La Première Guerre mondiale à Lens
Notice
D'anciens mineurs, dont Augustin Viseux, président national des médaillés des mines, évoquent les destructions de la Première Guerre mondiale.
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Éclairage
Le Nord-Pas-de-Calais est sans doute la région française la plus marquée par les guerres, et plus encore par la Première que par la Deuxième Guerre mondiale. Or l'ossuaire de Notre-Dame de Lorette, et les tranchées de Vimy ne sont qu'à quelques kilomètres de la capitale du bassin minier, Lens. Envahie par les Allemands début octobre 1914, la ville vécut pendant plus de trois ans au rythme d'un front toujours proche et du fracas des combats. Vidée de ses habitants, pratiquement rasée, Lens prit place au rang des villes martyres comme Reims ou Arras. Dans cet extrait, des mineurs, enfants à l'époque, évoquent avec une gaîté un peu forcée comment une population terrée dans les caves résista aux privations. Pourtant, l'occupation "boche" fut d'une grande brutalité : exil de la moitié de la population dès le début de la guerre, exactions nombreuses, amendes et contributions financières répétées, couvre-feu draconien et finalement déportation des quelques milliers d'habitants qui restaient encore en mars et avril 1917. La ville était alors pilonnée quotidiennement par l'artillerie anglaise. Mais les pires dégâts avaient déjà été commis par l'occupant. Dès 1918, Émile Basly, le député-maire de la ville, voulut témoigner dans Le martyre de Lens (1). Trois années de captivité de ce que fut "l'assassinat de la mine" : après avoir laissé mourir de faim les 300 chevaux du fond en interdisant l'accès aux puits, les Prussiens complétèrent ainsi "leur œuvre satanique". En effet, "dans les magasins, s'alignaient les bennes, wagonnets servant au transport du charbon. Les soldats s'en emparèrent, les précipitèrent dans les vastes orifices. La mine cria, gémit avec de grandes plaintes métalliques, mais elle vivait toujours (...). Alors les assassins revinrent à la charge, s'acharnèrent sur leur victime. La mine gisait sous leurs lourdes bottes, étranglée, aveuglée ; cette fois, ils la noyèrent. A coup de grenades lancées dans les cuvelages, ils inondèrent les galeries, les puits d'une même fosse, et lentement l'eau monta, monta. Toute résistance était devenue impossible, la mine envahie finit par se rendre, par mourir. En quelques heures, le labeur de plusieurs générations avait été anéanti." Le coup fut rude en effet sur le plan économique, alors qu'à la veille de la guerre, la compagnie de Lens était sur le point de se hisser parmi les grands de l'industrie lourde avec la création d'une usine sidérurgique, qui n'entra jamais en production. Surtout, on perçoit ici l'intense attachement à la mine autant qu'aux mineurs chez le leader socialiste du bassin, qui évacua sa ville vers la Belgique avec le dernier convoi, sous les obus, le 10 avril 1917. De même, son voisin, député-maire de Liévin, Arthur Lamendin, resta-t-il le plus longtemps possible sur place avant de gagner Paris par la Suisse fin 1916 – sa santé définitivement compromise. Forgée dans une identité minière profondément ressentie, l'union sacrée qui avait déjà réuni dans l'épreuve le notable socialiste et l'agent général de la compagnie de Lens, Élie Reumaux, se renforça encore lorsque tous deux rentrèrent dans leur ville en décombres en 1918, comme le firent un bon nombre de mineurs partis entre temps dans les mines du centre et du sud de la France et qui revinrent déblayer les ruines dans des conditions proches du dénuement. La Première Guerre révéla ainsi que pour tout un peuple, soudé autour de ses élites, la mine était devenue une patrie.
(1) Émile Basly, Le martyre de Lens, trois années de captivité, Plon, 1918.