Le tournant de la guerre

04 mars 1942
05m 23s
Réf. 00306

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle débute par un tableau réaliste de la guerre mondiale avant de tenter une comparaison avec la situation du précédent conflit à la fin de 1917. S'il invite ses auditeurs à se garder de tout optimisme béat, il avance "deux bonnes raisons pour compter ferme que le drame actuel se terminera, comme le précédent, par l'écrasement de l'ennemi". En premier lieu, le "parti de la liberté" ne sera plus pris par surprise par l'ennemi et s'apprête à disposer de "moyens énormes". Plus encore, au plan moral, "l'esprit d'attaque et d'intransigeance" anime Français libres et résistants tandis que ceux qui ne peuvent encore combattre "lèvent la tête vers l'espérance" et qu'occupants et vichystes sentent "grandir contre eux la haine et la menace". Ainsi, les plus mauvais moments sont passés et "l'heure de Clemenceau" s'apprête à sonner.

Type de média :
Date de diffusion :
04 mars 1942
Type de parole :

Éclairage

Au début du printemps 1942, la guerre mondiale fait rage sans que le sort des armes ait encore basculé en faveur des Alliés. Néanmoins, si les positions allemandes, italiennes et japonaises demeurent très fortes, notamment dans le Pacifique et en Extrême-Orient, les Soviétiques tiennent bon, de même que les troupes alliées en Libye. Solidement adossée aux portions d'Empire libérées, la France libre s'est organisée en force politique autant que militaire et dotée d'un embryon de gouvernement provisoire, le Comité national français (septembre 1941). Pour leur part, après s'être illustrées en Erythrée et en Libye et avoir surmonté la douloureuse épreuve de la campagne fratricide du Levant (juin 1941), les Forces françaises libres poursuivent la lutte aux côtés des Alliés sur terre, sur mer et dans les airs. Enfin, sur le territoire métropolitain une résistance continue à se développer tout en établissant progressivement des relations avec la France libre.

Guillaume Piketty

Transcription

Charles de Gaulle
La guerre mondiale est à son point culminant. Il est, naturellement, assez arbitraire de chercher, dans le passé, une comparaison avec le présent. Je crois bien, tout de même, que beaucoup d'esprits réfléchis découvrent des analogies entre la situation actuelle de la guerre est celle qui se présentait vers la fin de 1917. Aujourd'hui, l'ennemi, car le Japon, l'Allemagne et l'Italie ne font qu'un, tient, dans le Pacifique, un avantage certain. Il a envahi Singapour, envahi les Indes néerlandaises, pénétré en Birmanie. Il attaque les Philippines. Il a pu se rétablir en Cyrénaïque. Il se cramponne énergiquement à ses positions en Russie. Les mers foisonnent de ses sous-marins. On sent approcher le suprême effort d'Hitler. Mais dans l'automne de 1917, l'ennemi avait abattu la Russie et pénétré jusqu'au Caucase où il venait d'écraser, à Caporetto, l'armée italienne. Il poussait ses avants-gardes jusqu'au canal de Suez et aux abords de Salonique. Sur le front principal de l'Ouest, il tenait en échec les Français, les Anglais et les premières troupes d'Amérique. Il menait, dans l'océan, la guerre sous-marine renforcée. On attendait l'ultime assaut d'Hindenburg. Or quelques mois après, cet assaut avait été brisé et l'offensive des alliés se déclenchait sur tous les théâtres, jusqu'au jour où, sans aucune raison, en apparence décisive, l'ennemi envoyait ses plénipotentiaires capituler dans le wagon de Rethondes. Je ne dirai, certes, pas que ce processus victorieux doive se dérouler de nouveau suivant le même rythme et dans le même délai. Rien n'est écrit d'avance. Et le fatalisme passif est, à la guerre, le pire danger. Mais nous avons deux bonnes raisons pour compter ferme que le drame actuel se terminera comme le précédent, par l'écrasement de l'ennemi. La première raison est d'ordre matériel. L'ennemi a eu, jusqu'à présent, la partie belle, en Extrême-Orient comme en Europe, il a toujours attaqué par surprise les adversaires mal préparés. Mais il a su, tout de suite, faire le plein de ses succès parce qu'il avait fait, d'emblée, le plein de ses forces. Ses adversaires se sont ressaisis. Nous faisons notre compte. Nous savons de quels moyens puissants dispose, maintenant, le parti de la liberté et nous savons de quels moyens énormes il disposera avant un an. La deuxième raison de notre certitude est en nous-même. Elle est d'ordre moral. Si c'est le moment du doute pour les coeurs faibles, c'est, pour les coeurs forts, le moment des grandes résolutions. Or, parmi ceux qui mènent le bon combat, nous constatons qu'on renonce au moindre effort. L'absurde esprit de défensive et de concession au mal qui s'exprimait, stratégiquement parlant, par ligne Maginot et politiquement parlant par Munich, est bel et bien en train de faire place à l'esprit d'attaque et d'intransigeance sans lequel, toute guerre est perdue. La France, pour écrasée qu'elle soit, participe au redressement mondial. Ceux de ses enfants qui combattent serrent les rangs et redoublent d'efforts. Ceux qui ne peuvent encore le faire lèvent la tête vers l'espérance, bien que nos terres soient un champ de bataille, malgré le mensonge des armistices. Chez nous, l'ennemi et ses amis sentent, chaque jour, grandir contre eux la haine et la menace. Et l'on voit même des accusés que les traîtres ont traînés à l'infâme procès de Riom, bousculer la mascarade et accuser la trahison. Allons, le pire va finir. Le meilleur est en marche. Voici l'heure de Clemenceau.