Les obsèques du commissaire René Lacroix
Notice
Les obsèques du commissaire René Lacroix, tué au cours des manifestations de la nuit du 24 mai, ont eu lieu à Lyon. La cérémonie s'est déroulée en présence de milliers de Lyonnais et de nombreuses personnalités dont Max Moulins (préfet de Région) et Louis Pradel (maire de Lyon).
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Éclairage
Dans une dépêche à l'AFP le 25 mai 1968 à midi, le Premier ministre Georges Pompidou affirme que la France est « en présence donc d'une tentative évidente de déclencher un début de guerre civile, comme le démontre aussi ce qui s'est passé dans de grandes villes comme Lyon. ». On voit dans ce communiqué une volonté de dramatisation des événements autour de l'amalgame entre les deux morts attribués aux manifestants (le commissaire Lacroix à Lyon et un manifestant à Paris, tué en fait - on le saura beaucoup plus tard - par un éclat de grenade offensive) qui occulte les violences policières de tous ordres. L'énonciation du qualificatif « guerre civile » pour caractériser la situation vise à faire basculer l'opinion publique en démontrant que la violence a changé de camp et qu'elle est du côté des étudiants. Dans le même temps, du 25 au 27 mai se déroulent, rue de Grenelle, des négociations tripartites dirigées par Georges Pompidou entre gouvernement, patrons et syndicats pour résoudre la crise sociale. Le camp de la contestation est ainsi divisé.
À Lyon, le lendemain de la mort du commissaire Lacroix, la ville est sous le choc. La population défile toute la journée en déposant des fleurs à l'endroit où le policier a trouvé la mort. La police, après s'en être pris aux étrangers, dénonce des commandos venus de Paris. La CGT publie un communiqué, diffusé par tracts dans toute l'agglomération, dénonçant une provocation montée de toute pièce par le pouvoir en collusion avec des « éléments troubles ». L'ambiance est pesante, accentuée par l'absence de nouvelles en raison de la grève des quotidiens régionaux. Perquisitions, arrestations et déclarations alarmantes du préfet de région se multiplient et provoquent l'inquiétude de la population, que traduisent des réflexes d'angoisse, de peur de la pénurie et du rationnement. La CFDT parle même de « psychose de guerre civile ».
Les obsèques du commissaire Lacroix à l'église Saint-Bonaventure, précédées d'une cérémonie à la préfecture retransmise à la télévision nationale, sont le 28 mai l'occasion d'un important rassemblement de diverses personnalités et d'une foule imposante de Lyonnais qui veulent lui rendre hommage et condamner la violence. Semblable à un chemin de croix, après la remise à titre posthume de la légion d'honneur, le cortège mené depuis la préfecture par le préfet Max Moulins et la famille endeuillée parcourt le pont Lafayette, s'arrête devant le lieu de l'accident couvert de fleurs et rejoint l'église Saint-Bonaventure. Le préfet affirme dans son discours que ceux qui avaient lancé le camion chargé de pierres sur la police avaient été arrêtés. Deux « trimards » (nom donné aux marginaux), Michel Raton et Marcel Munch, avaient été effectivement arrêtés pour leur participation aux affrontements du 24 mai, accusés d'avoir coincé l'accélérateur du camion chargé de pierres qui avait heurté le commissaire Lacroix sur le pont Lafayette. Ils seront acquittés en cour d'assises en 1970 après le témoignage inattendu de l'interne qui avait tenté de réanimer le commissaire à son arrivée à l'hôpital, attestant que celui-ci était en réalité mort d'une crise cardiaque et non écrasé par le camion. Sans remettre en cause la décision de justice, le rapport des deux médecins légistes qui ont constaté le décès et ausculté le corps, donne une autre interprétation de la mort. Les causes du décès du commissaire Lacroix sont donc encore un enjeu d'interprétation et peuvent changer le sens des événements lyonnais du 24 mai 1968.