Le retour de Bourguiba en Tunisie [muet]
Notice
[document muet] Le 1er juin 1955, Habib Bourguiba rentre en Tunisie après plusieurs mois d'exil forcé. Porté par la foule au débarquement du bateau, applaudi tout le long du cortège, il est reçu par le bey de Tunis au palais de Carthage.
Éclairage
Les conventions d'autonomie interne sont signées à l'hôtel de Matignon le 3 juin 1955 et entrent en vigueur le 28 août de la même année. Les pourparlers ouvrent la porte au retour de Habib Bourguiba dans son pays natal après plus d'un an d'exil forcé en France. Cet extrait du journal télévisé retrace l'arrivée triomphale du « combattant suprême » sur le sol tunisien. La séquence est muette car, en ces premiers temps de la télévision, le reportage est encore commenté en direct par le présentateur.
Habib Bourguiba débarque à La Goulette le 1er juin au bord du paquebot Ville d'Alger, suivi par une nuée d'embarcations hétéroclites arborant fièrement le drapeau national. Sur le port, une marée humaine attend impatiemment le leader du Néo-Destour. Vêtu d'un costume européen, mais coiffé d'un fez, Bourguiba agite un mouchoir blanc à l'adresse de la foule enthousiaste, venue des quatre coins du pays. L'ambiance est à la communion nationale, comme le montre la présence des grands acteurs de la lutte pour l'Indépendance : scouts, syndicalistes de l'UGTT, membres du gouvernement, etc.
Motards, cavaliers Zlass et méharistes se côtoient dans le cortège qui accompagne Bourguiba jusqu'au palais de Carthage. La réception du « combattant suprême » par Lamine Bey frappe par la joyeuse cohue qui règne dans la salle du trône. Nous sommes très loin des cérémonies guindées durant lesquelles le bey reçoit l'hommage empressé des ministres ou des courtisans. Point de baisemain ici, les deux hommes échangent une accolade. Au milieu d'un groupe enjoué, Bourguiba se tient aux côtés du bey, en égal. De fait, l'accueil triomphal du peuple tunisien place le leader du Néo-Destour en position de force par rapport au bey. Au contraire du sultan Mohammed Ben Youssef qui incarne le combat pour l'indépendance marocaine, le souverain tunisien se voit relégué au second plan. Mais cette liesse populaire donne également à Bourguiba une légitimité par rapport à ses compagnons du Néo-Destour qui pourraient lui contester la représentation du mouvement national. Les tensions entre Bourguiba et Salah Ben Youssef sont, en effet, au plus vif depuis le protocole d'avril 1955.
L'historien Daniel Rivet a décrit cette journée du 1er juin comme un moment d'« osmose paroxystique entre la foule et le zâ'im ». De fait, ces images sont restées ancrées dans la mémoire et l'histoire tunisiennes. Bourguiba y puise pour de nombreuses années son aura et sa légitimité. Après l'indépendance, le 1er juin est célébré comme une fête nationale (la Fête de la Victoire). Le président de la République tunisienne entend ainsi raviver ce lien unique, presque charnel, qui l'unirait au peuple tunisien, et ce d'autant plus que le régime apparaît de moins en moins démocratique. L'image de Bourguiba en ce 1er juin 1955 garde néanmoins une puissance d'évocation suffisamment forte pour qu'à son arrivée au pouvoir, Zine El-Abidine Ben Ali s'empresse d'éloigner la statue représentant l'événement du centre-ville tunisois à la gare maritime de La Goulette.