Comment l'Algérie a vécu la première semaine d'indépendance

11 juillet 1962
03m 38s
Réf. 00022

Éclairage

Le 2 juillet 1962, un référendum est organisé en Algérie au sujet de l'indépendance. La réponse à la question « Voulez-vous que l'Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? » est « oui » à 99,72 %. Deux jours plus tard, le 3 juillet, la France reconnaît l'indépendance du peuple algérien et procède pour cela au transfert des pouvoirs de souveraineté. L'indépendance est donc proclamée le 5 juillet et c'est Jean-Marcel Jeanneney, nommé ambassadeur de France en Algérie, qui, depuis la cité administrative du Rocher Noir, assure la transition. Le 6 juillet, son premier geste consiste à présenter ses lettres de créance à Abderrahmane Farès, président de l'exécutif provisoire.

Dans les villes, des foules en liesse descendent dans les rues pour fêter un moment qui met fin à cent trente-deux ans de colonisation. À Alger, des représentants du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) – dont Benyoucef Benkhedda, alors président, et Krim Belkacem, vice-président et ministre de l'Intérieur – se présentent à la foule. Mais l'absence d'Ahmed Ben Bella, resté au Caire, témoigne des tensions au sein du Gouvernement provisoire et du FLN et constitue une préfiguration des problèmes à venir. En effet, ce dernier – qui conteste la légitimité du GPRA – s'emploiera, dans les semaines suivantes, à conquérir le pouvoir.

Hormis les problèmes politiques que pose la mise en place du gouvernement algérien, la violence entre communautés connaît une tragique exacerbation à Oran, ville qui sera le témoin de l'enlèvement et de l'assassinat de nombreux civils européens. Le jour même de l'indépendance, ceux-ci sont victimes – ainsi que les musulmans accusés de leur être favorables – d'un lynchage et d'une course à l'homme que les forces armées françaises, dirigées par le général Katz, n'ont pas empêché ou trop tardivement.

Qu'il s'agisse du nombre des victimes, des causes et responsabilités de la tuerie (coup monté, acte délibéré, surenchère ?), du rôle de l'armée française et de la nature des ordres ou non-ordres qu'elle aurait reçus, beaucoup reste à préciser et fait de cet événement un moment de crispation dans la mémoire des groupes concernés.

Si les images diffusées à la télévision française le 11 juillet 1962 ne taisent pas les violences et problèmes que connaît l'Algérie au moment de l'indépendance, elles en édulcorent la gravité et en taisent les responsabilités supposées. La désorganisation, voire la panique, apparaissent à l'image mais le constat de massacre en est chassé au profit d'une interprétation qui, d'une certaine façon, privilégie l'idée de bavure. Le commentateur évoque les coups de feu sans plus de précisions à leur sujet et parle d'une centaine de victimes et d'un chiffre équivalent de blessés. Mais il ajoute que musulmans et Européens seraient également touchés, un discours propre à empêcher les prises de position haineuses ou les velléités de vengeance.

La télévision reste donc sous contrôle et, de ce fait, se doit d'accompagner les choix du gouvernement français et de laisser dans l'ombre ce qui pourrait entacher la version selon laquelle ce dernier a su faire preuve d'anticipation.

Béatrice Fleury

Transcription

(Musique)
Journaliste
L'Algérie vient de vivre sa première semaine d'indépendance, sous le drapeau vert et blanc. Elle l'a vécue différemment selon le lieu et le jour, mais partout au milieu des manifestations de joie de la population musulmane. C'est ainsi qu'Alger avait accueilli, accompagné par une escorte improvisée de motocyclettes, le président Benkhedda et les membres du GPRA.
(Bruit)
Journaliste
Accueil triomphal des musulmans, malgré l'absence de Ben Bella. Belkacem Krim n'avait pas réussi à le convaincre de revenir du Caire avec lui, et la crise restait ouverte. L'explosion de joie n'en fut cependant pas amoindrie pour autant. Et, du balcon de la préfecture d'Alger, le président du GPRA put prendre la mesure de sa popularité auprès d'une foule qu'il rencontrait pour la première fois.
(Bruit)
Journaliste
Oran, pendant ce temps, voyait aussi se développer des manifestations populaires. Dans la ville où l'ALN avait installé un préfet musulman, les cortèges sillonnaient la ville européenne, comme la ville musulmane, pour célébrer à l'unisson du reste de l'Algérie l'indépendance toute neuve. Mais Oran, Oran de nouveau allait être le point noir de cette semaine algérienne. Au coeur de la cité, alors que l'excitation battait son plein, une fusillade avait éclaté. Une fusillade qui a fait près de 100 morts et plus de 150 blessés parmi les deux communautés.
(Bruit)
Journaliste
Le drame avait figé la ville dans l'angoisse. Oran était redevenue une cité coupée en deux, et la ville européenne une ville morte. Pour assurer l'ordre dans la cité européenne, les responsables faisaient appel aux troupes françaises.
(Musique)
Journaliste
Conséquence immédiate du drame : l'exode des Européens s'accentuait. Carthagène, port espagnol, enregistrait un accroissement du nombre des rapatriés. Arrivés parfois sur des chalutiers, plusieurs milliers d'hommes, de femmes et d'enfants d'origine espagnole ont ainsi renoncé à faire partie de l'Algérie nouvelle, au moment même où elle vivait les premières heures de l'indépendance.
(Musique)
Journaliste
L'indépendance, la population musulmane d'Oran avait continué de la célébrer en acclamant, après les troupes de la Wilaya V, les soldats des 9 katibas venus du Maroc. Mais ici, comme à Alger, la crise ouverte au sein du GPRA n'a entamé en rien la joie populaire.
(Musique)
Journaliste
A Rocher Noir d'ailleurs, les événements suivaient leur cours. Monsieur Jeanneney, premier haut représentant de la France, remettait au président Farès ses lettres de créance. Ansi s'affirmait une indépendance qu'Alger, comme le reste de l'Algérie, a célébré avec bruit, avec chaleur, en saluant les troupes de l'armée de Libération.
(Musique)
Journaliste
Cette semaine sans doute s'achevait sur une question : l'unité du GPRA serait-elle ressoudée ? Mais, pour les Algériens, il n'y avait eu qu'un événement désormais historique : ils venaient de vivre leur première semaine d'indépendance.
(Musique)