La conspiration contre le sultan Mohammed Ben Youssef
Notice
Au Maroc, Thami El-Glaoui mobilise les grands caïds contre le sultan Mohammed Ben Youssef. Mohammed Ben Arafa est désigné nouveau commandeur des croyants.
Éclairage
Depuis 1947, les relations sont extrêmement tendues entre la France et le sultan Mohammed Ben Youssef dont la résidence générale rêve de se débarrasser. Les autorités coloniales manœuvrent toutefois plus subtilement qu'en 1943 où elles déposaient brutalement le bey tunisien Moncef, jugé trop indépendant. Celles-ci jouent au Maroc la carte traditionnelle de la sîba, l'opposition au makhzen.
Le sujet du 20 août 1953 s'inscrit bien dans la stratégie de communication française. Le journal rend compte des menées du puissant pacha de Marrakech, Thami El-Glaoui, qui depuis des années conteste l'autorité du souverain – il avait déjà tenté d'écarter Mohammed Ben Youssef en 1951. Allié aux confréries, il mobilise les grands caïds, ces féodaux dont les privilèges sont maintenus par le régime colonial et qui regardent avec hostilité l'action de l'Istiqlâl. Le sultan est accusé de faillir à ses devoirs religieux et de soutenir les nationalistes. Le Glaoui n'hésite pas à faire appel aux tribus berbères dans ce que l'historien Daniel Rivet a qualifié une « mise en scène à la Cecil B. DeMille ». De fait, le rassemblement fonctionne également parce qu'il répond à certains fantasmes orientalistes qui ont trouvé au Maroc leur expression privilégiée. Ainsi, le journaliste évoque les « milliers de Berbères descendus de la montagne » – quand la caméra les filme descendre du bus... Dans la même veine romantique, un reportage daté du 27 août 1953 montre l'arrivée des cavaliers berbères aux portes de Rabat.
Alors que la résidence générale agite la menace d'anarchie, Paris se laisse convaincre de la nécessité de déposer le sultan. Les Actualités françaises taisent le rôle de la France et présentent la sédition des caïds comme une « crise intérieure », strictement marocaine, dans laquelle la république ne souhaite pas prendre parti. Elle se contenterait de jouer un rôle pacificateur en protégeant Mohammed Ben Youssef et en négociant avec les rebelles. Le 15 août, Mohammed Ben Arafa, cousin falot du sultan, est désigné nouveau commandeur des croyants. Il apparaît, frêle, assis entre Thami El-Glaoui et le chérif Abdelhay El-Kettani. Le commentateur feint de s'interroger sur l'avenir du sultan privé de son rôle religieux. En effet, le souverain chérifien tire une bonne part de son prestige de son statut de chef spirituel, descendant du Prophète. Le jour même où le reportage est projeté sur les écrans français, Mohammed Ben Youssef est déposé et conduit à l'aéroport par le résident général Guillaume. Indifférentes à l'onde de choc qui traverse alors le Maroc, les Actualités françaises ne consacrent à l'éviction du sultan qu'une brève humoristique sur les « vingt épouses » s'apprêtant à le rejoindre en Corse.