Jeanne Malivel

15 avril 1995
05m 35s
Réf. 00233

Notice

Résumé :

Jeanne Malivel, native de Loudéac, est une artiste bretonne ayant appartenu au mouvement artistique breton Ar Seiz Breur. Son neveu et Roger Gicquel évoquent sa carrière.

Type de média :
Date de diffusion :
15 avril 1995
Source :
FR3 (Collection: En Flânant )
Personnalité(s) :

Éclairage

En 1995, la ville de Loudéac fête le centenaire de la naissance de Jeanne Malivel, rendant honneur à l'artiste bretonne. En effet, après une formation à l'école des Beaux-Arts de Paris puis dans l'atelier de Maurice Denis, Jeanne Malivel choisit un retour dans sa province natale. Elle a rapidement pris conscience des potentialités de la civilisation bretonne et souhaite transmettre aux Bretons leur appartenance à un passé prestigieux. Elle apprend alors le breton et, de 1919 à 1922, illustre par la gravure sur bois l'histoire de la Bretagne.

En 1923, alors que se prépare l'exposition universelle de Paris de 1925, consacrée aux arts appliqués, elle crée avec René-Yves Creston, sa femme Suzanne et quelques amis, "la fraternité des Seiz Breur" (Sept frères). A la recherche d'un entraînement collectif, ils essaient de convaincre artistes et artisans de participer à la réalisation d'un pavillon de la Bretagne et souhaitent former un "groupe fraternel d'artistes et d'artisans bretons". Il s'agit de former le goût du public en proposant des oeuvres nouvelles qui ne soient pas des copies du passé mais l'alliance de la modernité et de la tradition. Jeanne Malivel dessine alors des meubles, des papiers peints, des motifs de broderie, des services de table, des vitraux qui sont réalisés par des artisans locaux. La production du groupe est remarquée et on leur décerne une médaille d'or pour le mobilier.

Régionaliste mais pas autonomiste, Jeanne Malivel devient membre du groupe régionaliste breton.

Sa brillante carrière est interrompue par son décès prématuré en 1926.

Françoise Cocaud

Transcription

(Musique)
Roger Gicquel
Les «Seiz breur», les Sept frères, c'est un conte recueilli par Jeanne Malivel de sa grand-mère et qu'elle réécrivit en gallo, Jeanne Malivel, native de Loudéac. Les Sept frères, c'est une référence aux sept saints fondateurs de la Bretagne. Les Seiz breur, c'est un mouvement artistique breton mais qui veut échapper un peu au folklore. Et puis faire, aller vers l'art contemporain, mais qui soit bien breton. Et c'est ça l'esprit de Jeanne Malivel, dont on va fêter le centenaire avec éclat à Loudéac. Et j'avoue, je ne connaissais pas Jeanne Malivel et je vais rencontrer son neveu, le docteur Cordier.
Docteur Cordier
Bonjour.
Roger Gicquel
Bonjour, j'avoue que je ne connaissais pas Jeanne Malivel, son oeuvre, est-ce que vous m'en voulez ?
Docteur Cordier
Oui, monsieur, parce que vous n'êtes pas un bon Breton, si vous ne la connaissez pas. Parce qu'elle est très connue dans les milieux artistiques bretons.
Roger Gicquel
Oui.
Docteur Cordier
Elle est absolument à l'honneur depuis quelques années surtout, et elle a été oubliée du fait de sa mort jeune, et du fait que ses oeuvres sont restées dans la famille, donc il n'y a pas eu de vente.
Roger Gicquel
Bon, alors commençons par le début, qui était-elle, quel milieu ?
Docteur Cordier
D'un milieu aisé, un milieu de commerçants de province.
Roger Gicquel
Et elle a des dispositions pour le dessin et ça, son père le voit tout de suite.
Docteur Cordier
Oui, son père et sa mère aussi. Parce que sa mère était quelqu'un aussi. Ils estiment donc, et non seulement elle fait du dessin, et elle en fait sur ces cahiers d'école, mais elle sculpte aussi des figurines dans des marrons. Et elle avait une collection incroyable quand elle était jeune.
Roger Gicquel
Ah ! oui ?
Docteur Cordier
Et ils la confient donc, ils demandent son avis à un professeur de dessin originaire de Loudéac, mademoiselle Gicquel,
Roger Gicquel
mademoiselle Gicquel, j'ai appris ça oui.
Docteur Cordier
et qui était enseignante dans des collèges de Rennes. Alors pendant les vacances seulement, elle reçoit les leçons de cette demoiselle Gicquel, et pendant deux ans de pensionnat à Rennes, peut-être d'une façon un peu plus suivie. Et mademoiselle Gicquel dit à ses parents qu'étant donné ses dons, il faut la présenter aux Beaux-arts à Paris.
Roger Gicquel
Et elle va à Paris.
Docteur Cordier
Elle va à Paris.
Roger Gicquel
Elle ne va pas s'y plaire du tout. Elle va faire de bonnes études.
Docteur Cordier
C'est-à-dire elle passe le concours, débarquant de sa campagne, elle est reçue quatrième aux Beaux-arts de Paris, première en dessin.
Roger Gicquel
Mais ça ne lui va pas, ça ne lui convient pas.
Docteur Cordier
Ca ne lui convient pas, elle dit : je vais y perdre mon âme, d'autres ont dit cela.
Roger Gicquel
Allez, je reviens en Bretagne ?
Docteur Cordier
Oui, elle s'inscrit à l'Académie Julian, puis chez Maurice Denis qui a d'ailleurs voulu la garder dans son atelier d'art sacré en particulier.
Roger Gicquel
Célèbre peintre Maurice Denis. Alors elle s'est dit : moi artiste, bon je ne suis pas peintre, mais elle était peintre hein ? Elle peignait très bien. Elle ne voulait pas être peintre.
Docteur Cordier
Non.
Roger Gicquel
Elle ne voulait pas qu'on dise ça.
Docteur Cordier
Elle dit : « je suis rentrée aux Beaux-arts par la peinture parce qu'on ne m'a appris que ça, mais je ne suis pas peintre, je veux bien qu'on me dise : graveur sur bois ».
Roger Gicquel
Et non seulement graveur sur bois mais elle faisait des dessins de mobilier, elle a réalisé des mobiliers ?
Docteur Cordier
Oui.
Roger Gicquel
Des faïences, des tissus, enfin je ne sais quoi encore ?
Docteur Cordier
Pour donner du travail, sur place, aux ouvriers, aux artisans et aux filles du pays.
Roger Gicquel
Son idée, c'était ça : « je reviens en Bretagne, je travaille pour les artisans des motifs, ils vont les exécuter ». Et ça va être un petit mouvement d'artisanat en Bretagne pour que les gens restent au pays.
Docteur Cordier
Oui.
Roger Gicquel
Ca c'est formidable. C'est ce que vous retenez surtout ?
Docteur Cordier
Ah ! oui, pour moi c'est très important pour la comprendre.
Roger Gicquel
Et il y a un bois gravé qui est très important, dans un livre, une édition originale, j'ai vu, c'est La France protégeant la Bretagne.
Docteur Cordier
La France, au moment du rattachement.
Roger Gicquel
Racontez-moi ça.
Docteur Cordier
Au moment du rattachement de la Bretagne, évidemment on peut raconter ça de différentes façons, il y avait un monument sur la place de l'Hôtel de ville à Rennes,
Roger Gicquel
Oui.
Docteur Cordier
Enfin, dans l'Hôtel de ville lui-même, où avait succédé à Louis XV et Louis XVI une statue représentant la Bretagne à genoux, suppliant la France de la prendre. Or pour les Bretons qui connaissaient l'histoire, ce n'est pas vrai. La Bretagne a pris la France, excusez-moi, la France a pris la Bretagne mais elle a pris une province riche. A l'époque, le commerce maritime en particulier était important, il y avait plus de bateaux bretons que de bateaux français dans les ports. Et ici, au centre de la Bretagne, il y avait des toiles dont vous avez peut-être entendu parler, dans vos pérégrinations.
Roger Gicquel
Tout à fait, on en a beaucoup parlé.
Docteur Cordier
Et ma tante a donc réalisé un bois gravé où on voit la France grande dame, prenant la Bretagne sous son bras, Et la petite Bretonne à genoux et pleurant, c'était assez émouvant mais en plus on voit la main gauche de la France se glisser vers l'escarcelle de la Bretagne. Ce qui a alimenté une polémique, avec monsieur [Desconniers] de Ouest-France, en particulier. Elle a refusé de rééditer son livre parce qu'elle ne voulait pas qu'on la croit autonomiste, elle était régionaliste à tout crin, mais non autonomiste. Et le bouquin a été réalisé avec des illustrations d'un autre. Mais elle n'a jamais renié son dessin.
Roger Gicquel
Voilà, et je crois que la chose essentielle qu'on peut dire sur Jeanne Malivel, c'est que la tradition bretonne, l'art breton tel qu'il était, au moment de sa vie, elle ne le reniait pas mais elle voulait le renouveler.
Docteur Cordier
Elle voulait le renouveler et aussi l'empêcher de filer trop vers ce qu'elle appelait, et qui est appelé par d'autres eux aussi, les biniouseries.
Roger Gicquel
Voilà, et Jeanne Malivel, eh ! bien, aujourd'hui, on va enfin mieux la connaître.