Marseille, capitale des Corses
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Résumé
Marseille mérite encore aujourd'hui d'être surnommée la "capitale de la Corse" car plus de 100 000 Corses y vivent. Cette migration est ancienne. Au début du XXe siècle, les Corses s'installent dans le quartier du Panier, non loin du Vieux Port. Le reportage s'attarde sur ce quartier où l'on entend encore parler corse. Au fil du temps, les Corses se dispersent peu à peu dans tous les quartiers de la ville. Jusqu'au milieu des années 60, cette migration ne faiblit pas. Elle s'explique par la proximité de la grande ville phocéenne par rapport à l'île et par le pôle d'attraction que constitue une communauté déjà installée, offrant à l'exilé un réseau d'accueil avec ses commerces et ses cafés. Le continent offre une plus grande possibilité d'emplois, à l'issue d'études qui ne peuvent se faire qu'en dehors de l'île. La fonction publique ou les professions libérales - juridiques et médicales - sont ainsi des débouchés privilégiés. C'est ce qu'expliquent les personnalités interrogées.
Date de diffusion :
21 janv. 1965
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Contexte historique
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La présence des Corses à Marseille est ancienne. La toponymie marseillaise rend d'ailleurs hommage à une famille cap corsine célèbre, les Lenci, qui s'est illustrée à Marseille et en Méditerranée. La situation de la Place de Lenche, une des rares places du quartier du Panier, prouve que l'implantation des Corses au coeur de la ville remonte au moins au XVIe siècle. Le processus d'arrivée des Corses à Marseille s'accélère à partir des années 1880, mais c'est tout de même dans l'Entre-deux-guerres que s'amorce un exode massif vers le "Continent", véritable arrachement à une société marquée depuis toujours par la puissance des liens familiaux et des solidarités villageoises. Si Nice, Toulon et les villes moyennes du littoral provençal attirent nombre d'entre eux, c'est à Marseille que la majorité choisit de se fixer. Le reportage montre que Marseille ne représente pas une terre inconnue pour les Corses. La proximité relative avec l'Ile rassure ces migrants ruraux, dépaysés par la ville. Ils sont ici pris en charge dès leur arrivée par une solidarité spécifique, dans le quartier du Panier. En effet, s'installer dans les vieux quartiers de Marseille, perchés au-dessus de la mer, entre La Joliette (où beaucoup vont trouver du travail) et le Vieux-Port, c'est retrouver ou rebâtir, dans ces rues étroites, propices à la vie communautaire, des formes de sociabilité et d'entraide qui redisent le village, la possibilité de s'exprimer en corse. Cette migration économique débouche sur un devenir professionnel très large : ils sont navigateurs, commerçants, enseignants, militaires, fonctionnaires des diverses administrations (dont la police et les douanes), médecins, avocats ou "voyous". Après une lente appropriation de ce lieu d'exil et une intégration réussie, les Corses investissent le domaine du politique avec des figures comme Simon Sabiani, Jean-Baptiste Canavelli, ou encore Jean-François Guérini. Certaines "dynasties", professionnelles ou politiques, se mettent en place qui marquent l'histoire de la ville. Après la guerre, les Corses se dispersent dans Marseille et se rapprochent de leur lieu de travail. Le Panier, qui a favorisé l'adaptation, est devenu progressivement un espace de recomposition, un lieu de mémoire. L'attachement à la Corse reste puissant dans la cité phocéenne comme le prouvent les nombreuses amicales, solutions de compensation à l'éloignement. La ville reste le principal lien entre l'île et le continent. Encore aujourd'hui on qualifie Marseille de première ville corse, avant Ajaccio et Bastia.
Bibliographie :
Marie-Françoise Attard-Maraninchi, Le Panier, village corse à Marseille, Paris, Autrement, 1997.
Francis Pomponi (dir.), Le Mémorial des Corses, Ajaccio, SARL Le Mémorial, 7 volumes, 1981.
Marie-Françoise Attard-Maraninchi et Émile Témime dir., Migrance. Histoire des migrations à Marseille, tome 3, Aix-en-Provence, Édisud, 1990.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Musique et sirène du bateau)
Journaliste
7h15, le Napoléon est à l'heure. Dans quelques instants, il touchera Marseille, capitale de la Corse.Sur le quai, les parents, les amis, sont eux aussi exacts au rendez-vous.Parmi les passagers, certains découvrent le continent pour la première fois. Ils viennent ici pour terminer leurs études ou pour chercher du travail.Dans cette ville gigantesque à leurs yeux, ils vont grossir le flot de leurs cent-mille compatriotes qui les y ont précédé, et qui ont fait de Marseille une cité où l'on compte plus de Corses qu'à Ajaccio, Bastia, Corte, Sartène et Porto-Vecchio réunis.
(Musique)
Reporter
Cette rue si semblable aux rues de Bastia ou d'Ajaccio n'est qu'à deux-cents mètres des quais, elle est au centre du Panier, pittoresque quartier, construit sur les ruines de l'antique Phocée.C'est là que s'installèrent les premiers Corses de Marseille, pour la plupart des navigateurs.
(Musique)
Reporter
Ces Corses ont depuis longtemps débordé les frontières du Panier, ce que nous confirme le Professeur Jospeh Comiti, Président de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône.
(Musique)
Joseph Comiti
Oui bien entendu, vous avez là le quartier du Panier, où se sont trouvés les premiers Corses. Mais les premiers Phocéens aussi étaient tous au quartier du Panier, puisque l'antique Phocée était le Panier. Mais maintenant, vous en avez de partout. Vous avez nos compatriotes qui se trouvent dans la banlieue industrielle de l'Estaque, vous en avez dans le quartier résidentiel de la rue Paradis, vous en avez dans les HLM de La Rose, vous en avez parmi les commerçants du centre de la ville.
Journaliste
Et si je vous suis bien, Marseille pour vous maintenant est un peu à à la Corse ce que la rive droite de Paris est à la rive gauche.
Joseph Comiti
Oui, bien entendu. Quand vous allez, vous quittez la Corse pour aller à la faculté, où voulez-vous aller ? Et bien vous allez à Marseille, qui est la ville la plus proche. Pour nous pratiquement, prendre le bateau représente passer le Pont de l'Alma par exemple.
Journaliste
Mais enfin Monsieur le Professeur : pourquoi Marseille ?
Joseph Comiti
Ils sont allés dans l'endroit le plus proche, c'est-à-dire ici à Marseille, où se sont créés des petits points d'attraction, des pôles d'attraction. Moi même, quand j'ai quitté Bastia après avoir passé mon baccalauréat, où devais-je aller pour commencer mes études de médecine ? Et bien je devais venir ici, parce que ici se trouvait un de mes parents et par conséquent pouvait assurer la surveillance du jeune homme de seize ans que j'étais. Et tout naturellement, j'ai été amené à commencer mes études à Marseille et ensuite à me fixer à Marseille. Mon exemple personnel est l'exemple qui est valable pour l'immense majorité de mes concitoyens.
Journaliste
Pourquoi êtes-vous venu vous installer à Marseille ?
Interviewé 1
Parce que je suis parti à l'âge de treize ans du Cap Corse pour venir naviguer, et j'ai navigué jusqu'à l'âge de cinquante ans, puis je me suis installé, commerçant à Marseille.
Interviewé 2
Je suis venu à Marseille, parce que à Marseille j'avais de la famille, et qu'en Corse il n'y avait pas de débouchés pour les jeunes et j'ai pensé qu'à Marseille ce serait plus facile.
Interviewé 3
Je suis venu à Marseille car j'avais des études à faire, et en Corse il n'y avait pas de faculté.
Interviewé 4
Et bien, je ne suis pas venu de ma propre initiative, parce que je n'avais que deux ans, j'ai suivi mon père. Et je pense qu'il a eu raison de venir à Marseille, parce qu'au village, la vie n'était pas... était très dure.
Journaliste
On pourrait en entendre mille, les raisons qu'ils donneraient de leur installation ici seraient toujours le dénuement, l'abandon dans laquelle se trouve leur île, qui reste pourtant si vivante dans leur coeur, qu'ils ne peuvent s'empêcher d'en parler entre eux, dans le dialecte de leur enfance, chaque fois qu'ils se rencontrent.
(Échanges en corse)
Journaliste
On retrouve des Corses dans toutes les professions, dans tous les corps de métier. Un médecin marseillais sur six est Corse, un pharmacien sur dix, un chirurgien dentiste sur cinq. Au palais, un avocat sur cinq est Corse, un huissier sur six. Dans le secteur publique, un fonctionnaire sur quatre est Corse. On les a souvent plaisantés à ce sujet, en oubliant que ces hommes transplantés recherchaient avant tout une sécurité qui mettrait un terme à l'incertitude de leur sort. Ils participent ainsi dans les domaines les plus divers, à la vie de leur cité d'adoption. Cela pourtant se sait peu. On a parlé beaucoup plus souvent des mauvais garçons. Leurs faits d'armes, que certains voulurent teinter de romantisme, ont longuement défrayé la chronique. Un avocat corse célèbre, Maître Raymond Filippi, nous parle de ces mauvais garçons.
Raymond Filippi
J'en ai connu beaucoup, forcément. Mais je dois dire qu'il y a une sorte... Une sorte de régression qui se produit. Dans la mesure où mon expérience peut servir d'indication sur ce point. J'ai notamment fait une constatation qui me parait intéressante. C'est que parmi les mauvais garçons corses que ma carrière m'a donné de fréquenter, j'ai pu connaitre également leur progéniture. Et que j'ai été frappé par un phénomène assez curieux : beaucoup d'entre eux ont donné le jour à des enfants qui n'ont pas du tout suivi les traces de leurs parents. Il est même très rare d'ailleurs qu'il y ait une ascendance qui se manifeste.
Journaliste
Peut-on dire qu'il s'agit d'une promotion sociale ?
Raymond Filippi
Il n'est peut-être pas interdit de le penser. Cela est tellement dans le caractère corse, cette espèce de progression. Il m'a été donné de constater par exemple que, beaucoup d'entre eux qui avaient été des truands avérés, puisque c'est le mot que l'on doit employer, avaient eu des enfants, et ont des enfants, qui ont été dirigés dans une toute autre orientation. Qui se préoccupent maintenant d'être des ingénieurs, des assistants à la faculté des sciences, des médecins, des avocats même. Ils sont des fils de truands.Moi je le sais.Je suis peut-être le seul à le savoir.
(Musique)
Journaliste
Quelle que soit leur profession, à quelque milieu qu'ils appartiennent, les Corses aiment à se réunir entre eux.
(Musique)
Journaliste
Dans le sentiment de l'insularité retrouvée, ils évoquent au milieu de chants remontants de leur enfance, les petites histoires de leur village, ou la grande Histoire des Corses célèbres, comme le fait ici Monsieur Bastien Leccia, Président des Groupements Corses.
(Musique)
Journaliste
Quel rôle les Corses ont-ils joué dans l'histoire de Marseille, et depuis quand jouent-ils ce rôle ?
Bastien Leccia
Et bien il y a une légende qui veut que les Corses aient accompagné les Phocéens quand ils sont arrivés à Marseille, et qu'ils venaient de Corse d'ailleurs, et qu'ils aient ainsi participé eux-même à la fondation de Massalia. Mais bien plus certaine est la présence des Corses à Marseille à partir du XVe siècle. L'Histoire a retenu de nombreux noms de Corses célèbres, qui ont occupé dans cette cité une place prépondérante. Savez-vous que Thomas Lenche, originaire de Morsiglia dans le Cap Corse, fut le fondateur du premier comptoir français sur la côte barbaresque, le Bastion de France. Et qu'il fut ainsi le promoteur de l'expansion française en Afrique du nord.
(Antoine Ciosi chante, la foule le rejoint)
Bastien Leccia
Sait-on que le comte Riquetti, marquis de Mirabeau, le grand tribun de la Révolution française, avait du sang corse dans les veines ? Ne descendait-il pas, en droite ligne, de la fille d'Antoine de Lenche, neveu de Thomas.
(Antoine Ciosi chante)
Bastien Leccia
Au XVIIIe siècle, Marseille connu un personnage qui marqua de son empreinte toute une longue période. C'était Roux de Corse, descendant des Franceschi de Centuri, du Cap corse encore. Il fut non seulement premier échevin de la ville reprise, mais encore, ce fut un grand armateur et un commerçant avisé. C'est lui qui fut le premier importateur du café des Antilles.Le premier importateur en France du café des Antilles.Mais il joua un rôle très important pendant le guerre de Sept Ans, en mettant à la disposition du roi de France sa flotte, en participant à la défense de Marseille, mais surtout en participant d'une manière décisive à la prise de Port Mahon à Minorque, alors tenue par les Anglais.Pour la petite histoire, nous ajouterons que la recette de cette sauce qu'on a appelé la mahonnaise puis la mayonnaise, fut importée de Port Mahon par les hommes de Roux de Corse.
(Antoine Ciosi chante puis la foule applaudit)
Journaliste
Oui, Marseille est bien la capitale de la Corse.
(Applaudissements puis nouvelle musique)
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