La communauté arménienne de Marseille
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L'historien Emile Temime évoque la communauté arménienne qui s'est installée dans le quartier de Beaumont à Marseille après le génocide de 1915.
Date de diffusion :
18 juin 1999
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Contexte historique
ParDocteur en Histoire contemporaine, Post-doctorant à Aix-Marseille Université
Publication : 10 janv. 2025
Le 18 juin 1999, alors que doit se tenir le lendemain une grande parade populaire terrestre et navale célébrant les 2 600 ans de la cité phocéenne et baptisée « la Massalia », l’historien Émile Temime revient, en compagnie d’un journaliste, sur l’histoire des différentes immigrations qui ont contribué à forger cette ville.
Depuis le quartier de Beaumont, situé à l’ouest de la ville dans le 12e arrondissement, cet éminent spécialiste des études migratoires, professeur à l’Université de Provence, rappelle que cet endroit constitue indéniablement l’épicentre de la communauté arménienne de Marseille ayant fui le génocide perpétré, en 1915, par le gouvernement Jeunes-Turcs de l’Empire ottoman et qui a fait 1,5 million de victimes. Depuis 1980, l’artère principale traversant le quartier porte d’ailleurs le nom d’’avenue du 24 avril 1915, qui fait directement référence à l’événement déclencheur du génocide : l’arrestation à Constantinople de plusieurs centaines de notables arméniens suivie de détentions et d’éliminations physiques.
Des réfugiés arméniens arrivent à Marseille dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, avec une nette accélération en septembre 1922 et le transfert vers la cité phocéenne de 400 d’entre eux débarqués du navire hôpital le Tourville au port de Toulon en provenance de Smyrne (ville reprise par les partisans de Mustapha Kemal, le futur Atatürk, à l’issue de la guerre gréco-turque). Puis la signature, le 24 juillet 1923, du traité de Lausanne marque le début de l’afflux principal de réfugiés en provenance de Constantinople mais aussi de Grèce ou du Liban. Abrogeant le traité de Sèvres de 1920, celui de Lausanne fixe en effet les frontières de la Turquie et prévoit de surcroît des échanges de minorités.
Entre 1922 et 1928, ce sont près de 60 000 Arméniens qui débarquent au port de Marseille pour transiter ou s’y établir plus durablement. L’accueil de ces réfugiés arméniens s’effectue dans l’urgence au sein de camps militaires rudimentaires, comme le camp de Sainte-Marthe, le camp de Sainte-Anne, le camp Victor Hugo près de la gare Saint-Charles, le camp de Saint-Jérôme, le camp de Saint-Loup ou le camp Oddo. Ce dernier, composé de différents baraquements, se trouve dans le quartier du Canet sur un terrain concédé, durant le premier conflit mondial, au ministère de la Guerre par la compagnie des chemins de fer Paris Lyon Méditerranée (PLM). Il ne ferme qu’en 1927. Progressivement de nombreux Arméniens construisent des maisons dans des quartiers périphériques de la Marseille de l’entre-deux-guerres où le terrain est bon marché et qui se situent souvent à proximité des camps les ayant hébergés temporairement. Beaumont, Saint-Loup, Saint-Jérôme ou Saint-Antoine se muent alors en de « petites Arménies » où ces étrangers, tout en s’intégrant à la société française, recréent un certain entre soi. Ces quartiers sont alors marqués par la présence de nombreux artisans et commerçants arméniens, voire, comme à Beaumont, par l’existence d’une église apostolique arménienne.
De nos jours, 80 000 Arméniens ou descendants d’Arméniens vivent dans la cité phocéenne et maintiennent le souvenir du traumatisme du génocide de 1915 et de l’exil. L'association pour la recherche et l'archivage de la mémoire arménienne (ARAM), fondée en 1997, dispose d’un important centre de ressources documentaires valorisées notamment par diverses expositions. En 2006, à l’occasion de l’année de l’Arménie en France, un important mémorial rappelant le génocide de 1915, a été inauguré dans le quartier de Beaumont. Chaque année, le 24 avril, les membres de la communauté arménienne s’y rassemblent pour transmettre la mémoire de ce massacre aux générations futures, et avec le secret espoir que la Turquie reconnaisse enfin sa responsabilité dans l’une des plus grandes tragédies humaines du XXe siècle. À l’occasion du centenaire du génocide et en signe de soutien affirmé à l’importante communauté arménienne de la ville, la municipalité de Marseille a enfin fait de 2015 l’année de l’Arménie, avec à la clé une très riche programmation culturelle, mettant en valeur l’empreinte indélébile laissée par cette histoire commune.
Bibliographie
- Lydie Belmonte, La petite Arménie à Marseille. Histoire de la communauté arménienne à Marseille à travers le boulevard des Grands Pins à Saint Loup, Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 2004.
- Stephan Boghossian, La communauté arménienne de Marseille. Quatre siècles de son histoire, Paris, L’Harmattan, 2009.
- Anouch Kunth, Au bord de l'effacement : Sur les pas d'exilés arméniens dans l'entre-deux-guerres, Paris, La Découverte, 2023.
- Myriame Morel-Deledalle, Claire Mouradian et Florence Pizzorni (dir.), Loin de l’Ararat… Les petites Arménies d’Europe et de Méditerranée. Les Arméniens de Marseille, Paris, Éditions Hazan, Marseille, MUCEM, 2007.
- Émile Temime (dir.), Histoire des migrations à Marseille, Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 2007.
Transcription
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