Alcool, sucre ou jeux vidéos : entretien avec Christophe Cutarella, psychiatre et addictologue

En 2019, le psychiatre et addictologue Christophe Cutarella est interviewé devant la clinique Saint-Barnabé à Marseille, où il mène un programme de recherche sur les mécanismes de l’addiction, et en particulier le « craving », que l’on peut définir comme une envie irrépressible d’aller vers une substance à un moment où l’on ne s’y attend pas et où l’on ne le veut pas forcément. Une addiction est une pathologie reposant sur la consommation répétée d’un produit (tabac, alcool, cannabis, cocaïne, ecstasy, médicaments détournés de leur usage etc.) dont on ne peut plus se passer, ou la pratique excessive d’un comportement (jouer aux jeux vidéo, fréquenter assidument des réseaux sociaux, consulter des sites pornographiques, jouer à des jeux d’argent et de hasard etc.) sur lequel l’individu a perdu tout contrôle. Le trouble du jeu vidéo (ou gaming disorder), c’est-à-dire le fait de jouer de manière répétée et durant un temps disproportionné, est entré, en 2018, dans la classification internationale des maladies (CIM) établie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), institution de l’Organisation des Nations unies (ONU) chargée de la santé publique.

Les addictions dans leur ensemble constituent un épineux problème de santé publique, car plusieurs millions de Français sont concernés par au moins une d’entre elles : 27% de la population adulte présente un risque chronique d’addiction au tabac et 8% à l’alcool, alors que 7% des adolescents serait dans la même vulnérabilité vis-à-vis du cannabis. Ces addictions ont pour conséquence des maladies parfois très graves, une modification de l’équilibre psychologique et émotionnel des sujets concernés, sans oublier des perturbations significatives de la vie personnelle, sociale voire professionnelle. De multiples facteurs de risque existent, et les individus sont loin d’être tous égaux face au phénomène addictif. Plus une consommation est précoce plus le risque d’addiction augmente, et le fait d’être un homme constitue également un facteur de risque supplémentaire. La personnalité de chacun entre aussi en ligne de compte, puisque les personnes qui sont par exemple anxieuses, introverties ou à tendance dépressive ont un risque accru, tout comme celles amatrices, à l’inverse, de sensations fortes. Le degré de maturité cérébrale joue également un rôle important, d’où la nécessité de protéger les plus jeunes. Enfin les prédispositions génétiques, tout comme l’environnement familial, amical et social sont aussi déterminants. Le risque de développer une addiction au tabac est ainsi plus élevé pour les individus ayant grandi dans un foyer fumeur. 

Les autorités mènent, en France, des campagnes de prévention, comme chaque année en novembre le mois sans tabac, lancé en 2016 et destiné à aider les fumeurs désirant entreprendre un sevrage. En janvier existe également le mois sans alcool ou « dry january », inventé initialement en Angleterre. Non officiellement soutenu par les pouvoirs publics mais à la notoriété grandissante, il vise à faire réfléchir les Français sur leur consommation d’alcool à l’issue des fêtes de fin d’année. Loin de la posture moralisatrice et stigmatisante qui a pu prévaloir antérieurement, la France a adopté au cours des années 1980, avec l’apparition du sida chez les toxicomanes, une politique de réduction des risques et des dommages (RDRD), qui a été postérieurement inscrite dans la loi via le code de la santé publique. Sans nier le caractère illicite de certaines consommations de drogue, les autorités considèrent l’addiction qui en découle comme une maladie chronique qu’il faut soigner, tout en sachant que pour certains individus à certains moments de leur vie le sevrage total n’est pas possible. Il convient alors d’engager une action pragmatique et adaptée avec pour but d’améliorer la qualité de vie des intéressés, tout en tentant d’atténuer les conséquences néfastes de ces usages pour la société dans son ensemble. Les contaminations des toxicomanes par le virus du sida ont par exemple été divisées par plus de trente entre 1995 et 2016, même si l’implantation d’une « salle de shoot » dans tel ou tel quartier ne manque pas de heurter l’opinion publique.   

Bibliographie 

• Addictions et drogues : les chiffres 2023 et les politiques publiques en matière de toxicomanie, Vie publique, 2024.  https ://www.vie-publique.fr/eclairage/19506-addictions-drogues-et-sante-publique-les-donnees-recentes 
• Addictions : Du plaisir à la dépendance, Inserm, 2017. https ://www.inserm.fr/dossier/addictions 
• Michel Lejoyeux (dir.), Les addictions, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson, 2023.