Construire l’histoire autour de la guerre des paysans (1525)
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Sur fond de guerre des paysans en pleine Réforme protestante, une parodie des Dossiers de l’écran tente d’expliquer la rivalité tenace entre Alsaciens et Lorrains. Une réflexion sur l’histoire et son interprétation, mais aussi sur la manière de construire le récit historique par un média télévisé.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
20 févr. 2001
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- 00122
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
La guerre des paysans de 1525 au cœur de ce reportage dépasse largement le cadre étroit de la rivalité entre Alsaciens et Lorrains. Cet événement s’inscrit dans un mouvement bien plus large qui débute dès l’été 1524 par des incidents et des attroupements paysans au nord de Nuremberg et au sud de la Forêt noire, puis par des troubles qui se répandent dans toute la partie méridionale et centrale du Saint-Empire, de la Lorraine au Tyrol en passant par l’Alsace, la Suisse, la Souabe, la Franconie et la Thuringe, à l'exception notable de la Bavière.
Il ne s’agit pas initialement d’une révolte coordonnée et dotée d’une direction unique, mais d’une constellation de petits groupes qui se nourrissent de la circulation rapide des informations et de libelles permise par le développement rapide de l’imprimerie dans la vallée du Rhin. Parmi eux, s’imposent les Douze articles (1525), revendications des paysans de Souabe dont plus de 25 000 exemplaires sont alors imprimés. À la mi-mai 1525, un projet de réforme collectif est cependant rédigé, envisageant la tenue d’un parlement paysan à Heilbronn, mais c’est au même moment que s’abat la répression des autorités locales – princes et villes d’Empire – lors de quatre batailles décisives, dont celle de Saverne.
Dans un contexte marqué par une profonde remise en cause des autorités religieuses sous la houlette de Martin Luther, il est tentant d’attribuer à ces révoltes une dimension religieuse. Certes, les Douze articles revendiquent le droit pour chaque communauté de choisir son pasteur et réclament la prédication du seul « pur Évangile », mais, à cette date, la Réforme ne s’est pas encore imposée et les Réformateurs sont loin de partager les mêmes conceptions. Le prédicateur Thomas Müntzer, proche des anabaptistes, développe une mystique prophétique – faisant de ses auditeurs un instrument du Salut – et s’engage lors de la guerre des paysans en prenant la tête d’une insurrection à Mühlhausen. A l’opposé, Martin Luther admet la liberté spirituelle du chrétien mais il lui intime l’obéissance aux autorités temporelles et condamne sans appel la sédition. Cependant, les paysans ont d’abord des revendications d’ordre social et économique. En Alsace, leur action s’inscrit d’ailleurs dans les Bundschuher, ces révoltes qui émaillent la période 1493-1517. On comprend dès lors le succès des Douze articles réclamant la suppression du servage, le maintien des forêts communales, l’abolition d’impôts féodaux ou l’équité devant les tribunaux seigneuriaux. Au-delà de la diversité des situations locales, c’est bien ce socle qui soude les communautés paysannes confrontées à la domination seigneuriale, qu’elle soit aristocratique ou ecclésiastique.
En Alsace et dans la partie orientale du duché de Lorraine – notamment le bailliage d’Allemagne –, les émeutes éclatent au printemps 1525, cette fois-ci de manière coordonnée. La région de Saverne devient l’épicentre d’un vaste mouvement qui regroupe des bandes venues d’Alsace, de Lorraine, du Palatinat et du pays de Bade. Pour éviter l’extension de la révolte dans son duché, Antoine de Lorraine lance une véritable croisade et porte le fer à Saverne où les troupes paysannes subissent une cuisante défaite dès mai suivant. Alors que la noblesse lui demande de poursuivre les survivants qui se replient vers le sud, il se borne à les pourchasser dans ses possessions du Val de Villé avant de regagner Nancy. Après quelques soubresauts, notamment au Tyrol, le mouvement s’éteint, soldé par la mort de 70 000 à 100 000 paysans.
La guerre des paysans a été l’objet de nombreuses interprétations. Au XIXe siècle, elle est assimilée par certains à un combat pour les libertés politiques alors que d’autres, à l’image des marxistes, y voient une révolte sociale à dimension révolutionnaire. De son côté, l'Allemagne nazie loue le « peuple » exprimant toute sa « germanité ». Dernièrement encore, un historien a suggéré que l’unité – supposée – de la paysannerie alsacienne en 1525 serait l’événement fondateur de l’identité de l’Alsace. Reste enfin la question de la mémoire. Si la cour de Lorraine a exalté la geste d’Antoine dans un long panégyrique, Relation de la guerre des Rustauds, versifié et traduit en français en 1548 sous le titre La Rusticade, du côté alsacien, c’est la tradition populaire qui s’est souvenue des massacres perpétrés par les troupes ducales. À tel point que certains se demandent avec malice si le dicton « Et Jésus dit à ses disciples, garde-toi des Lorrains » n’en serait pas l’héritier le plus flagrant.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage est une parodie des Dossiers de l’écran, émission culte de la télévision française qui, de 1967 à 1991, traite des questions de société en combinant projection d’un film et débat. Ces Dossiers de l’écran alsacien reprennent les codes de l’émission originale : ambiance en noir et blanc, allusion au producteur Amand Jammot, organisation du plateau autour du présentateur (Eric Vial) entouré de deux éminents spécialistes et, bien sûr, générique tiré de Spirituals for string Choir and Orchestra de Morton Gould.
Cette parodie, diffusée dans le cadre du journal régional de France 3 (12-14 du 20 février 2001), aborde le sujet « Pourquoi les Alsaciens font-ils la gueule aux Lorrains ? » et entend y répondre par la diffusion d’un film qualifié de « terrible » : Massacre près de Saverne. Le propos est de démontrer que la trahison et la répression sanglante du duc de Lorraine contre le soulèvement des paysans alsaciens de 1525 est à la source des rivalités et de la méfiance entre Alsaciens et Lorrains, thèse que reprend brièvement l’un des invités de l’émission pour conclure un débat qui, d’ailleurs, n’a pas lieu.
Le « film » de 2min34 est un montage d’images de différente nature. On y trouve une reconstitution des combats de Saverne réalisée en 1977 par Serge Witta, des images de l’ossuaire de Lupstein et l’interview d’Henri Heitz, historien spécialiste de Saverne. D’autre part, sont incrustées dans la trame deux peintures – très probablement du XXe siècle – et plusieurs gravures contemporaines des événements. Ces dernières présentent une vue de Saverne au XVIe siècle, la page de titre des Douze Articles de 1525, au moins deux gravures illustrant les techniques de torture (sans rapport avec le sujet traité) et des combats. Certaines semblent hors de propos, ainsi l’une montrant une armée se battant sous la bannière de lys du roi de France ou une autre représentant trois cavaliers coiffés de turbans à la manière turque. Par contre, on doit noter la présence sur l’un des tableaux (celui de la charge du duc de Lorraine sur les paysans) et sur deux gravures (dont celle au ciel mouvant) de la bannière des Bundschuher, ces soulèvements paysans qui marquent l’Alsace de 1493 à 1517 et annoncent la guerre des paysans de 1525 ; on y voit le soulier à lacets (Bundschuh) qui, symboliquement, s’oppose à la botte de la noblesse et porte en lui la dimension sociale de la contestation.
Le « film » propose également une courte déambulation sur deux lieux emblématiques des combats entre troupes ducales et paysans révoltés. Le premier est à Martelberg, à la sortie est de Saverne, où l’historien Henri Heitz conte les circonstances du « massacre » du 17 mai 1525. Le second lieu est l’ossuaire de Lupstein, une commune proche, qui symbolise à lui seul la fureur destructrice des troupes du duc de Lorraine. Cet ossuaire, dont les images reviennent à quatre reprises au cours du reportage, est un bâtiment construit avant les évènements (1503) et contient de 2 000 à 3 000 corps. Ce serait ceux des paysans tués en 1525, jetés initialement dans une fosse commune puis exhumés bien après pour être déposés dans l’ossuaire. Le fait est vraisemblable, mais aucune documentation écrite ne l’affirme.
Enfin, si on s’attache aux commentaires, on ne peut évacuer la vision téléologique de l’histoire proposée par le journaliste Eric Vial qui présente les événements de 1525 comme annonciateurs de la Révolution de 1789 en affirmant que les paysans se battaient pour la liberté des terres, la liberté des hommes et la liberté des idées. À l’inverse, la parole d’Henri Heitz est bien plus mesurée. Il utilise souvent le conditionnel, rappelle que le duc de Lorraine a été perçu comme un « libérateur » pour une partie de la bourgeoisie alsacienne et il n’est pas convaincu que l’expression « Faux comme un Lorrain » ait sa source dans cet épisode. Toutefois, en achevant le « film » par une dernière image de l’ossuaire de Lupstein sur la musique de Morton Gould, la parole de l’historien est balayée par le sentiment d’horreur qui clôt le reportage, enracinant définitivement la rivalité entre Alsaciens et Lorrains dans les massacres de Saverne.
Transcription
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