Le retour d'exil de Salah Ben Youssef
Notice
Après trois années d'exil, Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour, rentre à Tunis (13 septembre 1955). Il est accueilli à l'aéroport par les membres du gouvernement et les chefs du Néo-Destour, dont Habib Bourguiba, puis il se rend au palais de Carthage où il rencontre Lamine Bey.
Éclairage
Opposé aux conventions d'autonomie interne, le secrétaire général du Néo-Destour, Salah Ben Youssef, exige l'indépendance immédiate et sans condition de la Tunisie. Après son intervention tonitruante à la conférence de Bandoeng, il s'envole pour Le Caire où il réside depuis 1952. Il ne cesse alors de reculer son retour au pays : rentrer pourrait être interprété comme une acceptation de la politique des étapes prônée par le président du Néo-Destour, Habib Bourguiba, dont il conteste le leadership. Les tentatives de médiation des délégués néo-destouriens, inquiets de ces dissensions croissantes, finissent néanmoins par aboutir. Salah Ben Youssef sait qu'il compte de nombreux supporters et espère encore changer la donne. Il atterrit donc le 13 septembre 1955 à l'aéroport d'El Aouina où il est accueilli par les membres du gouvernement et les chefs du parti. Un scout échange brièvement sa coiffure avec le nouvel arrivant, une manière de réaffirmer le rôle de la jeunesse et des Éclaireurs musulmans tunisiens dans la lutte nationale. Bourguiba n'a pas hésité à avancer son retour de France, où il passait l'été, afin d'être présent. Les retrouvailles des deux hommes à l'aéroport sont glaciales et ne sont pas montrées à l'écran. Toujours soucieuses de l'intérêt national, les Actualités françaises se gardent bien de mentionner la polémique autour des conventions d'autonomie interne et les revendications plus extrêmes de Ben Youssef.
La séquence invite nécessairement à la comparaison avec le retour triomphal de Bourguiba en Tunisie quelques mois plus tôt (voir le document "Le retour de Bourguiba en Tunisie"). Dans la compétition féroce qui anime alors les deux hommes, force est de constater que Habib Bourguiba gagne haut la main la bataille de l'image. Salah Ben Youssef est accueilli par une foule nombreuse et enthousiaste, mais qui fait pâle figure face à la marée humaine qui attendait le leader du Néo-Destour le 1er juin 1955. L'aéroport d'El Aouina présente, il est vrai, un cadre plus étriqué que le port de La Goulette. Surtout, les images de Salah Ben Youssef à la descente de l'avion n'ont pas la puissance médiatique de l'arrivée solennelle de Bourguiba en bateau. Le lent accostage, la flottille de petites embarcations accompagnant le paquebot, la silhouette du leader se détachant sur le pont constituaient une véritable aubaine pour les opérateurs comme pour les photographes. Ces détails ne peuvent échapper au féru de théâtre et au communicant talentueux qu'est Habib Bourguiba. Le montage des Actualités françaises accentue sans doute ces effets. Héros de la fête du 1er juin, Bourguiba était en permanence au centre de l'image : acclamé et porté par le peuple, il accaparait l'écran. Rien de tel avec Salah Ben Youssef qu'on distingue parfois difficilement. Filmé de loin, noyé dans la foule – quand Bourguiba la surplombait, il n'arrive jamais à se détacher de son ombre, le « combattant suprême », qui ne le quitte pas d'un pas.