L'attentat de la rue d'Isly à Alger

01 avril 1962
02m 37s
Réf. 00028

Éclairage

Entre mi-mars et début avril 1962, le territoire algérien est le théâtre de nombreux actes de violence qui font suite au cessez-le feu annoncé le 18 mars 1962 par le général de Gaulle et qui prend effet le lendemain. Or, dans la matinée du 23 mars, précisément dans le quartier européen de Bab El-Oued, sept appelés du contingent sont désarmés par des membres de l'OAS tandis qu'une fusillade s'engage faisant plusieurs morts et blessés au sein d'une patrouille des forces de l'ordre. Après d'autres incidents l'après-midi de ce même jour, les forces de l'ordre et l'armée encerclent la zone. Ce à quoi l'OAS réplique en appelant à une grève générale et à une manifestation qui doit passer par l'entrée de la rue d'Isly. Le 26 mars, un barrage est dressé en ce lieu ; il est tenu par des hommes du 4e Régiment de Tirailleurs. Mais lorsque des manifestants tentent de le forcer, des coups de feu éclatent et une riposte s'engage faisant des victimes dont le nombre est, aujourd'hui encore, objet de désaccords.

Pourtant, dans son allocution du 26 mars, le général tait cet événement. En revanche, il annonce la tenue d'un référendum qui se déroulera le 8 avril 1962 et qui doit trancher sur les modalités des relations entre la métropole et l'Algérie.

Au cours de cette même période, l'OAS connaît un revers de fortune : le 25 mars, Edmond Jouhaud est arrêté, et le 26, commence le procès de deux des responsables de l'assassinat du fonctionnaire Roger Gavoury. Albert Dovecar et Claude Piegts seront condamnés à mort et exécutés en juin 1962. Enfin, l'arrestation de Roger Degueldre, le 7 avril, représente elle aussi un coup dur pour l'OAS.

Diffusé au journal télévisé six jours après les faits rapportés, le bilan des événements de la semaine présente de l'Algérie une vision édulcorée dont la conclusion apaisée, montrant des enfants jouant dans les rues d'Alger, laisse entendre qu'on assisterait à une reprise de « la vie normale ». De ce point de vue, l'exemple du traitement des événements meurtriers de la rue d'Isly est significatif. En ce 1er avril 1962, rien n'est dit de la responsabilité supposée des forces de l'ordre françaises et peu d'images sont montrées. Les faits sont encadrés par le discours du général de Gaulle qui annonce le référendum du 8 avril, et le commentaire tranchant de Christian Fouchet qui enjoint les Français d'Algérie à prendre de la distance avec les fauteurs de trouble. De la sorte, les faits semblent ne faire l'objet d'aucune interrogation.

D'ailleurs, si la censure s'est exercée sur les journalistes français, c'est justement pour éviter de remettre en cause la légitimité de l'État. En effet, ce n'est que le 6 septembre 1963, à l'occasion d'une rétrospective présentée par Cinq colonnes à la une, que des images inédites de la guerre d'Algérie sont dévoilées dont celles de la rue d'Isly. Filmées par Roger Duval, elles montrent alors la panique de la foule mais aussi celle des soldats. Elles montrent aussi, en gros plan, des blessés ou des plaques de sang sur la chaussée.

Et pourtant, le jour même des faits, à 20 h sur Inter Actualités, l'envoyé spécial Claude Joubert avait raconté l'événement, expliquant à son sujet qu'il ne faisait que retracer les faits « simplement, tels [qu'il] les [avait] vus ». Avant que la censure ne s'exerce, le journaliste avait donc pu parler de la foule présente, du barrage, des tirs des soldats « qui saturent les microphones ». Ainsi la radio avait-elle pu jouer un rôle d'information, ce que n'a pu faire – en France tout au moins – que plus tardivement la télévision.

Béatrice Fleury

Transcription

Charles (de) Gaulle
Je puis, et je dois, le dire, répondre affirmativement et massivement à la question que je pose aux Français. C’est pour eux, me répondre à moi-même, qu’en ma qualité de chef de l’État, ils me donnent leur adhésion, qu’ils m’attribuent le droit de faire, malgré les obstacles, ce qu’il faut pour atteindre le but.
Journaliste
C’est par cette allocution du président de la République demandant aux Français d’approuver la conclusion du cessez-le-feu en Algérie qu’a commencé la semaine politique. Une semaine où de l’autre côté de la Méditerranée et malgré la fin des combats, la violence l’a encore emporté sur la paix. Alger, 26 mars, une manifestation de masse déclenchée par l’AOS. Provocations et énervements, des coups de feu éclatent, une fusillade d’une violence inouïe se déclenche, 49 morts, 150 blessés. Lourd, tragique bilan, victimes innocentes poussées à la mort par des assassins, c’est ce que monsieur Christian Foucher, haut-commissaire de France a répété aux Français d’Algérie ; en leur demandant instamment de ne pas s’engloutir avec ceux dont la cause est perdue, et qui tentent de les guider vers la mort. Car l’OAS sent qu'elle perd pied en Algérie aussi. Un de ses chefs, l’ex-général Jouhaud, condamné à mort par contumace, en fuite depuis le putsch d’avril est arrêté lundi à Oran. Transféré aussitôt à Paris, l’adjoint de Salan sera jugé dans les quinze jours par le Haut Tribunal militaire. C’est le tribunal militaire spécial, par contre, qui jugeait cette semaine des hommes de main de l’OAS, les assassins du commissaire Gavoury. Verdict exemplaire, deux condamnations à mort, des peines de réclusion pour les comparses. Et tout cela n’empêche pas les institutions de l’Algérie de demain de s’installer progressivement. L’exécutif provisoire s’est réuni vendredi pour la première fois à Rocher Noir. À l’issue de ce premier contact, son président, monsieur Fares, a lancé dans un discours radiotélévisé un appel à la réconciliation générale. Cet appel sera-t-il entendu notamment dans les grandes villes d’Algérie ? À Alger, la semaine commencée par de sanglants incidents s’est achevée dans le calme. La reprise générale de l’activité laisse espérer enfin une vie normale. Mais le problème algérien a eu cette semaine une conséquence inattendue sur l’actualité internationale. À la suite de la reconnaissance par l’URSS du gouvernement FNL de Tunis, la France a rappelé monsieur Dejean, son ambassadeur à Moscou ; tandis que monsieur Vinogradoff reprenait contact avec son gouvernement.