Léon Trupin, mineur silicosé
Notice
Témoignage de Léon Truppin, mineur de 1939 à 1975, reconnu silicosé à 100 % depuis 1977. Il est interviewé par le docteur Maurice Terron, médecin des sociétés de secours minières d'Aniche.
Éclairage
Léon Turpin a été mineur toute sa vie, passant 36 ans au fond. En 1981, il est à la retraite depuis 5 ans et demi et souffre d'une silicose en phase quasi-terminale. Son état pathologique a été diagnostiqué en 1976 et son évolution est particulièrement rapide puisqu'il est passé en quelques mois seulement d'un taux d'incapacité de 10 à 100%.
Le regard qu'il porte sur sa maladie change progressivement à mesure que l'entretien se déroule. Comme les autres mineurs, il a certes conscience durant son activité des risques du métier de mineur, mais préfère les mettre à distance, évitant d'y penser. Il connaît peu ou prou les termes médicaux ("pneumoconiose") et sait que la silicose est une maladie professionnelle reconnue ("découverte après la guerre", dit-il). La retraite longtemps attendue est vite marquée par une fatigue généralisée, une perte de la force physique puis une difficulté croissante à respirer correctement. La révélation de la maladie est brutale et lui fait l'effet d'un "arrêt de mort" et le fait qu'elle n'ait été reconnue qu'après l'arrêt de son activité professionnelle n'est pas sans conséquence pour sa situation quotidienne : pour lui les choses sont claires ("ma silicose je l'ai eue au fond, je ne crois pas que c'est six mois après ma retraite que j'ai attrapé la silicose"), mais la responsabilité de la compagnie puis des Houillères qui l'employaient n'est pas engagée de la même façon et sa pension d'invalidité se trouve largement amputée, alors même que les frais liés à la maladie augmentent avec son aggravation.
Le plan fixe adopté par le reportage, de neutre qu'il semble à l'origine, se fait révélateur : Léon Turpin se trouve dans l'incapacité physique de se déplacer et le voilà bientôt contraint de "garder la chambre" ; il a le souffle court et passe le plus clair de sa journée dans son fauteuil, imposant à son épouse de le seconder à chaque instant, du matin (il est incapable de se raser seul) au coucher (il doit dormir la fenêtre ouverte sous peine d'étouffer) ; ses loisirs sont des plus limités et la musique même lui pèse (l'accordéon, devenu trop lourd, est remplacé par le piano électrique qui permet de conserver les bras vers le bas). Les stigmates de la maladie ne sont pas seulement physiques : sa vigueur lui échappe, son moral est en baisse parfois, son caractère change et pèse sur l'ambiance familiale en dépit du soutien permanent de ses proches. Le traitement de la maladie relève avant tout de l'accompagnement : dès lors que la transplantation pulmonaire est rare, il ne reste que la kinésithérapie, associée aux corticoïdes et autres bronchodilatateurs pour rendre le quotidien plus "confortable".
Le calvaire de Léon Turpin est loin d'être un cas isolé, même si le nombre de malades et même de tués demeurent plus qu'incertains : les estimations fixent à un minimum de 34 000 le nombre de morts pour la période 1946-1987. Mais ne sont pas comptabilisés dans ce total tous ceux dont le taux d'invalidité n'a pas atteint 50% et n'ont donc pas fait reconnaître leur état, qui ont changé de profession ou sont repartis dans leur pays d'origine (Pologne, Italie, Maroc). Le Nord - Pas-de-Calais paie un très lourd tribut à cette "épidémie" puisque sur les 6 679 cas reconnus de silicose entre 1977 et 1991, la région en compte 2 270, soit 34%, loin devant la région lyonnaise avec 736 cas. Et alors même que les mines ont fermé, la maladie poursuit ses ravages : dans les années 1990, on recense encore près de 300 nouveaux cas par an.