Le procès de Klaus Barbie

04 juillet 1987
07m 58s
Réf. 00162

Notice

Résumé :

Le 11 mai 1987, le procès de Klaus Barbie commence. Il est accusé de crime contre l'humanité. Ce procès, qui a lieu à Lyon, réveille les passions devant l'absence de repentir du criminel. La communauté juive de Lyon n'oublie pas ce qu'il s'est passé.

Date de diffusion :
04 juillet 1987
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Éclairage

L'ouverture, le 11 mai 1987, du procès Barbie à Lyon devant la cour d'assises du Rhône est un véritable événement. Condamné à mort par contumace en 1952, puis 1954, l'officier SS, commandant de la section IV de l'Einsatzkommando de Lyon, a échappé à la justice avec le concours des services secrets américains. Réfugié en Bolivie sous une fausse identité, il en a été expulsé en février 1983 et s'est retrouvé entre les mains des autorités françaises. Après quatre ans d'instruction et de procédures, c'est peu dire que le procès est très attendu. A dire vrai, il sort de l'ordinaire : Barbie est le premier accusé en France à répondre de crimes contre l'humanité et non de crimes de guerre, ces derniers étant prescrits à la date où il a été remis à la justice française. Il en découle que l'homme qui doit essentiellement sa triste notoriété à l'arrestation, puis à la torture, jusqu'à ce que mort s'en soit suivie, de Jean Moulin, ne sera pas jugé pour cette raison-là que tout le monde pourtant a bien en tête, non plus que pour quantité de violences extrêmes et connues perpétrées contre des résistants. Il sera jugé exclusivement pour des faits relevant du crime contre l‘humanité : la rafle opérée le 9 février 1943 au siège de l'Union générale des israélites de France, 12, rue Sainte-Catherine à Lyon ; l'expédition montée le 6 avril 1944 à la Maison d'Izieu dans l'Ain où furent enlevés sept membres du personnel et quarante-quatre enfants dont le plus jeune n'avait pas cinq ans et dont le plus âgé venait d'avoir dix-sept ans ; la déportation de quelque 650 personnes embarquées le 11 août 1944 dans le dernier convoi qui quitta Lyon à destination des camps d'extermination ; la mort, précédée de tortures, du professeur Marcel Gompel ; la déportation, suivie de la mort, de Georges Lesèvre et de son fils Jean-Pierre, ainsi que l'envoi en déportation de Mme Lise Lesèvre, leur épouse et mère, qui avait échappé à la mort.

La présence de Barbie dans l'enceinte de la cour d'assises doit tout à la ténacité déployée par Serge et Beate Klarsfeld pour faire en sorte qu'il soit retrouvé, extradé et jugé. Quand, dans cet extrait, Beate Klarsfeld déclare : « On ne peut s'empêcher d'être content et satisfait que cet homme-là se trouve aujourd'hui dans le box des accusés à Lyon », elle parle d'or.

La ligne de conduite de Barbie et de son avocat est constante. L'accusé, qui décline d'entrée son identité sous le nom de Klaus Altmann, qu'il a endossée en Bolivie, refuse à partir de la troisième journée de son procès de comparaître plus avant devant la cour. Arguant de l'illégalité de son extradition, il affirme surtout, avant de s'éclipser, que, loin d'avoir agi au nom d'une conception affirmée du monde nazi, il n'a fait que son travail sous les ordres de ses supérieurs. Point de demande de pardon, même limitée, point de remords, même mesurés : une tranquille assurance, un détachement hautain, le sentiment, en somme, de ne pas être à sa place dans un procès que rien, à ses yeux, ne justifie. C'était sans compter avec la précision des faits rappelés pendant le procès, à commencer par la traque des enfants jusqu'à Izieu qui apparut pour ce qu'elle était : une action préméditée mue par une volonté idéologique de tuer. C'était sans compter également avec l'intensité de la parole des témoins : c'est une chose de savoir que des événements tragiques sont survenus, c'en est une autre d'entendre leur récit de la bouche des femmes et des hommes qu'ils ont broyés. Simone Lagrange, Lise Lesèvre, qui prennent la parole dans cet extrait, d'autres aussi, firent entendre une parole contre laquelle les artifices de Barbie ne pouvaient rien.

Condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l'humanité, Klaus Barbie mourut en prison à Lyon en 1991.

Bibliographie :

- Pierre Truche (sous la direction de), Juger les crimes contre l'humanité. 20 ans après le procès Barbie, Lyon, ENS éditions, 2009.

Voir aussi « Le procès Barbie », réalisation et direction artistique de Philippe Truffault, direction éditoriale et historique de Dominique Missika. 6 DVD Arte-Ina, 2011.

Laurent Douzou

Transcription

Journaliste 1
Il est 13h04, ce lundi 11 mai 1987. Klaus Barbie, l’ancien chef de la gestapo de Lyon pénètre dans le prétoire. Plus de 40 ans après la guerre, il répond devant une cour d’assises de crime contre l’humanité. C’est la première fois que l’on poursuit quelqu’un sous ce chef, la notion même de crime contre l’humanité est encore floue et sujette à controverses. Procès ordinaire sur le plan pénal, extraordinaire par la qualité de l’accusé et les passions qu’il réveille. Présente dès le premier jour, la communauté juive de Lyon n’a pas oublié les milliers de déportés sous le règne de Klaus Barbie.
(Bruit)
Inconnu 1
Je n’ai pas l’impression qu’il a le moindre remords, le moindre repentir vis-à-vis des crimes qu’il a pu commettre.
Inconnue 1
On ne peut pas s’empêcher d’être content et satisfait que cet homme-là se trouve aujourd’hui dans le box accusé à Lyon.
Journaliste 1
Barbie ne restera pas longtemps dans son box. Deux jours seulement après l’ouverture des débats, il tire sa révérence.
Journaliste 2
Monsieur Barbie, vous comptez revenir ?
Klaus Barbie
Je n’ai rien à dire.
Journaliste 1
"Je suis ici de façon illégale, j’ai été victime d’un enlèvement, et je n’ai pas l’intention de reparaître devant ce Tribunal." Ce sont provisoirement ses derniers mots.
(Bruit)
Journaliste 1
Malgré l’absence de Barbie, le procès continue. Les victimes révèlent ce qu’elles ont subi. Une horreur à laquelle personne ne s’attendait. Leurs témoignages font monter les débats d’un cran. A aucun moment on ne retrouvera une telle émotion.
Inconnu 2
J’ai dit à mes parents et à mes sœurs que mon père n’est plus de ce monde, excusez-moi. Nous avons fait la prière des morts.
Inconnue 2
Je ressens effectivement que je suis une miraculée.
Journaliste 1
Barbie a prétendu qu’il était d’abord un soldat. Moi je prétends qu’un soldat fait la guerre et je prétends que, aucun des orphelins d’Izieu ne présentait un intérêt militaire quelconque pour le troisième Reich.
Inconnue 3
Klaus Barbie était une bête sauvage, on ne peut pas appeler ça un homme. Et ce qui était extraordinaire chez Barbie, qui nous touchait beaucoup, c’est cette joie satanique qu’il avait à torturer. Il éprouvait vraiment une jouissance extrême. Nous, si on criait, alors il rayonnait, il avait réussi à nous arracher un cri.
Inconnue 4
Vous savez, la promesse qu’on a faite aux nôtres, à ceux qui mourraient, à Auschwitz, ceux qui partaient au four crématoire, c’était de témoigner jusqu’au bout. Et tant que je vivrai, je témoignerai.
Journaliste 3
Le 26 mai, pour la première fois, Barbie est amené à comparaître par la force, pour être confronté aux témoins qui ne l’ont pas vu pendant l’instruction. Tous le reconnaissent formellement, des témoignages accablants.
Inconnu 3
Il savait très bien où il nous envoyait. Moi c'est tout ce que j'ai à lui reprocher. Qu'est-ce que vous voulez que je lui reproche d'autre ? Je trouve que ça suffit, hein, remarquez.
Inconnue 5
C'est un homme qu'on ne peut pas oublier.
Journaliste 1
A cause de quoi, madame ?
Inconnue 5
A ses yeux. A ses yeux, à son regard. Et ce regard-là, voyez-vous, je crois que tout le monde l'aurait reconnu, ce regard.
Inconnue 6
Parce que je suis médecin, que j'avais fait de la médecine légale, que je sais reconnaître une oreille, je sais reconnaître diverses choses, et je les ai notées en me disant "Toi mon gars, tu peux te faire lifter comme tu voudras, je te reconnaîtrai toujours".
Journaliste 1
Barbie qui quitte le palais par une entrée dérobée. Jacques Chaban-Delmas qui va entrer par la grande porte, tout un symbole. Le triomphe de la Résistance. Les soi-disant révélations de Jacques Vergès ont fait long feu.
Jacques Chaban-Delmas
Ce procès, je vous l'ai dit, est un procès utile, utile pour ce que je vous ai dit, c'est la vérité, et puis la méditation sur la vérité, la vigilance pour l'avenir, contre le retour de la barbarie, le racisme. Quant à Barbie, son sort est scellé de toute manière.
Inconnue 7
Barbie est un criminel nazi non repenti. Et c'est pour ça qu'il est jugé. Mais au-delà de la personnalité de Barbie, il est aussi le produit du régime nazi. Et c'est ça qui me paraît important.
Journaliste 1
Place des Terreaux, la communauté juive a érigé, le temps du procès, un mémorial de l'Holocauste. Avant de témoigner, Elie Wiesel, Prix nobel de la Paix, et rescapé d'Auschwitz, est venu se recueillir.
Elie Wiesel
Je ne crois pas à la vengeance. Mais je crois à la justice. Je crois à la justice dans le cadre de la mémoire. Une justice sans mémoire n'est pas une justice.
Journaliste 1
Viennent ensuite les plaidoieries des parties civiles. Difficile pour elles de trouver des arguments plus forts que ceux des témoins. Certains sauront malgré tout trouver les mots justes.
Intervenant 1
Ce procès, il est à la fois pour nos contemporains, il est à la fois aussi pour ceux qui dans quelques années, dans quelques dizaines d'années, auront à se rappeler ce qu'à été l'occupation et ses atrocités.
Intervenant 2
Ce sont des crimes qui sont imprescriptibles par nature, nous devons bien le comprendre. Je l'ai... tenté de l'expliquer aux jurés, je suis certain qu'ils m'ont bien écouté, que la notion de crime contre l'humanité n'est pas encore complètement comprise par tout le monde, qu'il faut qu'elle soit mieux comprise, que c'est un crime supra national, un crime dont l'ensemble des nations civilisées sont responsables, responsables de sa répression.
Intervenant 3
J'ai rarement vu autant de preuves accumulées sur un seul homme présumé coupable, j'en ai rarement vu. Le dizième de ces preuves suffit à faire condamner n'importe qui en cour d'assises.
Journaliste 1
Exténué, Pierre Truche, procureur général, après un réquisitoire de deux jours sous une chaleur torride. Il ne reconnaît aucune circonstance atténuante à Barbie. D'ailleurs, eu égard aux victimes, il se refuse même le droit de pouvoir les accorder. Qu'est que que vous a dit Serge Klarsfeld à la fin, il est venu vous dire trois mots... Vous ne pouvez pas nous dire ça ?
Pierre Truche
Non non.
Journaliste 1
La sanction réclamée : la prison à perpétuité. Vous aviez dit que vous plaideriez l'acquittement après le réquisitoire du procureur Truche, vous êtes dans le même état d'esprit ?
Jacques Vergès
Tout à fait.
Journaliste 1
Vous êtes toujours confiant ?
Jacques Vergès
Toujours.
Journaliste 1
Des trois défenseurs de Klaus Barbie, Jacques Vergès a été égal à lui-même : talentueux, mais aussi parfois outrancier et provocateur. Tout comme l'Algérien Nabil Bouiata, qui s'est comporté plus en idéologue que en véritable avocat, créant même au passage un incident. Finalement, la suprise est venue de Maître Mbemba. Alors en quoi ce procès est significatif pour vous ?
Jean-Martin Mbemba
Je l'ai dit, simplement parce que j'estime que sans la participation des gens d'autres continents, peut-être que beaucoup ne sauraient jamais qu'il s'est passé des choses affreuses à Madasgascar et au Congo. C'est le moment plus que jamais de mettre tout cela sur une table, non pas pour chercher vengeance, pour demander des procès nouveaux, non simplement pour avoir une vue complète afin de dégager une définition sur les crimes contre l'humanité qui ne puisse pas faire appel à un peu de racisme.
Journaliste 1
Hier soir, après plus de 6 heures de délibéré, les jurés ont rejeté tous les arguments de la défense, répondant "oui" à toutes les questions sur la culpabilité, "non" sur les circonstances atténuantes. Verdict : réclusion criminelle à perpétuité.