Les voyages de François Mitterrand
Présentation
François Mitterrand est né à Jarnac en Charente en 1916 et il y passe l’essentiel de son enfance, loin des « bruits de la politique ».
Lorsqu’il est Président de la République, il commande à partir de 1983 à l’architecte Fernand Pouillon une série de globes terrestres représentant le monde et ses frontières contemporaines, mais également quelques « hauts lieux mitterrandiens » liés à son parcours personnel et politique. Y sont ainsi représentées les villes de Jarnac, celle de Château-Chinon dans la Nièvre dont il fut le maire ou par exemple celle de Solutré où il effectuait une sorte de « pèlerinage » annuel à la Pentecôte.
Ces globes incarnent parfaitement sa volonté d'articuler ses mondes locaux et la dimension internationale de son action, le mélange de constance et de forte mobilité qui a caractérisé sa vie. En effet, si les hommes politiques ont de tout temps eu pour souci de parcourir et de couvrir le territoire où s’exerçait leur pouvoir, leur mobilité s’est particulièrement accrue tout au long du vingtième siècle, du fait des grands progrès accomplis par les transports et de l’accélération de la mondialisation.
Que ce soit à titre privé, comme ministre, Premier secrétaire socialiste, député ou Président, François Mitterrand multiplie ainsi les voyages dès le milieu des années 1940, en France comme à l’étranger. A quelques exceptions près, on constate que ses déplacements ont été couverts par les médias de manière croissante, à la fois du fait de la montée en puissance de sa notoriété et des moyens des journalistes.
Ainsi, si en 1961 son voyage en Chine est médiatisé par les articles qu’il écrit pour le journal L’Express, lorsqu’il y retourne vingt ans plus tard, comme candidat socialiste à l’élection présidentielle, en plus des journalistes de presse écrite ce sont toutes les chaînes de télévision qui couvrent l’événement.
Cette couverture médiatique est encore accrue lors du premier voyage officiel du Président Mitterrand en Chine en 1983.
Tous les voyages relatés par la radio ou la télévision sont des voyages avec une signification ou un intérêt politique et ils témoignent des différentes étapes de la carrière politique de François Mitterrand.
Ainsi, si on ne peut raconter ou résumer tous ces déplacements, très divers dans leurs motifs, déroulés ou destinations ; on se propose d’en dégager plusieurs grandes catégories, selon les logiques et les temps politiques auxquels ils correspondent.
Du fait du spectre géographique et chronologique couverts, ces archives audiovisuelles permettent de recouper de nombreux enjeux politiques du vingtième siècle, relevant autant de l’histoire des relations internationales que de l’histoire politique française. Elles sont aussi l’occasion de s’interroger sur les protocoles et déroulés des voyages, comme sur leur utilisation comme objets de communication politique.
Les voyages de François Mitterrand avant 1981
Un ministre en voyage
Avant même son accession à l’Elysée, François Mitterrand parcourt la France et le monde à des fins politiques, notamment comme ministre. Dans l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale, alors ministre des Anciens combattants et des Victimes de la guerre, il se rend par exemple en Belgique pour des commémorations et en zone occupée française en Allemagne pour traiter du sort des déportés.
Son engagement européen, qui l’avait conduit à assister au Congrès de La Haye en mai 1948, il le porte aussi par exemple comme secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil au deuxième congrès de l’Union des fédéralistes européens à Rome en novembre 1948.
Le congrès fédéraliste européen à Rome
Entre juillet 1950 et juillet 1951, il devient ministre de la France d'Outre-Mer sous les cabinets Pleven et Queille. Son ministère couvre alors l'Afrique subsaharienne, Madagascar, les Comores, les Établissements d'Océanie et Saint-Pierre et Miquelon.
Ces responsabilités l’amènent à visiter ces différents territoires, et notamment l’Afrique de l’Est et de l’Ouest, ou encore les Comores.
Tournée d'inspection du ministre de la FOM en Afrique de l'Est
Par la suite, François Mitterrand exerce de nombreuses autres responsabilités ministérielles qui l’amènent à effectuer des déplacements mondains comme politiques.
C’est ainsi comme ministre de la Justice (février 1956 - mai 1957) qu’il assiste au mariage de Grace Kelly et de Rainier de Monaco en 1956 ou à la fête de l’indépendance de la Tunisie en 1957.
Fête de l'indépendance de la Tunisie pour le premier anniversaire
Durant les années 1960, cet opposant à la Ve République n’est plus ministre mais continue à être élu de la Nièvre, et leader de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) puis de la Convention des Institutions républicaines (CIR).
A ce titre, il reste une figure politique de premier plan et continue à bénéficier d’opportunités de voyage, comme en Chine en 1961.
La diplomatie par le voyage du Premier secrétaire socialiste
A partir de 1971 et jusqu’à son élection à la tête de la République, François Mitterrand est Premier secrétaire du Parti socialiste français. Durant ces dix années, il infléchit grandement le fonctionnement et la politique de ce parti en vue de la conquête du pouvoir.
Les nombreux voyages à l’étranger qu’il effectue (plus de quatre-vingt) participent de la diplomatie socialiste et de la stratégie de présidentialisation de François Mitterrand.
Ils contribuent notamment à mieux faire connaître le PS et son candidat à l’étranger et à construire une stature présidentielle d’ampleur internationale à François Mitterrand, même si tous ces déplacements ne sont pas également couverts par la presse française.
Si l’Europe concentre la plupart de ses déplacements, notamment du fait de la proximité géographique, du soutien apporté à des « partis frères » au sein de l’Internationale socialiste et de l’existence de l’Union des Partis socialistes de la Communauté européenne (UPSCE), ancêtre du Parti socialiste européen, François Mitterrand prend aussi soin de visiter les deux « grandes puissances » de la Guerre froide.
François Mitterrand à un meeting du PS italien à Florence
Réunion des Partis socialistes européens à Luxembourg
Ce qu’on appelait alors le « Tiers Monde » n’est pas non plus négligé : il visite le Chili de Salvador Allende, la Cuba révolutionnaire, tout comme l’Algérie non-alignée ou encore l’Egypte où il rencontre Yasser Arafat en 1974.
Les voyages du Président Mitterrand
A partir de 1981, les voyages de François Mitterrand suivent une logique tout aussi politique, mais plus institutionnelle et marquée par le protocole présidentiel.
« C'est en marchant qu'on devient président » (N. Mariot)
A l’échelle de ses deux mandats, on constate que les voyages en région du Président ont occupé une part relativement importante de son agenda puisqu’il a effectué en moyenne 14 voyages d’une journée environ par an.
Si son bastion départemental, la Nièvre, a fait l’objet de nombreux déplacements, le président Mitterrand a globalement couvert tout le territoire national, métropolitain et d’outre-mer, par de nombreux séjours courts permis notamment par l’usage de l’hélicoptère (Voir les ouvrages de Nicolas Mariot en bibliographie).
Les motifs de ces voyages sont très variés : inaugurations et lancements de projets politiques, visite à des régions en crise ou souffrance, sommets politiques et meetings de campagne par exemple.
Inauguration du TGV Sud-Est ou l'art de prendre le train en marche
La Lorraine en crise, premier voyage du nouveau président
Les voyages présidentiels à l’étranger
Les voyages présidentiels à l’étranger se sont eux aussi multipliés. Soumis à des protocoles particuliers, ils recouvrent à la fois des visites officielles bilatérales et toute une « diplomatie de sommets » ou de grandes rencontres internationales.
Durant ses deux mandats, François Mitterrand se saisit de ces déplacements pour défendre sa politique étrangère. Certain de ses voyages ont été l’occasion de discours remarqués, qui sont autant de jalons dans l’histoire de la diplomatie française.
Parmi les premiers prononcés, on peut songer au discours dit de Cancun en 1981, ou à ceux prononcés devant les parlements israélien (la Knesset) et allemand (le Bundestag) ou encore le célèbre « le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles sont à l’Est » prononcé à Bruxelles.
Voyage officiel de François Mitterrand à Mexico
Discours au Bundestag
« Le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles sont à l’Est »
Conclusion
L’étude des archives audiovisuelles des déplacements nationaux et internationaux de François Mitterrand permet ainsi d’analyser sous divers angles la modernisation et mondialisation de la politique française, à travers l’élargissement des destinations, l’amélioration des moyens de transport et l’accroissement de la médiatisation politique.
A travers cinquante ans de voyages, c’est ainsi un large pan de l’histoire politique française et internationale qui est parcouru.
Bibliographie indicative
- Bonnin Judith, Les voyages de François Mitterrand : le PS et le monde, 1971-1981, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
- Cambacérès Jean-Marie, Dans les coulisses des voyages présidentiels : du général de Gaulle à François Hollande, Paris, Cherche midi, 2015.
- Mariot Nicolas, C'est en marchant qu'on devient président : la République et ses chefs de l'État, 1848-2007, Montreuil, Éd. Aux lieux d'être, 2007.
- Mariot Nicolas, Bains de foule : les voyages présidentiels en province, 1888-2002, Paris, Belin, 2006.