La Tempête de Shakespeare mise en scène par Peter Brook

16 juillet 1991
02m 15s
Réf. 00489

Éclairage

William Shakespeare (1564-1616) est considéré comme le plus grand auteur dramatique anglais du XVIe siècle (début du XVIIe). Il est la référence absolue lorsqu'on évoque le théâtre élisabéthain. Sa capacité à user de toutes les ressources de la poésie et de la scène, son aisance dans le mélange des genres et des registres de langues, sa liberté avec l'espace et le temps font de son œuvre éclectique « une source vive » [1] : des textes théâtraux d'une très grande richesse qui ne s'épuise pas, ne cessent de questionner le théâtre et d'attirer les metteurs en scène de toutes générations et d'univers artistiques très différents.

Créée en 1611, La Tempête est l'ultime œuvre de William Shakespeare. Elle pourrait être une tragédie de la vengeance comme Hamlet, mais elle se teinte d'un merveilleux qui concorde avec les conquêtes anglaises dans le Nouveau Monde. Prospero, ancien duc de Milan qui a été injustement chassé de sa patrie par son frère Antonio, maintenant exilé sur une île déserte avec sa fille Miranda, a des pouvoirs magiques. Il fait se déchaîner une tempête qui fait échouer tout l'équipage d'un bateau sur les rives de son île, dont le frère usurpateur. Toute cette communauté va être prise au piège d'illusions (Acte IV, scène 1 : « Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont faits ») d'où jaillira la vérité. Miranda passe également par cette initiation à percevoir le bien du mal et Prospero lui-même fera l'expérience de ses propres limites.

En 1990, Peter Brook présente pour la première fois la pièce à Zurich puis au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Il reprend sa mise en scène au 44e Festival d'Avignon, en 1991, dans l'ancienne carrière de pierre des Taillades, près de Cavaillon. Né à Londres en 1925, après de brillantes études à Oxford, Peter Brook se tourne très vite vers la mise en scène tant lyrique (il travaille régulièrement au Covent Garden de Londres) que théâtrale. Dans les années 50/60, il travaille beaucoup avec le Shakespeare Memorial Theatre qui devient en 1961 la Royal Shakespeare Company. Il s'installe à Paris en 1971 et fonde le Centre International de Recherche Théâtrale (CIRT) qui deviendra le Centre International de Créations Théâtrales (CICT) lorsque Peter Brook s'installe au théâtre des Bouffes du Nord en 1974. Refusant la scène bourgeoise, il va progressivement rechercher l'épure de la scénographie et du jeu. En 1977, il publie L'Espace vide : « La majeure partie de ce que l'on appelle aujourd'hui théâtre n'est que la caricature d'un mot jadis riche en significations. » [2] Il s'agit de retrouver l'essence du théâtre (fondé sur la relation acteurs-public) par un processus de dépouillement en lui ôtant tous ses artifices. L'extrait de La Tempête monte cet espace de jeu qui symbolise l'île et son maître Prospero : un rectangle de sable, avec au fond, côté cour, un rocher. « Dans cette version essentialisée de la pierre dépourvue de toute ampleur épique, dans cette nature presque mentale, l'environnement tout entier semblait se plier aux règles de l'abstraction spirituelle pratiquées par les maîtres zen, qui pensent avec soin, aussi bien leurs jardins de gravillon et de granit que les frontières qui les encadrent. » [3] A l'aide de bambous, les acteurs dessinent l'espace et représentent la tempête, trouvent en ces outils rudimentaires les possibles ludiques de la représentation théâtrale. La pièce de Shakespeare, « profondément spirituelle, métaphysique » (Peter Brook), représente un monde où la rupture entre le monde invisible et le monde visible n'a pas été consommée : l'épure de la scène et du jeu, le métissage des cultures des acteurs nourrissent le travail et permettent de « trouver les formes justes » pour la représenter.

[1] Louis Lecoq / Catherine Treilhou-Balaudé, « Shakespeare », in Dictionnaire encyclopédique du théâtre, dirigé par Michel Corvin, Paris, Larousse, coll. « In extenso », 2000.

[2] Peter Brook, L'Espace vide. Ecrits sur le théâtre, Paris, Seuil, 1977.

[3] Georges Banu, Peter Brook. Vers un théâtre premier, Paris, Seuil, col. Points Essais, 2005.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Présentateur
Les échos du festival d’Avignon avec ce soir, l’un des spectacles phare du cru 91, La Tempête, montée par Peter Brook. Spectacle phare pour au moins deux raisons, le nom du metteur en scène et le lieu où il est donné. Reportage de Dominique Poncet et Jean-Jacques Ledeuil.
(Bruit)
Journaliste
Avec quelles fibres est tissé le rêve ? Avec quel rêve est fabriquée la réalité ? Ce sont pour ces deux interrogations que Peter Brook a choisi de monter La tempête , l’oeuvre testamentaire de William Shakespeare. Une pièce qui se déroule bien au-delà des frontières du vraisemblable.
Peter Brook
La tempête est une pièce comme toute l’oeuvre de Shakespeare, profondément spirituelle. C'est-à-dire que c’est une pièce métaphysique et aujourd’hui on a une peur bleue de ses mots. Et on essaie de trouver dans Shakespeare tout autre chose. Alors, j’ai constaté que quand un acteur est né dans une ville aujourd’hui, a une impression strictement rationaliste, obligatoirement. Même s’il y a en lui, une profonde intuition spirituelle qui a lâché tous les hommes, il a par rapport à son art, une difficulté immense de trouver les formes justes. Et celui qui est né et éduqué dans les formes traditionnelles, où la rupture entre le monde invisible et le monde visible n’a pas encore été faite, a un accès plus direct aux sources d’où viennent les images et les actions de la tempête. C’est pour cela qu’au travers des acteurs balinais, japonais et africains, qu’une certaine réalité de la pièce peut apparaître.
Comédien 1
Rome qui descend sur ta tête.
Comédien 2
Quoi ?
Journaliste
La tempête, montée, magnifiée par Pater Brook dans un lieu magique découvert par lui, un cirque de sable et de pierres d’une extraordinaire beauté naturelle.
Présentateur
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