Le discours de Tanger
Notice
Le sultan du Maroc visite la zone espagnole et Tanger, ville à statut international. Dans un discours prononcé le 10 avril 1947 dans les jardins de la Mendoubia, Mohammed Ben Youssef insiste sur l'unité des trois zones marocaines.
Éclairage
Tanger bénéficie d'un régime spécifique depuis les débuts de la pénétration européenne au Maroc – un statut international officialisé par la convention de décembre 1923. Si le sultan est représenté dans la ville par un mendoub, son pouvoir apparaît purement nominal. Aussi, la première visite de Mohammed Ben Youssef dans le nord du pays participe-t-elle d'une lutte sourde pour l'intégrité de l'empire chérifien – les attaques contre le morcellement du Maroc sont d'ailleurs l'un des chevaux de bataille de l'Istiqlâl. Le voyage se déroule dans un contexte troublé. Depuis mars 1946, le résident général Eirik Labonne tente de mettre en œuvre une politique réformatrice qu'il juge la seule à même de sauver le protectorat français. Mais, le 7 avril 1947, des tirailleurs sénégalais se livrent à de violentes exactions contre la population marocaine à Casablanca. C'est dans ces circonstances que Mohammed Ben Youssef prononce, le 10 avril, le fameux discours de Tanger qui marque une rupture dans l'histoire du Maroc colonial. Les Actualités françaises ne censurent pas l'événement, mais elles lui donnent une toute autre portée. Le reportage montre l'accueil triomphal réservé au sultan par la population tangéroise. Dans les jardins de la Mendoubia, le souverain réaffirme l'unité des trois zones marocaines (la zone française, la zone espagnole qu'il vient de visiter et Tanger). Le commentateur se contente de parler de « juridiction spirituelle », quand le sultan a manifestement d'autres arrière-pensées : Mohammed Ben Youssef prône son attachement à la Ligue arabe et conclut son discours sans mentionner la France protectrice, à laquelle il est coutume de rendre hommage. Cette omission est, pour la résidence générale, un véritable soufflet qui conduit au départ de Labonne. Mais l'incident est passé sous silence dans le reportage. C'est donc assez mystérieusement pour le spectateur non informé que le commentateur admet que le Maroc est entré dans « une nouvelle phase ».