Ligier Richier, artiste humaniste de la Renaissance

La Renaissance est une période d’effervescence artistique et culturelle qui a marqué l’Europe et notamment Saint-Mihiel, le lieu de naissance de Ligier Richier (1500-1567). Il est né dans une famille d’artisans d’art et de maîtres-imagiers renommée. Ses œuvres religieuses témoignent de cet héritage médiéval gothique, même s’il s’est approprié les mutations de son temps. Saint-Mihiel est alors une ville dynamique, un carrefour commercial. Elle s’enrichit et ses élites, clientes des Richier, sont ouvertes à la Renaissance, à l’image de la bourgeoisie ou des Bénédictins de l’Abbaye de Saint-Mihiel dont la célèbre bibliothèque regorgeait d’ouvrages Renaissance. Ligier Richier a adopté des nouveautés artistiques italiennes grâce à la circulation des artistes et des idées qui l’ont ouvert à la recherche de la beauté et à l’expression des sentiments.  Il a aussi profité de la proximité d’ateliers renommés en Bourgogne et en Champagne. L’invention de l’imprimerie lui a certainement donné accès à certains ouvrages, à l’image des planches de l’Apocalypse d’Albrecht Dürer (1498). On lui prête un voyage en Italie, voire une rencontre avec Michel-Ange, mais cela semble peu probable. 

Comme beaucoup d’artistes, tel Fiorentino à la cour de François Ier, il a été soutenu par le mécénat, en l’occurrence celui des Ducs de Lorraine et de Bar. Ainsi, son œuvre le Décharné ou Transi à Bar-le-Duc (représentation d’un mort de façon à figurer un corps décomposé) de René de Chalon, l’un des favoris de Charles Quint, est une commande de son beau-frère, François Ier de Lorraine. Le gisant de Philippe de Gueldre situé dans l’église des Cordeliers à Nancy est aussi réalisé pour la famille ducale.

L’œuvre de Ligier Richier marque une rupture avec le Moyen Âge. Ses réalisations sont certes religieuses, mais elles témoignent d’une vision renouvelée de l’Homme, capable de progrès grâce à ses connaissances. Les découvertes scientifiques transparaissent dans ses œuvres, notamment ses connaissances en anatomie, le Transi montrant un « écorché » particulièrement réaliste. Il s’est intéressé au travail de différents matériaux comme le bois (Le Christ et les deux larrons) et la pierre (Mise au tombeau à Saint-Etienne de Saint-Mihiel) et aux innovations de son temps. Il est ainsi à l’origine d’une technique nouvelle, l’encaustiquage : l’application d’une préparation à base de cire chauffée sur de la pierre calcaire lui donne l’apparence du marbre.

Ligier Richier place aussi l’Homme au centre de sa réflexion et de son œuvre. Le Transi est tout à la gloire de René de Chalon, prince d'Orange, gendre d’Antoine II de Lorraine et proche de l’Empereur Charles Quint. Les personnages de sa Mise au tombeau sont vêtus à la mode de la Renaissance (ceinture ciselée, vêtements bouffants de Marie Madeleine, coiffures des personnages). Des scènes de vie quotidienne peuvent apparaître comme deux légionnaires jouant aux dés. Ce chef d’œuvre témoigne des influences italiennes.

Enfin, c’est un artiste de la Renaissance accompli à travers sa recherche de la perfection, à l’instar de Michel-Ange. Il se distingue par le réalisme de ses personnages et son souci des détails : visages - tel celui de Marie Madeleine baisant les pieds du Christ -, drapés des vêtements. Ses sculptures témoignent aussi d’une recherche d’exploitation de l’espace, à l’image des tableaux de la Renaissance, tel la Mise au tombeau de Raphaël peint en 1507.  Ce sculpteur ne se limite pas à représenter. Il insiste sur la force des expressions et la tension dramatique : Marie en deuil qui inspire la compassion, douceur de Jean Cléophée qui la soutient. 

Ligier Richier est un artiste incontournable de la Renaissance. Il mérite certainement une exposition plus importante : le département de la Meuse a ainsi créé la « route Ligier Richier ». Son œuvre, notamment le Transi, a inspiré nombre d’artistes à l’image de Fragonard, Houdon ou du controversé Von Hagens qui a exposé des cadavres grâce à la technique de la plastination.

Dans ce reportage de 1999, Ligier Richier n’est pas seulement présenté comme une figure artistique locale. Les journalistes veulent en effet réparer « une injustice dans l’Histoire de l’art » à l’occasion de la parution d’un ouvrage, La mise au tombeau de Saint-Mihiel, par l’éditeur messin Serge Domini. Ce n’est pas une simple opération de promotion (aucune publication ne lui a été consacrée depuis 1911), c’est un évènement exceptionnel. Il s’agit de prouver que Ligier Richier incarne l’Homme de la Renaissance sous toutes ses facettes et d’abord par son talent d’artiste mésestimé voire oublié : c’est un « sculpteur majeur » à redécouvrir. L’Interview de Paulette Choné, professeure d'histoire de l'art, crédibilise cette approche. Elle met en relief les caractéristiques principales de l’artiste alors que défilent des gros plans de son chef d’œuvre, La Mise au tombeau. Le travail du photographe Jean-Luc Tartarin, coauteur de l’ouvrage, permet de visualiser son souci du détail, l’expressivité des personnages, l’intensité dramatique. L’exposé est plutôt convaincant.

Au-delà de l’artiste, la vie de Ligier Richier nous plonge au cœur des mutations des débuts de l’époque moderne. Il est ainsi fait mention du bailliage de Saint-Mihiel, siège d’un tribunal, pour en montrer l’importance administrative. Le XVIe siècle fut en effet marqué par le développement de l’Etat royal français et a aussi concerné l’histoire du duché de Bar. Le Duc, qui était aussi Duc de Lorraine depuis le XVe siècle, était en effet vassal du roi de France pour une partie de ses possessions. Le duché était divisé en 4 bailliages, circonscriptions administratives et judiciaires très répandues dans le royaume de France. L’influence française fut donc fortement marquée dans le Barrois, même si le bailliage de Saint-Mihiel était non-mouvant, échappant de facto à l’autorité directe de la France.

Ayant passé la majeure partie de sa vie dans le Barrois et en Lorraine, Ligier Richier a aussi vécu au cœur des rivalités entre la France et les Habsbourg. L’affirmation de l’Etat royal français s’est en effet appuyée sur une politique d’extension du Royaume et de son influence. Ces territoires « frontières » ont été un enjeu de luttes récurrentes et ont été marqués par de nombreux conflits. Le Transi de René de Chalon, prince d’Orange de la famille de Nassau, nous ramène aux guerres entre François Ier et l’Empereur. Il a été tué le 15 juillet 1544 lors du siège de Saint-Dizier, place forte française proche du duché de Bar. 

Enfin, les mutations de la Renaissance touchent aussi au monde spirituel. La Réforme née dans la première moitié du XVIe siècle a bouleversé l’Occident et en particulier le Barrois. Le reportage passe un peu vite sur la conversion de Ligier Richier au Calvinisme. Ses œuvres, destinées à des églises catholiques, sont en effet teintées par son adhésion à la Réforme, que ce soit par la forme avec une volonté de réalisme liée aux influences flamande et rhénane, ou sur le plan spirituel en accordant une valeur importante au symbolisme. Les duchés de Lorraine et de Bar ont vu se multiplier les conversions à la Réforme née en Europe du Nord-Ouest. Dès 1523 le Duc Antoine II l’a rejetée, de même que Charles III son successeur. Ils sont ainsi devenus de fervents défenseurs du catholicisme et le Barrois dut subir l’inquisition et les violences. En 1560 puis en 1564, les réformés de Saint-Mihiel, ont adressé inutilement des pétitions au Duc pour leur permettre de pratiquer leur culte (Ligier Richier a signé en 1560). Mais, dans le contexte des guerres de religion, ils ont été contraints de revenir au catholicisme ou d’émigrer vers les Etats germaniques ou la Suisse. C’est ce que fit Ligier Richier qui partit pour Genève en 1564, où il finit ses jours en 1567.

Ligier Richier n’est pas seulement un artiste surdoué, il est le reflet d’une époque, entre la fin du Moyen Âge et l’époque moderne, faite de mutations et de bouleversements profonds, qu’il a épousés mais aussi subis.