La communauté maghrébine de Marseille
Infos
Résumé
L'historien Emile Temime revient sur l'histoire de l'immigration maghrébine à Marseille, qui ne se résume pas à l'afflux de population algérienne pendant et après la guerre d'indépendance. Les migrations sont aussi tunisiennes et marocaines et datent de bien plus tôt. Et bien plus tard aussi.
Date de diffusion :
18 juin 1999
Éclairage
Informations et crédits
- Type de média :
- Type du document :
- Collection :
- Source :
- Référence :
- 00621
Catégories
Thèmes
Lieux
Personnalités
Éclairage
Contexte historique
ParDocteur en Histoire contemporaine, Post-doctorant à Aix-Marseille Université
Publication : 10 janv. 2025
Le 18 juin 1999, alors que doit se tenir le lendemain une grande parade populaire terrestre et navale célébrant les 2 600 ans de la cité phocéenne et baptisée « la Massalia », l’historien Émile Temime revient, en compagnie d’un journaliste, sur l’histoire des différentes immigrations qui ont contribué à forger cette ville. Alors qu’une répétition de chants et des danses orientales se déroule sur le stade Ganay, cet éminent spécialiste des études migratoires, professeur à l’Université de Provence, rappelle l’ancrage déjà ancien de la communauté maghrébine à Marseille avec une nette prééminence des Algériens. Les premiers travailleurs kabyles arrivent dans la cité phocéenne au cours des années qui précèdent la Première Guerre mondiale, afin de remplacer au pied levé des grévistes, y compris italiens, dans les huileries et les raffineries de sucre. Le patronat marseillais n’hésite ainsi pas à aller chercher de l’autre côté de la Méditerranée au sein de l’empire colonial français une main-d’œuvre non qualifiée et supposée plus docile, afin de maintenir une pression à la baisse sur les salaires dans des branches stratégiques de l’industrie locale.
Le déclenchement de la Grande Guerre entraîne un appel aux soldats et à la main-d’œuvre venus des colonies. Mais cette présence numériquement nettement plus importante en métropole prend en grande partie fin à l’issue du conflit, car les autorités ont peur que les colonisés nourrissent des idées de révolte en voyant la France affaiblie et en fréquentant les milieux anticolonialistes. Un nouvel appel de la métropole au Maghreb s’effectue au début de la Seconde Guerre mondiale, et le 15 août 1944 d’autres maghrébins participent au débarquement de Provence puis à la libération de Marseille.
C’est toutefois au lendemain de ce conflit que le nombre de travailleurs venus d’Algérie connaît un premier accroissement très significatif. La libre circulation vers la métropole a en effet été accordée en 1947 aux « Français musulmans d’Algérie » en même temps que la citoyenneté, même si les discriminations perdurent. Et surtout Marseille a besoin, comme le reste de la France, de main-d’œuvre pour se reconstruire. Aux côtés d’autres venus d’ailleurs, les Algériens constituent les gros bataillons des terrassiers du bâtiment, activité pénible, dangereuse, faiblement rémunérée et qui oblige souvent à de constants déplacements pour aller de chantier en chantier. Ayant le plus souvent laissé leurs femmes et leurs enfants en Algérie, ces travailleurs logent dans un habitat souvent insalubre, qu’il s’agisse de cabanes précaires sur les chantiers, de sordides garnis, d’anciens bâtiments militaires ou industriels désaffectés ou de bidonvilles. Malgré un prélèvement à cette fin sur la masse salariale des entreprises, les autorités ont en effet les plus grandes difficultés à construire des foyers pour héberger dignement ces célibataires. Certains de ces foyers une fois construits se délabrent en outre rapidement. La lente résorption des bidonvilles donnera naissance à une autre forme d’habitat précaire : les cités de transit construites pour être des sas temporaires et qui, pour certaines, perdureront durant des décennies.
En 1962, l’indépendance de l’Algérie n’est pas synonyme de baisse des flux de main-d’œuvre en direction de la cité phocéenne, alors que d’autres Algériens y transitent, par le port ou plus rarement par l’aéroport, pour se rendre dans les localités où leur force de travail est demandée. On assiste parallèlement à une percée de l’immigration marocaine et dans une moindre mesure tunisienne. Avec l’accélération du regroupement familial, après 1974, la présence maghrébine s’accroît encore dans la cité phocéenne et elle représente 60 % des 126 000 immigrés recensés à Marseille l’année suivante. Ces années 1970 sont aussi marquées par des flambées xénophobes, qui prennent prioritairement pour cible les Maghrébins. L’accentuation de la crise économique dans les années 1980 entraîne certes une nouvelle contraction de l’immigration de travail et la mise au chômage de travailleurs immigrés, dont certains vieillissent aujourd’hui oubliés dans des foyers mal adaptés à leur grand âge. Mais la décennie noire que connaît l’Algérie, de 1991 à 2002, suscite un nouvel afflux à Marseille, même si beaucoup d’Algériens choisissent d’autres lieux d’exil, y compris lointains comme par exemple le Québec. Parallèlement, la transformation de la nature des flux migratoires amène à Marseille de plus en plus d’étudiants maghrébins. Ancrée dans la cité phocéenne depuis plusieurs générations, la communauté maghrébine fait partie intégrante du cosmopolitisme marseillais, et certains de ses membres ont fait rayonner l’image de la ville à l’international, à l’instar du footballeur Zinédine Zidane, fils d’immigré et enfant de la cité de la Castellane.
Bibliographie
- Emmanuel Blanchard, Histoire de l’immigration algérienne en France, Paris, La Découverte, 2018.
- Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch (dir.), Marseille Porte Sud. Un siècle d’histoire coloniale et d’immigration, Paris, La Découverte, 2005.
- Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut, Naïma Yahi (dir.), France, terre d’immigration. Treize siècles de présence du Maghreb, de l’Égypte et de l’Orient, Paris, Philippe Rey Éditions, 2025.
- Benjamin Stora, Linda Amiri (dir.), Algériens en France. 1954-1962 : la guerre, l’exil, la vie, Paris, Éditions Autrement / Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2012.
- Émile Temime, Marseille transit : les passagers de Belsunce, Paris, Éditions Autrement, 1995.
- Émile Temime (dir.), Histoire des migrations à Marseille, Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 2007.
Transcription
Sur les mêmes thèmes
Date de la vidéo: 21 juin 1989
Durée de la vidéo: 03M 51S
Une communauté bien intégrée dans les Alpes-Maritimes : les Portugais
Date de la vidéo: 27 févr. 1975
Durée de la vidéo: 02M 0S
Le président de la République visite le bidonville Michel
Date de la vidéo: 12 juil. 1985
Durée de la vidéo: 02M 52S
Quand Chapier prenait position pour le cinéma régional
Date de la vidéo: 12 juin 1962
Durée de la vidéo: 01M 29S
Robert Boulin, secrétaire d'État aux Rapatriés, à l'arrivée du Ville de Bordeaux.
Date de la vidéo: 27 août 1973
Durée de la vidéo: 03M 32S
L'appel au calme de Mgr Etchegaray, évêque de Marseille
Date de la vidéo: 10 mai 1990
Durée de la vidéo: 01M 58S
La profanation du cimetière juif de Carpentras
Date de la vidéo: 15 juil. 2016
Durée de la vidéo: 04M 04S
Le récit de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016
Date de la vidéo: 24 avr. 2015
Durée de la vidéo: 02M 03S
Un défilé à Marseille pour la commémoration des 100 ans du génocide arménien
Date de la vidéo: 07 avr. 2013
Durée de la vidéo: 01M 41S
Inauguration de la Villa Méditerranée par les représentants des parlements méditerranéens
Date de la vidéo: 08 oct. 2015
Durée de la vidéo: 01M 36S
François Hollande visite le camp des Milles à Aix-en-Provence
Sur les mêmes lieux
Date de la vidéo: 07 oct. 1966
Durée de la vidéo: 17M 06S
Naissance d'un village : Carnoux-en-Provence
Date de la vidéo: 25 sept. 2014
Durée de la vidéo: 04M 19S
Hommage à Hervé Gourdel, assassiné en Kabylie
Date de la vidéo: 24 juin 2019
Durée de la vidéo: 01M 20S
Emmanuel Macron clôt le sommet des deux rives de la Méditerranée 2019 à Marseille
Date de la vidéo: 26 août 1995
Durée de la vidéo: 02M 14S
Marseille, ville métisse : Bye Bye de Karim Dridi
Date de la vidéo: 05 juin 2011
Durée de la vidéo: 07M 27S
Entre Menton et Vintimille, aider les migrants après la « Révolution du Jasmin »
Date de la vidéo: 28 juil. 1961
Durée de la vidéo: 04M 21S
Conséquence de la crise de Bizerte, l'arrivée de rapatriés de Tunisie
Date de la vidéo: 06 avr. 1945
Durée de la vidéo: 01M 01S