Allocution télévisée de Guy Mollet et Robert Lacoste sur les pouvoirs spéciaux en Algérie
Notice
Guy Mollet (président du Conseil) et Robert Lacoste (ministre résident en Algérie) reviennent sur le contexte qui a prévalu à la loi sur les pouvoirs spéciaux en Algérie, adoptée récemment par les parlementaires. Ils expliquent les deux volets de cette loi : la répression par l'action militaire et les réformes économiques et sociales.
Éclairage
Le socialiste Guy Mollet est devenu Président du Conseil suite aux élections législatives du 2 janvier 1956. Sur la suggestion de Robert Lacoste, nommé ministre résident en Algérie le 9 février, et pour faire face à l'amplification de la « rébellion » et du terrorisme en Algérie, le gouvernement dépose un projet de loi lui conférant des « pouvoirs spéciaux » afin de renforcer son action répressive. Lors de l'élaboration du projet en Conseil des ministres, Pierre Mendès-France alors ministre d'Etat sans portefeuille et Gaston Defferre, ministre de la France d'outre-mer, mettent en garde contre cette option qui consacrerait la primauté du militaire. Ils sont néanmoins minoritaires au sein du gouvernement, notamment face à Lacoste ou Bourgès-Maunoury, ministre de la Guerre. Le projet prévoit dans les faits un vaste dessaisissement du pouvoir législatif au profit du gouvernement, habilité à prendre en Algérie, par décrets et sur la base d'un illusoire contrôle parlementaire, toute mesure jugée nécessaire dans les domaines administratif, économique, social et militaire. L'article 5 précise en outre que « le gouvernement disposera des pouvoirs les plus étendus pour prendre toute mesure exceptionnelle en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire ». Le ministre résident en Algérie détiendra des pouvoirs très étendus, concentrés entre ses mains, et de fait contradictoires avec les principes démocratiques.
Le débat qui s'ouvre le 8 mars à l'Assemblée nationale est tendu, mais sans passion. Le discours musclé de Robert Lacoste, celui plus nuancé de Guy Mollet sont accueillis par une large approbation, des socialistes jusqu'aux rangs des indépendants. Le ralliement du parti communiste étonne davantage dans la mesure où son porte-parole, Jacques Duclos, se montre favorable à la négociation avec le FLN. Les dissensions internes ne sont pas prises en compte par la direction du parti qui favorise le maintien du Front républicain. Mais le président du Conseil a engagé la confiance de son gouvernement. Si la loi est rejetée, les députés auront à assumer une nouvelle crise ministérielle, laissant la France sans direction politique.
Le 12 mars 1956, le projet de loi est adopté massivement par 455 voix contre 76, les opposants étant essentiellement les poujadistes et quelques modérés.
La loi sur les pouvoirs spéciaux ouvre la voie à des mesures de deux types : réformatrices et répressives. Sur le premier volet, la loi engage le gouvernement « à mettre en œuvre en Algérie un programme d'expansion économique, de progrès social et de réforme administrative » : équipement scolaire, aménagement sanitaire, réforme agraire... Un décret réserve également aux « Français musulmans d'Algérie » 10% des postes aux concours de la fonction publique. Sur le second plan, Guy Mollet amplifiera en effet la répression en faisant appel au contingent et aux réservistes. Les effectifs de l'armée montent à plus de 400 000 hommes durant l'été 1956. L'armée se voit confier des pouvoirs de police et s'éloigne d'une gestion du conflit par le maintien de l'ordre tel que généralement présenté. Lacoste, convaincu d'une victoire imminente sur le FLN parle de « dernier quart d'heure ».