Anjela Duval et la Saint-Jean

28 décembre 1971
05m 04s
Réf. 00750

Notice

Résumé :

Extrait du film de André Voisin. La poétesse Anjela Duval évoque la Saint-Jean de son enfance.

Type de média :
Date de diffusion :
28 décembre 1971
Source :
ORTF (Collection: Les conteurs )
Personnalité(s) :

Éclairage

Anjela Duval est née en 1905 au Vieux-Marché près de Plouaret dans les Côtes-d'Armor. Elle s'occupera de la petite ferme familiale toute sa vie. Elle est d'une part connue pour ses poèmes, chansons et textes rédigés en langue bretonne (son œuvre complète a été publiée en 2000 sous le titre Oberenne Glok) mais aussi pour son militantisme face à la mise à mal de l'identité bretonne. Elle s'insurgera contre la vente de terres, l'abandon du breton, etc. Dans son article publié dans Ar-Men (n°56), Roger Laouénan rappelle que sa devise fut « Stourm a ran war bep tachen » traduit par « Je résiste sur tous les fronts ». Gilles Servat lui dédiera d'ailleurs une chanson intitulée Traon an Dour, nom du hameau où elle a toujours vécu.

Cet extrait des "Conteurs", émission d'André Voisin, met l'accent sur la mémoire d'Anjela qui évoque la Saint-Jean de son enfance. Elle en rappelle son déroulement mais aussi sa capacité à réunir la communauté villageoise et même le pays puisque tous les feux de la région étaient visibles.

Cette fête (24 juin) proche du solstice d'été (21 juin) est une tradition ancienne qui comme le dit Anjela Duval reprend des traditions pré-chrétiennes (voir le Manuel du Folklore français d'Arnold Van Gennep). Souvent associée au culte du feu, elle n'est absolument pas spécifique de la Bretagne puisqu'on la retrouve dans plusieurs pays. Elle annonçait le début des grands travaux d'été du monde rural et correspondait souvent à d'autres habitudes, la date de la St-Jean étant celle de la louée des ouvriers agricoles par exemple. De même la coutume du tison de la St-Jean (ou celle du tison de Noël parfois) qui doit permettre de conjurer l'orage se retrouve dans plusieurs folklores (folklore du Limousin par exemple).

Martine Cocaud

Transcription

André Voisin
Si, on parlait aussi de ce qui n'était pas un métier mais d'une chose qui nous ramène aux contes, les gens qui allaient en pèlerinage par délégation, racontez-moi ça.
Anjela Duval
Comment je vous raconterai ça, j'ai connu un couple toujours après Pochan, le bonhomme s'appelait Pochan et sa femme c'était [breton], elle était laveuse mais à l'occasion elle allait comme ça en pèlerinage aussi mais lui le bonhomme il était presque toujours en route comme ça, en chemin.
André Voisin
Alors ça se passait comment ?
Anjela Duval
Bien quand on avait des gens ou des bêtes malades quand c'était trop loin ou qu'on n'avait pas le temps d'aller ou quand on n'était pas bon marcheur et puis c'était plus chanceux d'envoyer un pauvre que d'aller soi-même.
André Voisin
Et on le payait comment, on lui donnait... ?
Anjela Duval
Oh, je ne me rappelle pas, on lui donnait un peu de monnaie et puis souvent on le payait en nature, des pommes de terre ou du pain ou du lard, du lard surtout, et puis on lui donnait des provisions pour faire sa route quand il allait loin. Le soir de la Saint-Jean, le 23 au soir, vous avez peut-être remarqué les deux grands chênes qui ont peut-être mille ans, peut-être pas mais ou peut-être bien. Il y avait un grand feu là, mais de ce temps-là on était nombreux au hameau, vous savez, c'était une fête en perspective, 6 semaines avant on était déjà à traîner des fagots et des épines et des faucilles, des ronces, et tout ça il y avait un grand tas d'ajoncs, de toutes sortes, tout ce qui pouvait brûler.
André Voisin
Et alors ?
Anjela Duval
Et alors, il y avait après le souper c'était le grand feu alors, mais c'était le doyen du hameau qui allumait le feu, le bonhomme le plus vieux du hameau qui arrivait avec sa petite orge de paille là et puis ses allumettes et qui se mettait un genou à terre et fourrait son bouchon de paille en dessous et puis une allumette et puis ça commençait à flamber. Et les gens arrivaient parce que ce n'était pas encore assez d'avoir tout ce tas de broussaille là, il fallait encore que chacun amène son fagot, celui qui venait sans son fagot on lui mettait le doigt au feu en arrivant.
André Voisin
C'était le gage.
Anjela Duval
Mais ça faisait une belle lumière vous savez, on voyait le ciel s'ouvrir et puis des étincelles, ça craquait mais ça chauffait, il fallait se reculer quand ça commençait à chauffer.
André Voisin
Et alors, on dansait, on chantait, qu'est-ce qui se passait ?
Anjela Duval
Oui, mais on regardait quand le feu était bien pris, on se mettait sur un talus, puisque c'était toujours sur des hauteurs qu'on faisait les... et alors on comptait les feux tout alentour, on voyait des feux jusque dans Plounévez, à Trégor, Pluzunet, un peu partout dans la région où les enfants comptaient les feux on voyait jusqu'à 20, 30 plus comme ça des feux partout dans la région. Et puis quand le feu diminuait un petit peu les bonnes gens s'assoyaient puis on racontait des histoires et des nouvelles, chacun y allait de son petit récit. Et les enfants jouaient à cache-cache et criaient et s'amusaient et puis quelque fois, il y a aussi quelqu'un qui venait avec un vieil accordéon et on dansait un peu aussi.
Inconnu
On ne sautait pas au dessus des flammes ?
Anjela Duval
Ah, si, mais alors il fallait que le feu baisse beaucoup, on sautait par-dessus les flammes comme ça, et puis il y en avait qui faisait enflammer le fagot au bout de la fourche et qui le levait comme ça alors, il faisait des rigodons, des signaux aux autres feux et les autres feux répondaient aussi, c'était le 22 je crois. C'était le solstice d'été ? D'été le 22 juin.
Inconnu
A cause du soleil.
Anjela Duval
Mais après on a substitué des pratiques chrétiennes, c'était la fête de Saint-Jean on a reculé d'un jour ou deux. Et puis avant de partir alors on disait tout le monde se mettait à genoux et on disait la prière du soir alors oui.
André Voisin
Le tison de la Saint Jean c'était quoi ?
Anjela Duval
Et bien c'était un bout de bois à moitié brûlé comme ça la plupart du temps c'était de l'épine noire, parce que ça se conserve longtemps, et on le mettait de côté et on le mettait dans le feu alors quand il y avait du tonnerre.
André Voisin
A chaque orage ?
Anjela Duval
Ah oui, quand le tonnerre menaçait quand c'est proche, quand ça craquait bien.
André Voisin
Et vous, vous aviez peur de l'orage ?
Anjela Duval
Ah, oui quand j'étais petite j'avais peur de l'orage oui.