Conditions d'exploitation avant la Seconde Guerre mondiale
Notice
Quatre anciens mineurs, Augustin Duhaut, Léon Sallendier, Henri Personne et Vladislav Glinkowski, évoquent le travail à la mine avant la Seconde Guerre mondiale : le travail au pic, au marteau piqueur, les chevaux, les lampes...
Éclairage
Pour le monde extérieur, le mineur est cet homme au visage noirci qui manie le pic dans l'obscurité, donc à proprement parler le piqueur ou haveur, qui, au pic puis au marteau-piqueur, attaque directement la veine de charbon. Et les mineurs qui aiment à parler de leur métier, adhèrent à cette image. Retraçant ici sa carrière qui a commencé en 1908, un mineur de Nœux saute volontairement les deux années qu'il a passées au criblage – le tri du charbon pour en extraire les cailloux – car "parler du service du jour, ce n'est pas la peine". Or pour s'en tenir à la période précédant la grande mécanisation, "le jour", occupe toujours de 20 % à 25 % de l'effectif, sans compter les ouvriers d'activités annexes comme les fours à coke. Mais dans la hiérarchie de la mine, les ouvriers du jour, manœuvres voués à la manutention, mais aussi spécialistes, menuisiers, ouvriers au service du chevalement, sont des oubliés. Et au fond, l'abatteur ne travaille que grâce à tous ceux qui creusent et entretiennent les galeries, tous ceux qui évacuent le charbon qu'il a abattu : l'ouvrier au pic représente souvent moins d'un travailleur sur deux. Mais parce que l'acte directement productif est essentiel, les hommes dans la force de l'âge, pères de famille, mieux payés qui l'assument, constituent un groupe de pairs qui domine en famille et dans la cité comme au fond.
Cette hiérarchie s'inscrit dans un travail d'équipe, qui a souvent une dimension familiale et dont la dimension dépend de la spécialisation plus ou moins poussée dans la méthode de travail – confier le boisage des tailles aux abatteurs ou à une catégorie de boiseurs qualifiés a longtemps été un enjeu, source de conflits comme la grande grève d'Anzin de 1884 qui inspire Germinal. Dans cette équipe, les écarts de salaires reflètent la responsabilité de chacun, mais, pour faire court, le salaire collectif dépend d'abord, de la quantité de berlines que chaque équipe envoie à l'accrochage et du prix de tâche. Celui-ci, fixé avec le porion (1), en fonction de la difficulté de la tâche, donne lieu à d'âpres négociations. Les conventions collectives, très précoces dans les mines du Pas-de-Calais avant de s'étendre dans tout le pays, ne peuvent qu'encadrer le caractère individuel du gain.
Le mineur qui parle de son métier aime raconter – peut-être est-ce ce que journaliste attend de lui ? – des anecdotes pittoresques dont le cheval de mine, l'histoire de la lampe de mineur, qui pourrait être celle du prix payé à l'insécurité, sont de grands classiques. Du travail lui-même, il élude souvent les aspects les plus pénibles. Dans cet extrait, c'est avec beaucoup de retenue qu'est évoqué le grand traumatisme qu'occasionna le passage du pic au marteau-piqueur. Le caractère manuel de l'abattage restait le principal obstacle à la hausse du rendement, alors même que l'air comprimé et l'électricité avaient permis de moderniser le forage, le transport et la remonte. La révolution du marteau-piqueur se fit brutalement, en quelques années, pendant la crise des années 30. Dès lors, le petit chantier que presque toutes les images de la mine donnent à voir, disparaît au profit d'un long front de taille où les abatteurs se succèdent tous les quelques mètres – version souterraine du fordisme sur laquelle se termine ce film d'archives ; l'équipe est démantelée, l'autonomie dans le travail disparaît, le porion, qu'on entendait arriver dans la taille, est désormais un contremaître avec chronomètre ; la santé se dégrade : le marteau-piqueur, faute d'arrosage suffisant de la poussière, est responsable de l'hécatombe de silicose dans toute une génération ; la démoralisation s'insinue dans une communauté jusque là sûre d'elle-même, où l'on commence à se demander s'il vaut la peine pour les fils de suivre la trace de leurs pères.
(1) Le porion est l'agent de maîtrise qui encadre plusieurs mineurs. Il est chargé de veiller au bon avancement des opérations de creusement, et à la sécurité. Il rend des comptes à l'ingénieur responsable de la fosse.