Le Front populaire en 1936
Notice
Évocation de la période du Front Populaire par un vieux mineur et Augustin Viseux. Tous les deux étaient à la fosse 7 de Lens, ils se souviennent de l'espoir suscité après une période de crise ou sévissait le chômage partiel. Les vieux ouvriers qui avaient commencé le travail à 12 ans ont découvert les congés payés et les voyages à la mer.
Éclairage
Cet extrait de L'album de famille des Français du 19 janvier 1973 part de l'évocation des grandes conquêtes sociales des mineurs, acquises à partir de la fin du XIXe siècle, pour s'arrêter ensuite plus longuement sur le Front populaire, envisagé ici comme le point d'orgue de luttes de longue durée, portées par la solidarité de la corporation du sous-sol sur laquelle insiste le commentaire.
A la veille des jours heureux de 1936, le monde de la mine sort d'une période pour le moins chaotique. La crise de la première moitié des années 1930 s'est accompagnée de l'introduction de méthodes de travail fondées sur le chronométrage (système Bedaux), de baisses de salaires, de journées chômées et de suppressions d'emplois. Apparaît d'ailleurs ici un témoignage visuel de la marche des chômeurs du Nord vers Paris, initiée à la fin de 1933 par la CGTU, en liaison avec le PCF.
La vague de grèves de 1936 n'est donc pas arrivée dans un ciel économique et social serein, sans oublier la montée en puissance des ligues d'extrême droite qui a secoué le champ politique. Le puissant mouvement conflictuel et l'installation au pouvoir du leader socialiste Léon Blum sont vécus comme une éclaircie qui soulève une forte espérance chez les ouvriers en général et parmi les mineurs en particulier. C'est sur cette atmosphère qu'insiste le dialogue entre les deux témoins présents à l'écran. Le vieux mineur rappelle le caractère festif qui a émaillé les grèves avec occupation auxquelles il a participé. Il n'empêche qu'ici où là, l'exaspération et le ressentiment accumulés par les "gueules noires" ont trouvé pour exutoire la hiérarchie, en particulier les porions volontiers honnis et parfois pris à partie.
Le mouvement social a cependant été assez bref dans la profession, qui s'est jetée plutôt tardivement dans l'action. L'appel à la suspension de la production a en effet été lancé le 8 juin dans le Nord-Pas-de-Calais, au lendemain des accords de Matignon qui ont constitué un point d'appui pour apaiser les esprits dans le pays. Immédiatement après le déclenchement de la mobilisation du sous-sol, une réunion s'est tenue avec le ministre des travaux publics, Paul Ramadier. Les concessions acquises (augmentations de salaire, recul du chronométrage, etc.), si elles n'ont pas aussitôt conduit à la reprise du labeur, ont pourtant fini par convaincre. Les lois sociales votées dans la seconde quinzaine de juin se sont en outre ajoutées aux récentes améliorations des conditions d'existence, en instaurant la baisse du temps de travail hebdomadaire – 38 h 40 pour les ouvriers du fond - et les congés payés.
Augustin Viseux, qui avait 27 ans en 1936 et venait de passer de la condition d'ouvrier à celle d'agent de maîtrise, est donc fondé à souligner l'explosion de joie du printemps. Lui-même l'a cependant vécue avec un certain recul. Hospitalisé en mai, il n'a quitté son lieu de soins que le 10 juin 1936. De son propre aveu, il n'a pas rejoint le mouvement en cours : " ... je restais spectateur et, malgré mon désaccord, on ne me menaçait pas" (1). Pour autant, il a fait partie de ceux qui ont goûté aux premières joies du temps libre et aux plaisirs de la mer. Comme le laissent percer ses propos et ceux de son aîné, plutôt que les vacances dont la pratique n'était pas encore installée dans les mentalités ouvrières, ce sont les allers-retours d'une journée sur la côte qui prédominaient (2). Ces brefs moments venaient soulager l'horizon d'une génération qui n'avait guère connu, jusque-là, que le travail précoce, la Grande Guerre et la crise.
Mais bientôt, la conjoncture s'est de nouveau retournée. A partir de 1938, le Front populaire s'est disloqué et la guerre s'est profilée, avec son cortège de souffrances aiguës pour les "gueules noires" du Nord-Pas-de-Calais occupé.
(1) Augustin Viseux, Mineur de fond, Paris, Plon, 1991, p. 242.
(2) Christophe Boussemart, L'Echappée belle, 1936, les ch'tis à l'assaut des loisirs, Lille, Publi-Nord, 1986.