Danse, les grands interprètes
Introduction
L'histoire de la danse accroche des ribambelles d'étoiles aux noms des grands interprètes, au point d'en faire des mythes. S'ils sont relativement peu nombreux au regard des stars de cinéma ou de la musique par exemple, les grands interprètes jouissent d'une place et d'un statut très particuliers. Qu'ils appartiennent au milieu classique ou contemporain, qu'ils soient précisément formatés ou terriblement atypiques, que leur ramage s'accorde à leur plumage, ils électrisent les plateaux et l'histoire de la danse. Parmi les noms inscrits au panthéon de l'art chorégraphique, il faut citer par exemple, dans le désordre, Rudolf Noureev, Mikhaïl Baryshnikov, Sylvie Guillem, Patrick Dupond, Jorge Donn, Nicolas Le Riche, mais encore Galina Oulanova, Maïa Plissetskaïa, Ekaterina Maximova, Suzanne Farrell, Margot Fonteyn, Yvette Chauviré, Alicia Alonso... Et en remontant encore plus loin, Vaslav Nijinski, Anna Pavlova...
Patrick Dupond nommé Directeur de la danse à l'Opéra de Paris
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Les informations télévisées du 2 août 1990 annoncent la nomination de Patrick Dupond directeur de la danse à l'Opéra de Paris, en remplacement de Rudolf Noureev dont le contrat n'a pas été renouvelé. Patrick Dupond explique son incompatibilité de caractère et de goût artistique avec Noureev, cause de son départ de l'Opéra pour prendre la direction du Ballet de Nancy de 1988 à 1990. Pendant les commentaires de Yoba Grégoire nous voyons Patrick Dupond danser le grand succès « japonisant » que Maurice Béjart conçu pour lui en 1986 : Salomé sur la musique très kitch de Drigo pour L'éveil de Flore de Petipa. En fin d'interview Patrick danse une chorégraphie contemporaine non identifiée.
Maïa Plissetskaïa interviewée à Pleyel
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A l'occasion d'un gala donné en mars 1997 salle Pleyel avec le Ballet Impérial de Russie, troupe éphémère fondée par le danseur du Bolchoï Gedemias Taranda, un portrait nous est tracé de Maïa Plissetskaïa à travers quelques questions posée à la grande étoile dans sa loge. Nous la voyons au travail à la barre salle Pleyel - à 72 ans ! - en élégant tailleur, puis, engoncée dans ses fourrures, monter en voiture place de la Concorde. Quelques extraits de ballets provenant des archives de l'Ina permettent de la découvrir dans l'Adage du Lac des Cygnes avec Nikolaï Fadeyetchev dans les années 1960, puis en 1978 répétant Leda de Maurice Béjart avec Jorge Donn, et enfin dans La Marseillaise, extrait du ballet Isadora également crée pour elle par Maurice Béjart, en 1976 à Monte Carlo.
Figures historiques
Les danseurs remarquables régulièrement cités par les spécialistes ou les fans fous d'art chorégraphique se distinguent souvent par leur renommée et le virage esthétique qu'ils ont fait prendre à leur art.
Auguste Vestris (1760-1842), fils du fameux Gaétan Vestris (1728-1808), « le dieu de la danse », fut la star de l'Opéra de Paris dès 1773 et jusqu'en 1812, année de sa dernière apparition sur scène. Sous l'influence de Jean-Jacques Rousseau mais aussi de l'évolution de la médecine, il va devenir le porte-étendard d'une danse libérée et fluide. Ses qualités physiques vont faire décoller les sauts et les tours en musclant la technique masculine.
Excellent pédagogue lorsqu'il décidera d'arrêter sa carrière de danseur, Vestris aura pour élèves d'autres grands interprètes comme August Bournonville (1805-1879), le plus fameux chorégraphe danois, et la danseuse Fanny Essler (1810-1884) qui se taillera elle aussi un nom à l'époque romantique. Egalement renommée, Marie Taglioni (1804-1884) pour qui son père Philippe chorégraphiera La Sylphide (1832) et Carlotta Grisi, égérie de Théophile Gaultier, qui écrivit Giselle pour elle.
Les qualités de ces interprètes, dont la réputation a traversé les siècles, croisent différents paramètres : excellence artistique, originalité stylistique, invention gestuelle, importance symbolique dans l'évolution de l'art chorégraphique... Ces facteurs se retrouvent peu ou prou parmi les éléments qui distinguent le danseur pour en faire un grand interprète.
Etoiles au sommet
La majorité des interprètes connus et reconnus dans le milieu de la danse classique témoignent du système mis en place dans le contexte du ballet. Qu'il s'agisse de la troupe de l'Opéra de Paris, de celle du Royal Ballet, à Londres, du Théâtre Bolchoï, à Moscou, ou du Mariinski, de Saint-Pétersbourg, ou encore du Ballet national de Cuba, chacune de ces compagnies de haut niveau rassemblent des danseurs triés sur le volet, emblématiques d'un style, d'une technique, qui ont gravi les échelons un à un. L'apprentissage depuis l'enfance, l'inscription dans des écoles repérées, l'obligation de virtuosité et le formatage composent un parcours du combattant dont surgiront quelques personnalités élues.
La hiérarchie fait sorir du lot commun des interprètes pour en faire des solistes, voire des étoiles. La progression vers le sommet est parfois lente, souvent difficile, voire douloureuse, scandée par des examens réguliers qui font (ou non) grimper le danseur. Le statut d'étoile, grade ultime, couronne comme une récompense - une reconnaissance aussi - ce trajet. Il apporte aussi peu ou prou la preuve de la légitimité de la tradition et d'un système de transmission dont les étoiles ou les principal dancers, selon l'appellation anglo-saxonne, deviennent les emblèmes. Ils deviennent des purs produits d'une école.
Au-delà du titre, évidemment important, le grand interprète est celui qui a non seulement passé et dépassé un certain nombre d'obstacles techniques, mais correspond aux normes requises pour l'interprétation d'un répertoire précis. Il est aussi celui qui a su ou saura endosser des rôles de premier plan pour le porter à un sommet d'intelligibilité, le sublimer, voire même et surtout, y apporter une touche personnelle. Le titre décerné au danseur est aussi un défi permanent qui l'oblige à toujours faire la preuve qu'il le mérite.
Patrick Dupond et Sylvie Guillem super vedettes
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Dans une salle romane grandiose et dépouillée, Patrick Dupond et Sylvie Guillem répètent pour un gala ou un festival. Lui en pantalon noir et débardeur blanc interprète un brillant solo sur une musique jazz. Le vocabulaire mélange virtuosité classique et décontraction moderne. Sylvie Guillem en tutu blanc se montre éblouissante dans une variation du Grand Pas de Paquita de Petipa sur la musique de Minkus, puis les deux jeunes étoiles de l'Opéra sont réunies dans un duo contemporain, No Man's land, lui en simple slip blanc, elle en maillot une pièce, rouge orangé. Avec l'aimable autorisation de King Productions.
Curieusement, il y a des danseurs qui n'accèdent jamais au grade suprême tout en se révélant des grands interprètes. Soit que leur physique échappe à la catégorie classique en vigueur, soit qu'ils se révèlent meilleur en contemporain, soit qu'ils osent un tempérament décalé... Le premier danseur de l'Opéra de Paris Stéphane Phavorin s'est taillé un succès phénoménal en 2006 en dansant et jouant la mère Simone dans La fille mal gardée (1789) chorégraphiée par Frédérick Ashton.
Roland Petit et Nicolas Le Riche répètent Clavigo
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Dans ce reportage consacré à la création de Roland Petit pour Nicolas Le Riche à l'Opéra de Paris, les deux hommes répètent Clavigo en présence de Clairemarie Osta, épouse de Nicolas Le Riche et créatrice du rôle de Marie dans le ballet. Depuis qu'il a confié en 1993 Le Jeune Homme et la Mort au tout jeune Nicolas, Roland Petit désirait créer un ballet pour lui. Nicolas Le Riche vante les mérites de Roland Petit non seulement comme chorégraphe, mais comme grand directeur d'acteur et metteur en scène.
Icones
Lorsqu'un danseur est non seulement ultra-talentueux mais possède une personnalité hors-normes et la vie mouvementée qui va avec, il bascule dans le registre du phénomène, du mythe.
Nijinski
Vaslav Nijinski (1889-1930), danseur de haut vol réputé pour ses sauts ahurissants, chorégraphe révolutionnaire dans la fameuse troupe des Ballets russes dirigée par Serge Diaghilev (1872-1929), est devenu une icône. Il se fait d'abord connaître dans les pièces de Michel Fokine comme Shéhérazade (1909), Petrouchka ( 1911) et Le Spectre de la rose (1911) sur la musique de Karl-Maria von Weber puis dans ses propres ballets, devenu des œuvres-monstres de l'histoire de la danse. En 1912, L'après-midi d'un faune, sur la partition de Claude Debussy, révèle son talent de chorégraphe en révolutionnant les canons en vigueur.
Dans le monde du ballet dominé par la figure de la danseuse - les hommes avaient quasi-disparu du plateau de l'Opéra de Paris depuis la fin du XIXe siècle -, Nijinski remet en selle la danse masculine à travers des personnages qui ne se contentent pas de jouer les porteurs mais occupent le terrain par leur talent. Le "Spectre" comme le "Faune" sont non seulement les vedettes des ballets auxquels ils ont donné leur nom, mais ils dansent fort et beaucoup.
Chorégraphe, Nijinski va grimper en haut de l'affiche en 1913 avec Le Sacre du printemps d'Igor Stravinsky. Un scandale énorme pour un chef d'œuvre musical et chorégraphique. La beauté violente des scènes villageoises d'une Russie païenne saisie en plein sacrifice rituel d'une jeune vierge élue trouve un nouveau vocabulaire d'une invention toujours saisissante.
Le Sacre du Printemps de Stravinski vu par Cocteau et entendu par Auric
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Jean Cocteau évoque le fameux scandale de la création du Sacre du Printemps hué par le public en 1913 au Théâtre des Champs Elysées. Georges Auric évoque le triomphe, beaucoup moins connu, du Sacre du Printemps lors de sa première exécution en concert, l'année suivante au Casino de Paris, toujours sous la direction de Pierre Monteux et en présence de Stravinsky.
Quatre ballets russes à l'Opéra de Paris
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Le présentateur annonce la retransmission le 1er janvier 2010 d'un spectacle donné en décembre au Palais Garnier. Un hommage à Diaghilev, seul trait d'union entre les quatre chorégraphies dont sont montrés quelques extraits en couleurs : Le Spectre de la Rose de Fokine dansé par Mathias Heymann et Isabelle Ciaravola ; Le Tricorne de Massine par Marie Agnès Gillot et José Martinez ; L'Après midi d'un Faune de Nijinski par Nicolas Le Riche et Eve Grinsztajn, et Petrouchka de Fokine avec Benjamin Pech (Petrouchka), Clairemarie Osta (La Poupée) et Yann Bridard (le Maure). Interviewes des étoiles Pech, Le Riche et Heymann.
Outre son talent, la vie privée de Nijinski suscite aussi la passion. Sa relation intime avec Diaghilev, sa bascule dans la folie et son enfermement, en partie racontés dans son journal, ont aussi participé à la construction de son statut à part.
Serge Lifar
Autre personnalité de la danse masculine, Serge Lifar (1905-1986), évadé de Russie pour rejoindre la troupe de Diaghilev, crée Apollon Musagète (1928) et Le fils prodigue (1929). Ces deux pièces le font connaître au grand public ainsi que Balanchine. Il sera engagé comme danseur étoile en 1929 à l'Opéra de Paris avec Balanchine comme chorégraphe. Vedette de ses propres pièces, Lifar sera directeur de la danse de 1930 à 1958.
Lifar, Diaghilev et Balanchine dans les années 1920
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Au cours d'une interview, Serge Lifar évoque ses débuts chez Diaghilev, ses rapports avec son « camarade » George Balanchine, exagérant (comme souvent !) son rôle dans les débuts du chorégraphe d'Apollon musagète et du Fils prodigue.
Noureev
Dans un autre registre, avec des paramètres communs, le parcours de Rudolf Noureev (1938-1993 ) a fait basculer la carrière d'un interprète ultra-doué en icône artistique, en porte-étendard de la liberté. Il faut dire que la vie du Tatar né dans le Transsibérien, passé à l'ouest sous le nez du KGB jusqu'à sa mort du sida a tout d'un roman d'aventures. Star, sex-symbol, figure politique contre son gré, il rafle toutes les mises et se retrouve à la une des journaux du monde entier. Sa célébrité lui ouvre les portes du cinéma, de la comédie musicale... Parallèlement, ses interprétations de rôles, ses relectures de ballets classiques, qui sont encore et toujours à l'affiche de l'Opéra de Paris, ont solidifié un édifice d'une solidité imparable.
L'Après-midi d'un Faune de Nijinski dansé par Noureev
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Ultime séquence du ballet de Nijinski, depuis la fuite de la Première Nymphe, jusqu'à l'extase finale du Faune sur le châle qu'il lui a dérobé. Scène tournée lors d'une répétition en costume et dans les décors de Léon Bakst au Théâtre du Châtelet, où Rudolf Noureev se produit en 1982 avec le Ballet de Nancy dans un hommage à Serge Diaghilev.
Mikhaïl Baryshnikov
Quelques années plus tard, c'est le compatriote de Noureev Mikhaïl Baryshnikov qui passe à l'ouest en 1974. Sa petite taille (comme Nijinski ), sa fulgurance, son appétit d'expériences (théâtre, cinéma), auréolent son trajet artistique d'une intensité intrigante. Jusqu'à participer à la série Sex and the city et être plus connu pour cet exploit auprès du public jeune que pour son interprétation des ballets classiques. Depuis 2005, Baryshnikov a ouvert le Baryshnikov Arts Center, à New-York, un laboratoire et un espace de performance dans lequel il programme nombre de jeunes chorégraphes.
Barychnikov à Paris
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Marie-Claire Gautier interviewe Mikhaïl Barychnikov la veille de la première des cinq soirées Balanchine-Robbins qu'il donne fin septembre 1979 au Théâtre des Champs- Elysées. Il s'apprête à quitter le New York City Ballet pour devenir directeur de l'American Ballet Theatre « Mais c'est trop tôt pour en parler » assure le danseur qui refuse également de donner un sens politique au départ de nombreux danseurs soviétiques pour l'Amérique. « C'est une décision personnelle pour chacun. Je ne veux pas en parler ».
Mikhaïl Barychnikov danse Fancy Free de Robbins au Théâtre des Champs-Elysées
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Fin septembre 1979, Mikhaïl Barychnikov, Peter Martin et cinq solistes du New York City Ballet donnent cinq représentations exceptionnelles au Théâtre des Champs-Elysées et à cette occasion Mikhaïl Barychnikov interprète une des trois danses extraites de Fancy Free que Jerome Robbins a remontées spécialement pour lui quelques mois plus tôt pour un gala au NYCB. Sur ce document Barychnikov danse le solo du second marin, qui caractérise son personnage, le plus gamin, le plus souple et ingénieux des trois yankees en permission pour un soir à New-York.
Sylvie Guillem
En mode indépendance et détermination, la danseuse étoile de l'Opéra de Paris, Sylvie Guillem, qui démissionne de la troupe parisienne en 1989, s'est également construit un parcours artistique unique, loin des clichés du ballet. Parallèlement à ses prestations au Royal Ballet, elle commence à produire ses propres spectacles en invitant des chorégraphes contemporains comme Mats Ek, Russell Maliphant ou Akram Khan à travailler avec elle. Elle reste l'une des stars du spectacle vivant.
Phénomènes
Les interprètes pour lesquels des chorégraphes ont fait du cousu-main occupent une place à part. Inspirants, excitants, originaux, ils ont stimulé l'imagination du créateur, voire contribué à l'écriture d'un ballet, et en portent d'une certaine façon la paternité chorégraphique. Certains sont même devenus indissociables d'une pièce. C'est pour Anna Pavlova ( 1881-1931), sa camarade au Théâtre Mariinski que Michel Fokine (1880-1942) imagina La mort du cygne (1907) sur la musique de Saint-Saëns. Trois minutes de danse réglées en une journée par Fokine qui improvise devant elle. C'est pour Pavlova, Karsavina et Nijinski que le même Fokine, rénovateur du ballet classique, conçut Les Sylphides (1909) sur la musique de Chopin, puis Petrouchka (1911) pour Nijinski sur une partition originale de Stravinky.
Plus récemment, Jean Babilée donna des idées et des ailes à Jean Cocteau et Roland Petit pour Le Jeune homme et la mort (1946). Roland Petit désirait monter un ballet pour la nouvelle saison au Théâtre des Champ-Elysées. Il va sonner à la porte de Cocteau qui lui livre quasiment illico le sujet de ce qui va devenir un ballet-phare. Le trio composé de Cocteau, Petit et Babilée, sera « l'auteur » du ballet. C'est Cocteau qui a l'idée du Jeune Homme renversé sur son lit fumant une cigarette (détail révolutionnaire pour l'époque !), mais c'est Babilée qui demande à garder sa vieille salopette comme costume de scène, ainsi que sa montre-bracelet pour minuter le moment exact de sa pendaison. Quand Roland Petit indique à Babilée certain mouvement, Cocteau intervient : « Il est beau ce mouvement, mais il faut le répéter trois fois. La première fois, on le voit. La deuxième fois, on le regarde, et la troisième fois le public le retient » ! Le spectacle sera créé en juin 1946. Babilée le dansera pour la dernière fois à 61 ans.
Jean Babilée danse sa vie (Life) selon Béjart
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Film en couleurs tourné lors des représentations de Life à l'Opéra de Paris en septembre 1979. Jean Babilée, 66 ans (mais il en parait trente de moins) montre en quelques extraits, avec pour seul accessoire une structure métallique, sa maîtrise aussi exceptionnelle que sa concentration et sa décontraction. Les figures qu'il exécute ici sont simples, passant du vif au ralenti, mais toujours avec une élégance extrême. L'étoile Elisabeth Platel, qui participe également à ce ballet, ne fait qu'une brève apparition dans ce document.
Le Jeune homme et la Mort de Roland Petit avec Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev
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Le document s'ouvre sur Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev, dans une scène du Jeune Homme et la Mort filmé pour la télévision française fin 1966 aux studios de Saint Maur. Roland Petit explique comment il remanie sa chorégraphie selon ses interprètes : « Pas de confection, mais du sur mesure ». La seconde partie du reportage est consacrée au Jeune Homme et la Mort depuis le début du ballet, avec Noureev allongé sur un lit et vu des cintres, puis de face jusqu'au fameux passage acrobatique du Jeune Homme escaladant une chaise et son dossier.
Curieusement, Jean Babilée n'était pas un danseur formaté, conforme aux critères physiques ou techniques en cours.
Idem pour Zizi Jeanmaire qui crée le rôle de Carmen en 1949 et se fait un nom avec Roland Petit en pygmalion. Renée Jeanmaire venait de retrouver la troupe de Petit après trois ans d'absence. C'est pour elle qu'il va imaginer Carmen sur des musiques de Bizet, dans un décor du peintre espagnol Clavé. Créé le 21 février 1949 à Londres, ce ballet mythique voit apparaître une danseuse casquée de brun : Rolant Petit a fait couper les longs cheveux de Renée pour faire surgir Zizi for ever. Le ballet sera joué à bureaux fermés pendant quatre mois à Londres et deux à Paris avant de conquérir New-York. Il a dépassé les quatre mille représentations.
Carmen avec Zizi Jeanmaire et Roland Petit
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Filmés sept ans après la création de Carmen, Roland Petit et Zizi Jeanmaire interprètent avec la même fougue et la même jeunesse qu'en 1949 le pas de deux de ce ballet d'après Mérimée et Bizet. Le duo de la chambre, un des sommets du spectacle capté en entier, repose sur deux pages de l'opéra de Bizet : la danse de séduction de Carmen devant Don José au deuxième acte arrangé pour orchestre seul, et l'intermède symphonique précédant le troisième acte.
Après elle, de nombreuses danseuses vont se risquer à endosser la coupe, la gouaille et l'abattage de sa Carmen, sans réussir le plus souvent à déborder son interprétation. Comme Le jeune homme et la mort, Carmen est une épreuve de force que d'autres interprètes se doivent d'affronter pour apporter la preuve de leur talent et de leur personnalité. C'est un ballet où se sont notamment illustrées Marcia Haydée dans la version de John Cranko (1971), Ana Laguna dans celle de Mats Ek (1992), et bien évidemment l'inoubliable Cristina Hoyos dans la chorégraphie Antonio Gades (1983).
Inusable Carmen, par Antonio Gadès
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Pour Antonio Gadès, les années 1980, marquées par son nomination à la direction au Ballet National d'Espagne et sa collaboration avec Carlos Saura, ont été particulièrement fastes. Après Noces de Sang, en 1982, le chorégraphe enchaîne avec Carmen, chorégraphie qui lui survivra.
Egalité contemporaine
La danse contemporaine, en se dressant contre le système de la danse classique, a biffé d'un trait rageur toute hiérarchie dans une compagnie. Fini le corps de ballet bien rangé derrière la vedette de la troupe. Le désir d'égalité, de fraternité des contemporains, leur rejet d'un système de domination, a nivelé les rangs et mis tout le monde au même régime. Eliminé, l'individu-vedette ; évacué, peu ou prou, la reconnaissance des interprètes. Même si certains danseurs rayonnent et se font remarquer, ils sont peu nombreux ceux qui, par le miracle d'une personnalité hors pair, réussissent à sortir du lot sans marcher sur les pieds de leurs petits camarades. Rarement cités, même si certains chorégraphes tiennent à valoriser leurs apports créatifs, ils restent des travailleurs de l'ombre. Ce sont les chorégraphes qui sont devenus les vedettes de la scène contemporaine. Certains noms explosent néanmoins dans les génériques et les mémoires.
Celui de Dominique Mercy, par exemple, flambe à l'affiche. Aux côtés de la chorégraphe allemande Pina Bausch depuis ses débuts, il est devenu l'une des figures magnétiques des spectacles du Tanztheater Wuppertal, contribuant à faire naître et incarner une écriture. Depuis la mort de Pina Bausch en 2009, il est devenu co-directeur artistique de la troupe qui brasse les nationalités de danseurs dont beaucoup ont été des interprètes-phares, tels Jan Minarik, Malou Airaudo, Josephine Ann Endicott, Mechthild Grossman, Lutz Förster, Meryl Tankard, Elena Pikon, Julie Shanahan, Anne Martin, Julie Anne Stanzak, Nazareth Panadero, Jean Sasportes...
Pina Bausch au festival d'Avignon avec Café Müller et Le Sacre du printemps
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En 1995, Pina Bausch danse Café Müller dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes pour le festival d'Avignon. Images de Café Müller et du Sacre du Printemps qui complète le programme. Quelques phrases de la chorégraphe ainsi que de l'une de ses interprètes emblématiques Malou Airaudo.
Figures plus libres, plus insaisissables aussi, Michèle Prélonge, danseuse chez Philippe Decouflé, Sara Denisot chez Angelin Preljocaj, entre autres...
Dans la nouvelle génération, Boris Charmatz et Emmanuelle Huynh se sont fait connaître comme danseurs dans des compagnies comme celles de Régine Chopinot et d'Odile Duboc avec de devenir chorégraphes. Certains danseurs se voient de plus en plus souvent offrir des pièces sur mesure taillées par des chorégraphes. Lisbeth Gruwez a été mise en scène par Jan Fabre dans Quando l'uomo principale è una donna, Julie Guibert par Christian Rizzo dans b.c, janvier 1545, fontainebleau ...
Cas étonnant, celui des interprètes de Dominique Bagouet (1951-1992 ). A la mort du chorégraphe en 1992, ils décident de se coaliser pour créer l'association des Carnets Bagouet. Parmi les lignes d'actions (production de DVD, édition de livres...), la conservation et la transmission des pièces à d'autres compagnies est un axe fort. C'est ainsi que les spectacles d'anthologie de Bagouet comme Jours étranges, So Schnell ou encore Le Saut de l'ange perdurent avec bonheur dans les interprétations du Ballet de Genève, de Lyon ou de Lorraine. Ce sont des danseurs comme Catherine Legrand, Olivia Grandville, Matthieu Doze, Anne Abeille, Priscilla Danton...: un répertoire autant que l'état d'esprit qui a présidé aux créations.
Dominique Bagouet et Le saut de l'ange
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Dans le cadre du festival Montpellier Danse, zoom sur le chorégraphe Dominique Bagouet et sa nouvelle production Le saut de l'ange dans une scénographie du plasticien Christian Boltanski et sur une partition du compositeur contemporain Pascal Dusapin.