Tête d'or de Paul Claudel, mise en scène de Jean-Louis Barrault
Notice
En 1959, Jean-Louis Barrault met en scène Tête d'or de Paul Claudel pour l'inauguration de l'Odéon-Théâtre de France. Extrait de la pièce, interprétée par Alain Cuny et Laurent Terzieff.
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Éclairage
Tête d'or est la première grande œuvre dramatique de Paul Claudel, qui l'écrit à 22 ans, et en fait paraître la première version en 1890, la seconde en 1894. L'extrait est tiré de la deuxième partie de la pièce, qui en compte trois. Il montre le couple central du drame, Simon Agnel, joué par Alain Cuny, et le jeune Cébès qu'interprète Laurent Terzieff. La rencontre des deux hommes occupe tout le début de la pièce. Simon Agnel est un paysan aventurier, qui vient de parcourir le monde en vain et de perdre sa compagne. Cébès l'aide à enterrer la morte et tous deux exhalent leur désespoir devant la vanité de la vie. Cependant Simon connaît une illumination, et rêve avec Cébès de connaître la gloire. La seconde partie se déroule dans le palais d'un vieux roi qui attend avec anxiété l'arrivée des troupes ennemies. Cébès, malade, agonise, alors que Simon, rebaptisé Tête d'or par ses soldats, revient victorieux du combat. Ayant sauvé le royaume, il veut désormais monter sur le trône. Il finit par tuer le roi, et chasse la Princesse qui, incarnant la sagesse, avait reproché aux hommes de ne pas l'écouter. Mais la mort de Cébès vient rappeler une première fois à Simon la fragilité des entreprises humaines. Elle annonce ainsi la défaite qui l'accable dans la dernière partie. Lancées à la conquête d'une mystérieuse Asie, les armées de Tête d'or ont fui, le laissant à demi-mort. Il entend alors des lamentations, et retrouve la Princesse exilée, mourant de faim, qu'un déserteur a crucifiée à un arbre. Avec ses dents, Tête d'or arrache les clous, et demande avant de mourir qu'on lui restitue son pouvoir.
Dans Tête d'or s'entend ainsi l'écho direct de l'expérience spirituelle de Claudel, touché par la foi la nuit de Noël 1886. Simon Agnel reflète le désespoir du jeune poète, accablé par le positivisme qui régnait dans les années 1880, de même que son aspiration à déployer la force créatrice dont il se sent empli, et à s'affirmer face au monde. D'autre part, entre « Tête d'or » et le jeune Cébès, trop tôt fauché par la mort, on reconnaît nombre de traits d'Arthur Rimbaud, dont l'œuvre a constitué une autre révélation pour Claudel. Face à ces deux figures nietzschéennes de la volonté humaine et de l'affirmation du désir, se dresse la Princesse, porte-parole des valeurs religieuses, dont on peut voir dans le sacre final une image de l'Église. Ainsi la pièce met-elle en scène, comme dans L'Annonce faite à Marie, un conflit métaphysique, la tension entre des exigences et des pulsions contradictoires, dont chacune se formule en termes d'absolu.
C'est justement la radicalité de l'œuvre, à la fois dans ses thèmes, dans sa composition et dans son style, qui déroute les contemporains et conduit Claudel lui-même à interdire la représentation de sa pièce lorsque Jean-Louis Barrault vient solliciter son autorisation de la mettre en scène, en 1939. Le succès des mises en scène du Partage de midi et du Soulier de satin ne font pas changer d'avis le poète. Il faut donc attendre 1959, après la mort de Claudel, pour que Barrault, fidèle à la volonté de l'auteur, crée la pièce et la donne solennellement, en présence du général De Gaulle et d'André Malraux, pour l'inauguration de l'Odéon-Théâtre de France. Aux côtés de Laurent Terzieff et d'Alain Cuny, Catherine Sellers joue la Princesse et Jean-Louis Barrault le roi. Plus de cinquante ans après sa publication, le style sauvage, flamboyant et violent de Claudel, associé à la complexité de sa pensée et à la densité symbolique de l'œuvre, continue pourtant de surprendre, voire de rebuter le public, malgré l'extraordinaire distribution réunie par Barrault.