La rupture entre la France et l'Espagne
Notice
L'Espagne, à travers la voix du haut commissaire García Valiño, conteste la légitimité du nouveau sultan, Mohammed Ben Arafa.
Éclairage
La déposition du sultan Mohammed Ben Youssef en 1953 et son remplacement par Mohammed Ben Arafa provoquent une vive émotion dans la population marocaine. Mais la ferveur que suscite le sultan martyr est passée sous silence par les actualités cinématographiques qui se concentrent sur les actes terroristes et autres déchaînements de violence décrits comme la réaction de quelques extrémistes. Ce reportage se distingue donc, qui montre sans censure une démonstration d'allégeance à l'endroit du souverain exilé. En réalité, la manifestation ne trouve sa place dans le journal des Actualités françaises que parce qu'elle se déroule dans le Maroc espagnol et paraît instrumentalisée par le pouvoir franquiste.
Le traité de Fès de 1912 avait laissé sous la domination espagnole des régions dans le nord et le sud de pays. La zone espagnole est régie par un haut commissaire, installé à Tétouan ; le sultan est représenté par un khalifa. Les relations entre la France et l'Espagne ont fluctué, entre alliance et méfiance, au gré des tensions internationales et de la situation intérieure marocaine. Mais le discours du général Rafael García Valiño à l'hippodrome de Tétouan le 21 janvier 1954 est à l'origine d'une une crise diplomatique sans précédent. Dans cette intervention, le haut commissaire n'hésite pas à contester la légitimité de Mohammed Ben Arafa. De fait, l'Espagne s'est vexée de n'avoir pas été consultée par la France lors de la déposition de Mohammed Ben Youssef. Elle encourage les manifestations de soutien au souverain en exil, en espérant profiter de la faiblesse du nouveau sultan pour développer un mouvement séparatiste dans la zone sous son influence.
Le reportage montre le rassemblement des notables rifains à Tétouan, des images de sîba (rébellion, anarchie) qui résonnent avec d'autres images, celles des dissidences de 1951 et 1953. Ainsi, les vues de féodaux en grand costume que la résidence générale avait utilisées pour signifier la fronde du Maroc profond et authentique contre le sultan de l'Istiqlâl et pour évincer Mohammed Ben Youssef se retournent contre la France. Les Actualités françaises n'hésitent pas à changer leur caméra d'épaule et opposent aux archaïques caïds à cheval le khalifa Moulay Hassan Belmehdi s'engouffrant dans une voiture. Ce dernier a refusé de participer à la manifestation de l'hippodrome. Mais cette réaction prudente, louée par le commentateur, doit être interprétée davantage comme l'expression d'une méfiance à l'égard des menées de l'Espagne que comme un acte d'allégeance à l'égard du sultan Ben Arafa. Le khalifa continue d'ailleurs de faire dire les prières au nom de Mohammed Ben Youssef.