Labouheyre, Landes : usine Darriet
Notice
Dans les années 1920, Mr Jacques Darriet pose un brevet sur une invention: le débroussailleur. Cet homme avait réfléchi a un moyen de renverser la terre, avec l'inclinaison de branches; il a alors créé un débroussailleur en forme d'étoile à 5 branches. Aujourd'hui, c'est son fils qui a repris l'usine familiale, qui emploie des ouvriers polyvalents pour un travail artisanal. Tout est fait à la main. Entretien avec Mr Darriet, reportage en usine de fabrication, et en sous-bois, pour une démonstration du débroussailleur en action.
Éclairage
Avec ce reportage de 1968 tourné à Labouheyre sur les bords de la route nationale 10 qui n'est pas encore transformée en voie rapide, ni en autoroute A63 (c'est chose faite en 2013), on est dans une autre époque ; celle du travail artisanal mais très technique cependant vers lequel s'est tournée l'entreprise Darriet. Sa tâche consiste à fabriquer ce qu'on appelle couramment depuis les années 1920 le "rouleau landais". L'idée en revient à Jacques Darriet, géomètre de formation mais aussi fondateur en 1908 d'une entreprise de charpente métallique puis de charrues forestières dans la petite cité au cœur du massif forestier, réputée jadis pour ses foires. C'est un exemple d'adaptation à une demande technique liée à l'économie forestière.
Lorsque, en 1922, est déposé le premier brevet de débroussailleur par l'ingénieux inventeur, les pinhadars des Landes de Gascogne vivent alors au temps de l' "arbre d'or". Tant pour les produits résineux que pour l'utilisation du bois d'œuvre (charpentes, lambris, parquets...), l'exploitation du pin maritime tourne à plein. L'extension maximale de la forêt est le produit d'un volontarisme économique et politique illustré par la loi de 1857 (1). Elle avait alors transformé les paysages de la Grande Lande, du Pays de Born ou même des contrées sablonneuse du Médoc ou du sud de la Gironde, cependant que naissait une véritable sylviculture "landaise", fondée sans doute sur un certain empirisme (2) mais cherchant par la suite à améliorer ses méthodes et sa rentabilité (3).
Alors qu'arrivent les premiers engins motorisés, se fait sentir le double besoin d'entretenir les parcelles boisées et d'y circuler mieux afin d'en évacuer les produits. Certes, depuis les années 1860, on utilise largement les attelages de mules, vives et robustes pour tirer le bròs (4) mais, chenillé ou non, le tracteur commence à faire son apparition dans les années 1920-1930 pour certains gros travaux de débardage dans d'importants domaines forestiers.
Ultérieurement, surtout après les grands incendies des années 1940, alors que décline aussi l'activité autour du gemmage (la récolte de la résine) puisque les produits pétroliers concurrencent fortement colophane ou essence de térébenthine, les techniques de reboisement évoluent. Dans les grandes parcelles d'abord, on prône le semis en ligne après labour. On a donc besoin d'engins puissants. Même les petits ou moyens propriétaires landais "traditionnels" délaissent le semis "à la volée" ou sur des ronds réguliers, voire le réensemencement naturel des parcelles. Les coopératives forestières qui se créent, d'une part, et les pépinières pratiquant la sélection, d'autre part, incitent ceux qui "replantent" à pratiquer la ligniculture. La forêt change alors d'aspect, d'autant que les dépressages réguliers, nécessaires certes, ont tendance à réduire la présence des feuillus (5).
Les "rouleaux landais" de l'entreprise Darriet devenue par la suite "Ménard-Darriet" puis "Ménard-Darriet-Cullerier" en 1992, se perfectionnent avec l'évolution de la demande et des besoins. D'autant qu'en parallèle on entretient les pistes (utilisation du girobroyeur), on nettoie les "coupes" (les parcelles boisées dans le jargon des propriétaires forestiers traditionnels), en broyant notamment les jaugas (ajoncs épineux, appelés aussi tojas, gavarras ou même bastas en gascon) ou la bruyère (bruc ou bruguèra). On veut une forêt propre. Il est vrai que c'est aussi le gage d'un risque moindre face aux incendies toujours menaçant aux journées sèches de printemps ou bien sûr en été (6).
(1) La loi de 1857, fait obligation aux municipalités de boiser ou d'aliéner leurs landes communales, souvent vastes, s'inscrit dans une démarche en partie colonisatrice. "Vrai Sahara français", selon la formule du poème de Théophile Gautier évoquant "le Pin des Landes", cette contrée réputée désolée et stérile ne peut être que bonifiée par les initiatives de "la France d'en-haut" de l'époque, comme les vante Edmond About (1828-1885) dans Les échasses de Maître Pierre (1857) ; ce "reporter-romancier" s'y fait "agent de propagande" pour Jules Chambrelent (1817-1893) qui se fait un brin abusivement passer pour le seul créateur de la forêt landaise dans sa configuration actuelle. C'est néanmoins le début d'une indéniable période d'expansion.
(2) Avant la loi de 1857, la sylviculture, même empirique et limitée, existe bel et bien. Il y va de l'intérêt économique, tant pour le bois d'œuvre que pour les sous-produits (brais ou charbon de bois pour la petite sidérurgie fondée sur le minerai de fer tiré de la "garluche"). À la fin du XVIIIe siècle, certains personnages éclairés, tels les Frères Desbieys à Saint-Julien-en-Born, se préoccupent d'améliorer les boisements dans le contexte – sur le littoral il est vrai – de menace des sables dunaires. Mais Jacques Sargos, auteur d'une Histoire de la Forêt Landaise (L'Horizon chimérique), signale que, déjà sous François Ier, un certain Mauléon, "forestier" du Marensin, apporta ses compétences pour acclimater des pins à Fontainebleau...
(3) Dans les années 1920 débute notamment la fabrication de pâte à papier dans les Landes de Gascogne. Approvisionnés par le massif gascon, les sites de cette industrie lourde (investissements importants, grosses installations, matière première volumineuse, emplois relativement nombreux) montèrent jusqu'à cinq : Bègles (banlieue de Bordeaux), Roquefort, Tartas et, sur le littoral, Facture-Biganos et Mimizan. Seuls les trois derniers se maintiennent encore en 2014. Ces établissements industriels sont d'assez gros fournisseurs d'emplois directs (techniciens en usine) et indirects (travaux forestiers, transports) dans leur aire respective.
(4) Le bròs est une charrette à deux roues équipées de pneumatiques à partir des années 1930.
(5) Il s'agit surtout des chênes (tauzins ou pédonculés) ou parfois des bouleaux (bes, ou bedoths en gascon (du latin betulus) ; d'où les microtoponymes bessèda ou botorar qu'on repère parfois dans les communes.
(6) Aux débuts de la DFCI, après la 2e Guerre mondiale, il était dans les missions des pompiers forestiers de l'époque de nettoyer les pistes et certaines parcelles.