui sont très prenantes. Le temps, on le prend en plus de son travail. Et puis, on s’organise aussi, on arrive à s’organiser pour tout faire.
Journaliste
Il faut de l’argent quand même.
Raymond Farbos
Oui, bien entendu, je ne vais pas vous dire que l’argent n’aide pas dans certains cas. Mais enfin, je ne pense pas que ce soit indispensable.
Journaliste
Le haut lieu culturel de la ville, la magie taillée dans la pierre, c’est le musée. Consentant un effort financier important, la municipalité a fait aménager un vieux donjon qu’on a rebaptisé du nom du deux grands sculpteurs montois, Despiau et Wlérick. Aucun doute, c’est un beau musée.
Yves Saphy
Quand je visite un musée, je vois de la sculpture, des peintures, il y en a que je trouve belles, il y en a que je ne trouve pas belles. Mais moi-même, je ne sais pas dessiner, je ne sais pas sculpter, enfin ou très peu. Donc, c’est extérieur à moi. C’est intéressant, mais je ne le ressens pas dans moi-même.
Journaliste
Ce sont les beaux-arts ça.
Yves Saphy
Oui, c’est la culture traditionnelle, oui. Pour moi, ce n’est pas le plus important.
Journaliste
Vous aimez la peinture ?
Armelle Turc
J’aime bien, oui. Je découvre, disons.
Journaliste
Et à Mont-de-Marsan alors ça se traduit comment ?
Armelle Turc
Ah ben à Mont-de-Marsan, il y a quelques expositions que je vais voir en général tous les ans. On avait, l’année dernière, une exposition de Fernand Léger. Je n’aime pas tellement, mais enfin, j’y vais quand même pour mon information et pour avoir au moins l’opinion sur la chose.
Journaliste
Et celles de Bordeaux ?
Armelle Turc
Non, je ne vais pas tellement à Bordeaux, rarement.
(Musique)
Journaliste
Pour vous la culture, c’est finalement une façon de se divertir.
Armelle Turc
Pas seulement, se divertir, oui bien sûr, mais surtout d’avancer un petit peu, d’apprendre toujours quelque chose, de découvrir quelque chose, un petit pas en avant tous les jours.
Monsieur Turc
Le Prado.
Armelle Turc
Voilà, le musée.
Journaliste
Cette fois, le petit pas en avant se transforme en un long week-end espagnol. Monsieur et Madame Turc, accompagnés d’un groupe d’agriculteurs amis, vont visiter le musée du Prado à Madrid. Pour eux, c’est un événement, mais pour l’immense majorité des Montois, pareille expédition n’est même pas imaginable. En fait, la pratique culturelle la mieux partagée de France, dès 19 heures, vide les rues des villes ; et soir après soir, allume dans les salles à manger la même veilleuse.
Comédien 1
Cela ne manquera pas de lui faire plaisir.
Comédienne 1
Mais si tu n’es pas en état de se lever.
Journaliste
Quand est-ce que vous la regardez, de manière générale, la télévision ?
Monsieur Turc
Il n’y a pas disons d’heure précise ou de jour précis. On prend le journal, on regarde, bon, s’il y a un truc qui nous plaît, si on n’est pas trop fatigué, ben, on regarde la télévision.
Armelle Turc
C’est une condition première.
Monsieur Turc
Si on est trop fatigué, on va au lit, voilà, c’est tout.
Journaliste
Alors, à l’intérieur de ce choix, qu’est-ce qui vous décide ? Vous avez des goûts particuliers, des variétés ?
Armelle Turc
Ah, les variétés, non, jamais, très rarement.
Monsieur Turc
Non, la variété et la chansonnette et tout ça, non.
Armelle Turc
Non, tout ça, c’est zéro. Par exemple, les émissions de Guy Lux moi, pff, j'aprouve pas du tout du tout du tout.
Journaliste
Alors, vous regardez quoi ?
Armelle Turc
Ah, mais c’est vrai que c’est la négation de toute culture. Moi je trouve que vraiment, c’est aberrant qu’on puisse passer des émissions pareilles, je vous le dis très franchement.
Monsieur Turc
Non, on ne regarde pas. Moi j’aime bien le sport, à la télé il y a le rugby, bon, c’est systématique, des matchs de foot de temps en temps. Il y a des matchs de foot, mais pas souvent, si c’est l’équipe de Saint-Etienne là, [inaudible]. Qu'est-ce qu'on regarde encore, en dehors de ça, Apostrophes.
Armelle Turc
Oui, Apostrophes.
Monsieur Turc
On regarde.
Armelle Turc
La Vie des animaux, beaucoup. Il y a eu des voyages aussi de comment il s’appelait ce monsieur-là.
Monsieur Turc
Ah oui, je vois ce que tu veux dire, en Amérique Latine.
Armelle Turc
Oui !
Monsieur Turc
Une série d’émissions de quelqu’un, je ne sais plus son nom sur l’Amérique Latine.
Journaliste
Jeannesson.
Monsieur Turc
Jean-Emile Jeannesson, c’est ça.
Armelle Turc
Voilà, c’est ça, extra.
Monsieur Turc
C’est un instrument de culture pour vous ?
Armelle Turc
Quelquefois, oui.
Monsieur Turc
A condition de trier, oui. Je suis peut-être méchant, mais enfin. A mon avis à condition de trier, oui, c’est sûr.
Armelle Turc
Si on choisit, oui, sûr.
Journaliste
Justement, vous avez une chaîne stéréo qui a de la valeur, et vous avez une télévision qui n’a pas la couleur et qui a coûté beaucoup moins cher.
Monsieur Turc
C’est un choix.
Armelle Turc
Oui, c’est un choix, exactement.
Journaliste
Quel rapport vous avez avec la télévision ? Comment vous choisissez d’abord ?
Yves Saphy
Je choisis les émissions en liaison avec mon travail d’abord. C’est-à-dire qu’il y a des émissions où je m’oblige à voir. Par exemple des débats, certains films, certaines émissions culturelles qui correspondent à ce que j’utilise en cours.
Journaliste
Alors la culture, ce n’est pas le divertissement alors.
Yves Saphy
C’est aussi le divertissement, mais ce n’est pas d’abord le divertissement. Pour moi, le premier problème culturel, ce n’est pas de créer des musées et d’essayer d’y attirer des gens. Pour moi le premier problème culturel, c’est d’essayer de donner plus d’intérêt au travail des gens. C’est comme ça que je pose le problème.
Journaliste
C'est un problème politique alors.
Yves Saphy
Aussi, oui. Enfin politique, ça c’est un problème qui touche à l’organisation du travail.
Journaliste
A l’organisation de la cité aussi.
Yves Saphy
Oui !
Monsieur Turc
L’activité professionnelle prend, disons, la majeure partie du temps, c’est normal d’ailleurs d’un côté, et quelquefois un peu au détriment du reste. Alors, ce qui fait que quand on est dans la vie active ; je crois que c’est difficile de consacrer suffisamment de temps comme quelquefois, on le voudrait à des activités de loisir ou culturelles, par rapport à l’activité professionnelle. Mais à Mont-de-Marsan ou ailleurs, je pense qu’on doit pouvoir trouver quand même un certain nombre de choses intéressantes en dehors de la vie professionnelle.
Journaliste
C’est une volonté personnelle.
Monsieur Turc
Je crois, oui.
Journaliste
Donc, il faut de l’argent alors quand même un petit peu pour se cultiver, non ?
Monsieur Turc
Je ne pense pas. Il me semble pouvoir considérer que c’est un choix personnel que l’on fait ou que l’on ne fait pas, quels que soient ses moyens. Alors évidemment, si quelqu’un a beaucoup de moyens, il peut voir beaucoup plus de choses, c’est possible ou des choses inaccessibles. Je ne dis pas le contraire. Mais à la base, c’est un choix, ce n’est pas une question de moyens, et moi je ne le prends pas comme ça.
Journaliste
Et la responsabilité de l’Etat.
Monsieur Turc
La responsabilité de l’Etat sur la culture, les moyens de la culture. Elle est grande bien sûr, mais je pense que si vous voulez, sans vouloir le disculper, je crois que l’Etat doit inciter. Maintenant, le désir ne peut provenir, je pense, que des individus. Donc, l’Etat est là peut-être ou devrait. Je ne connais le pourcentage du budget de l’Etat pour la culture. Je crois qu’il est assez faible de toute manière, je crois. L’Etat devrait inciter beaucoup plus, c’est absolument évident. Maintenant, s’il y a une réponse des individus, tant mieux. Mais l’Etat, à la limite pourrait inciter sans qu’il y ait de réponse des individus. Je crois qu’il faut les deux. Si vous voulez, pour qu’il y ait vraiment une évolution, il faut les deux.
Journaliste
Si on est content de son métier, est-ce que c’est vivable la petite ville de province ?
Yves Saphy
En partant de là ?
Journaliste
Oui, en partant de là.
Yves Saphy
Pour moi oui, dans la mesure où….
Journaliste
Sans aucune réserve.
Yves Saphy
Oui, sans presque aucune réserve.
Journaliste
La preuve, c’est que vous vous installez là.
Georges Dubos
Parce que, qu’est-ce qui change la vie du Parisien ? Finalement, quelle est-elle ? C’est nous qui profitons de Paris quand nous y allons. C’est nous, nous restons 8 jours à Paris, on va voir les spectacles. On va dans les grands restaurants. Evidemment, c’est douloureux après quand on rentre, quand on fait l’addition, la revue du porte-monnaie, mais nous avons profité de Paris. Nous irons à Paris voir l’Arc de Triomphe, avec la rentrée, le salon, tout ça. Combien de Parisiens profitent de ça, en dehors des Turfistes, des habitués ? Et les théâtres, combien de Parisiens vont au théâtre ? Alors, nous profitons de Paris, nous rentrons chez nous. Et la belle vie reprend, la vie agréable reprend à son rythme un peu lent, mais après tout, c’est agréable. C’est un rythme de vie assez lent. On peut reprendre dans certains cas, pas forcément, mais on peut reprendre…. De toute façon, ce n’est pas parce que vous allez à Paris 8 jours. Non, je dis que c’est le provincial qui profite de Paris, plus que le Parisien finalement ; dans la mesure où on parle de profiter une ville, profiter de ce qu’elle peut nous offrir comme divertissements, etc. De toute façon, nous avons un musée magnifique, il a fallu faire une exposition sur le vieux Mont-de-Marsan pour que les Montois aillent au musée. Alors, je ne pense pas que ça leur manquait tellement ce musée. Le musée, il est encore artistique, parce que ça les concernait, oui. Nous avons des expositions magnifiques, nous avons en ce moment une exposition de [incompris]. Bon, pendant deux mois, nous allons avoir une exposition de [incompris]. Bon, quels sont les Montois qui vont y aller ? C’est justement ce qu’ils trouveraient à Bordeaux, mais ça ne les concerne pas. C’est-à-dire que ça ne joue pas dans leur joie de vivre.
Yves Saphy
Ce qui est important, c’est ce qu’on fait dans son travail ou ce qu’on peut faire par ailleurs. Mais il est vrai que les musées ne concernent pas la majorité des gens.
Georges Dubos
Vous avez ici la nourriture, le sport.
Armelle Turc
Ah, mais c’est une ville sportive.
Georges Dubos
Non, mais vous avez ici l’hiver des pièces de théâtre Karsenty, et cætera comme dans les grandes villes. Or, si la pièce n’est pas marrante, les gens n’y vont pas. Donc un certain théâtre ne leur manque pas non plus. Ou si on affiche Montherlant, ils iront, parce que quand même on ne peut pas dire que si on a telle situation, on ne peut pas quand même n’avoir pas été voir la pièce de Montherlant.
Monsieur Turc
C’est le contenu du snobisme en même temps.
Journaliste
C’est important, ça existe. Le snobisme intellectuel, ça existe aussi.
Yves Saphy
Bien sûr, ah oui.
Georges Dubos
Je ne me rappelle plus quelle est cette pièce de Claudel, et à la fin on interroge quelqu'un. Alors, il a eu cette parole magnifique : "ça pisse loin". C’est ce que ça voulait dire, parce qu’il était allé là pour se montrer, pour qu’on dise. Non pas pour bluffer, tellement, mais enfin... c’était sa place.
(Musique)