« Pas de socialisme sans la science »
Présentation
« Pas de socialisme sans la science. Le refus du progrès technique, la peur de l’acte créateur sont le propre des sociétés perdues », affirme François Mitterrand en 1980 dans un livre d’entretien, Ici et Maintenant.
Quoiqu’on garde rarement de François Mitterrand le souvenir d’un homme concerné par ces questions, son action a promu la science et la technologie au rang de priorité, tentant de faire rimer, à nouveau, progrès social et progrès technique.
Contesté, mais revendiqué : le progrès technique selon François Mitterrand
Si l’idée de progrès technique est de plus en plus contestée, François Mitterrand n’hésite pas à la revendiquer comme une clé du changement social.
Progrès contesté
Quoique très minoritaires, les oppositions à la logique modernisatrice sont sensibles dès la période de haute croissance des Trente glorieuses. En ce temps-là, François Mitterrand n’en choisit pas moins pour affiche de campagne aux élections présidentielles de 1965 un portrait de lui sur fond de terre labourée d’où sort un pylone électrique. L’image est évocatrice : sans renier les racines paysannes de la France, il faut la tourner vers un avenir industriel et technicien.
Après 1968, les mouvements écologistes se structurent, au point de présenter un candidat à l’élection de 1974. L’opposition au programme électronucléaire mis en place en mars 1974 par le Premier ministre Pierre Messmer et porté par EDF en réponse au choc pétrolier fédère les énergies. Un peu partout en France, les projets d’implantation locale d’une centrale suscitent des mobilisations.
Mais en 1981, le programme électronucléaire ne faire guère débat dans la campagne. Le candidat socialiste, allié des communistes très favorables à ce programme, promet de terminer les chantiers engagés et de suspendre ceux programmés, le temps que soit organisé un débat national sur l’énergie. Seule exception, en forme de concession à l’électorat breton : Plogoff sera abandonné sine die.
L'avenir de Plogoff et le programme électronucléaire français, promesse de campagne
Progrès revendiqué
De manière plus générale, dans un contexte de chômage croissant, la percée de l’informatique et de l’automatisation interroge. En 1977, le syndicat CFDT, proche du Parti socialiste, publie les actes d’un colloque intitulé symptomatiquement Les dégâts du progrès. Les atteintes à l’environnement deviennent chaque jour plus manifestes. Et l’on fait le constat d’une société urbaine en réseau où paradoxalement l’isolement de chacun guette.
Si François Mitterrand entend ces interrogations et résistances, il revendique une vision optimiste du changement technique. Pour lui, la technologie reste un outil incontournable pour libérer l’homme et améliorer ses conditions de travail et de vie. À la condition, fondamentale, qu’il en soit maître. Les discours du candidat et du Président vont toujours en ce sens.
Si le passé montre que les innovations technologiques ont pu être source d’exploitation et d’aliénation, il faut continuer de croire dans la science et la technique, pourvu qu’on donne aux hommes et aux femmes les moyens de les maîtriser.
Les programmes gouvernementaux tentent ainsi d’articuler développement technologique et formation. C’est le cas en particulier dans l’informatique, très investie par le Président qui souhaite placer la France en tête des nations dans ce domaine.
François Mitterrand à l'école de l'informatique
Il présente régulièrement les performances des scientifiques et des ingénieurs français, par exemple dans l’aéronautique ou le spatial, comme des sources d’inspiration pour la jeunesse, qu’il souhaite voir se tourner avec enthousiasme vers ces domaines. Il en va selon lui de l’avenir du pays, dans le contexte d’une crise qui a pour origine le décalage entre les structures de l’économie nationale et la dynamique technologique mondiale, plus que des accidents de conjoncture.
François Mitterrand en direct avec un astronaute français dans l'espace
À en croire les sondages d’opinion, François Mitterrand est au diaposon des Français. Après une phase de doute dans les années 1970, ces derniers croient de nouveau dans les promesses du progrès technique. Le chef de l’Etat n’y est sans doute pas pour rien.
Sources et formes d’un volontarisme modernisateur
Aux sources d’une conviction
De retour d’un voyage aux Etats-Unis où il a constaté à la fois le dynamisme de l’industrie informatique américaine et la fluidité des relations entre les universités et les entreprises, le Président rappelle à un journaliste du magazine Elle qui lui demande cavalièrement : « Comment l'homme de la terre et de l'écrit que vous étiez s'est-il arrêté dans les laboratoires de la Silicon Valley ? Comment a-t-il pu sauter d'une galaxie à l'autre ? » : « Mes origines certes sont provinciales, d'une province rurale, la Saintonge, et ma formation a été littéraire et juridique. Mais j'ai été étudiant à Paris dans les années 34-39, soldat pendant la guerre, et j'ai vu de quoi manquait la France. J'ai voyagé, appris le monde. Il y avait dans ma famille beaucoup de scientifiques, plusieurs polytechniciens, frère, cousins, beaux-frères. Nous avions de nombreuses discussions sur les problèmes de technologie, de recherche. L'avenir du monde industriel nous passionnait. C'est vrai que mes responsabilités ministérielles autrefois se sont exercées dans des postes plus “politiques” que techniques, la Justice, l'Intérieur, l'Outre-Mer, mais j'ai toujours considéré que la maîtrise scientifique déterminerait les rapports de force de demain. C'est la mesure des temps modernes ».
Peut-être parce que son résultat est mitigé, Mitterrand oublie au passage un moment de sa carrière qui pourtant montre sa confrontation précoce aux questions de politique industrielle dans les hautes technologies : alors qu’il était tout jeune secrétaire d’Etat en charge de l’Information en 1948, il dut en effet prendre la décision du standard de l’image télévisée en France, cruciale pour cette industrie naissante.
Un pari technique et industriel: la haute définition pour la télévision française naissante
Mais la réponse est éclairante quant aux origines d’une sensibilité aux questions techniques et scientifiques, qui se traduit, lors du premier septennat présidentiel en particulier, par une grande ambition pour la France.
Traductions politiques
On peut parler d’un véritable volontarisme modernisateur, dans la mesure où les prises de parole et les décisions de François Mitterrand donnent à l’Etat, par ses structures de recherche par exemple, qui reçoivent d’importants crédits, ou encore par ses programmes d’équipement ou ses subventions, les moyens de préparer l’économie du pays à la compétition mondiale.
Avec ses ministres (Laurent Fabius, Hubert Curien notamment), et ses conseillers (à l’Elysée, Jacques Attali et Alain Boublil, ou au Centre d’étude des systèmes avancés), François Mitterrand pense qu’il faut moderniser les infrastructures françaises et l’ensemble de l’appareil productif, y compris dans les secteurs anciens comme le charbon, la sidérurgie ou le textile, en les irriguant par les progrès électroniques et informatiques de ce que l’on appelle alors la troisième révolution industrielle. L’idée n’est donc pas de faire table rase du passé, mais de rajeunir l’ensemble en maîtrisant les technologies critiques.
Les premières mondiales se multiplient. Les inaugurations sont des passages obligés et privilégiés, que le Président sait particulièrement bien négocier, même lorsque les réalisations sont héritées de la période antérieure. Ces moments servent à affirmer sa stature présidentielle.
En inaugurant en 1981 la ligne TGV Sud-Est, François Mitterrand fait ainsi corps avec la machine nationale, avant de faire d’importantes annonces qui situent ce moment dans un projet plus long.
Inauguration du TGV Sud-Est ou l'art de prendre le train en marche
En l’occurrence, il fait cas de sa décision d’étendre le réseau TGV en priorité vers l’Atlantique, longtemps négligé, et vers le Nord.
Le TGV Atlantique, une décision "très personnelle" du Président Mitterrand
De même, lors de l’inauguration du réseau en fibres optiques de Biarritz, il s’agit de promouvoir le plan Câble lancé en 1982 et l’ensemble de la filière électronique française.
Biarritz-Elysée: son et lumière sur l'avenir des communications en France
L’Europe technologique et scientifique
Européen convaincu, François Mitterrand articule ses ambitions pour la France à une vision de l’Europe intégrée. La polique scientifique et technologique se prête particulièrement bien à cet exercice d’équilibriste.
Les programmes hérités
La France soutient les programmes de coopération hérités des années 1970, mais qu’il faut continuer de défendre, notamment auprès de partenaires européens toujours soucieux de leur budget. L’aéronautique avec Airbus, et le spatial avec Ariane sont emblématiques de ces aspirations mêlées où la France semble se réaliser à travers l’Europe.
Témoin d'un lancement d'Ariane échoué, Mitterrand solidaire et convaincu du futur de l'Europe spatiale
De même, les grands projets infrastructurels sont inscrits dans un schéma européen. C’est ainsi qu’aboutit après deux siècles de négociation le projet d’un lien fixe à travers la Manche. Décidé conjointement par la France et l’Angleterre en 1987, le tunnel sous la Manche est inauguré en 1994.
Signature du traité franco-britannique à Canterbury : le bout du tunnel pour le tunnel sous la Manche
Inauguration du tunnel sous la Manche
De nouvelles initiatives
La France soutient aussi les nouvelles initiatives de la Commission européenne, qui propose aux Etats membres de la Communauté économique européenne d’intervenir de manière plus coordonnée et durable dans ces domaines jusqu’alors négligés par les politiques communautaires. Le premier Programme Cadre pour la Recherche et le Développement voit ainsi le jour en 1983.
Plus encore, la France impulse la création d’une nouvelle organisation internationale, Eureka, pour développer la coopération européenne autour de projets technologiques à visée commerciale.
Eureka ! François Mitterrand a trouvé l'Europe de la technologie
Conclusion
François Mitterrand est bien le dernier président du « progrès » - le principe de précaution introduit en droit français en février 1995 et constitutionnalisé en 2005 marquant de ce point de vue un tournant.
Les images rappellent que le Président ne s’est jamais caché de son volontarisme modernisateur, au contraire. Raison de plus pour s’interroger sur les raisons de l’effacement de cette dimension du personnage et de son action dans la mémoire collective.