Tonnelier du domaine d'ognoas

26 novembre 2005
05m 50s
Réf. 00651

Notice

Résumé :

Reportage sur la fabrication des tonneaux de conservation de l'armagnac. Les tonneaux du domaine d'ognoas sont construits à partir des chênes de la région. Interview de deux tonneliers.

Type de média :
Date de diffusion :
26 novembre 2005

Éclairage

Armagnac, chêne, Gascogne voilà des mots et des concepts qui fleurent bon l'histoire, la géographie, le terroir, la gastronomie...

La Gascogne qui peut se définir comme la province où la langue gasconne est parlée, est incluse dans un grand triangle Bordeaux, Toulouse, Bayonne et non dans le seul département du Gers.

Dans ce territoire, l'Armagnac est une région bien délimitée où est produite l'eau de vie qui porte son nom. Vieille de sept cents ans, bénéficiant depuis 1936 d'une Appellation d'Origine Contrôlée, son aire de culture comprend le Haut-Armagnac, le Bas-Armagnac et la Ténarèze. Les 20000 ha de vignes complantées en Baco blanc, Folle blanche et Ugni blanc produisent une moyenne de 13000 hl d'eau de vie par an.

Plusieurs particularités distinguent l'Armagnac de son cousin le Cognac.

La production est atomisée chez un grand nombre de petits vignerons qui restent maîtres de leur production, souvent de vieilles familles dont les chais traditionnels sont de véritables musées vivants.

La distillation est dite de débit continu dans un alambic armagnacais breveté depuis 1818. Jour et nuit pendant le temps nécessaire, la chaudière doit conserver une chauffe appropriée. Elle est alimentée souvent au bois de chêne.

Soixante-dix pour cent des produits commercialisés proviennent d'assemblages d'eau de vie de plusieurs origines, de différentes années de récolte. Mais l'exception dans le domaine des spiritueux réside dans le fait que l'Armagnac de prix, celui qui est recherché par les connaisseurs est la bouteille millésimée, le vieillissement ne se faisant que dans des fûts de chêne. Le bois étant poreux à l'air, il se produit chaque année une évaporation de 2 à 3 % qu'il faut compenser par ouillage; cette perte annuelle, nommée joliment « part des anges» participe au mythe « Armagnac ».

Au cours du vieillissement, l'alchimie et la chimie se conjuguent en un savant échange entre l'alcool et le bois, le tanin est dissout, la couleur ambrée s'affine, les arômes se développent, les saveurs s'élaborent.

Le tonnelier est intimement associé à cette aventure, par bien des aspects, originale. Dans les Landes un seul atelier de tonnellerie subsiste, c'est celui de l'artisan Gilles Bartholomo, quatrième génération de tonneliers en Armagnac. (1)

Le chêne pédonculé du pays gascon constitue la matière première incontournable pour fabriquer des fûts de 400 à 420 litres appelés pièces.

Le métier n'a pratiquement pas changé depuis des siècles : travail manuel délicat s'il en est, d'ajustage des douelles ou douves cintrées, polies en un galbe parfait. Si la colombe et la doloire ont disparu, la hache reste un outil de base. Les billons de 1,10 m de long tirés du tronc du chêne, sont fendus en deux, puis en quatre et en huit quartiers : fendus dans le fil du bois et non sciés pour assurer l'étanchéité du bois. Après deux ou trois ans de séchage, de ces merrains sortiront les douelles.

Le domaine départemental d'Ognoas possède un alambic du XVIII° siècle classé à l'inventaire du patrimoine.

Chaque année, la liqueur incolore, « la blanche »qui sort de l'alambic est mise dans des fûts neufs. L'élaboration des millésimes se fait ensuite en fûts de vieillissement : le verre conserve mais ne vieillit pas l'eau de vie. Un flacon portant l'indication 1979, mise en bouteille en 2009 a trente ans d'âge. Le vin récolté en octobre 1979, est distillé au cours de l'hiver suivant en décembre. L'eau de vie est conservée en fût pendant trente ans; durant sa garde en bouteille, l'Armagnac ne vieillira plus. (2)

Produit de niche sans comparaison pour les volumes avec le géant Cognac, l'Armagnac garde toute sa place sur le marché intérieur et international fortement soutenu par un artisanat de qualité. Le terroir et les racines gardent ici tout leur sens.

(1) Quand les Landes exportaient vers l'Angleterre et les Pays Bas et ce jusqu'au XIX° siècle, on comptait les tonneliers par centaines, le vin étant vendu logé, la barrique ne revenant pas au pays)

(2) L'Armagnac pour les nuls, Chantal Armagnac, 2009

Maurice Gassie

Transcription

Patrick Arnaud
C’est ici qu’on va choisir, dans les arbres pour la future récolte 2005.
Gilles Bartholomo
Ben, je pense qu’il y en a un qui est plus joli là-bas. Il y en a un qui est plus joli là-bas.
Patrick Arnaud
Alors, c’est celui-ci.
Gilles Bartholomo
Voilà, donc celui-là, voyez Patrick, celui-là, il me semble bien, il correspond bien…, c’est le chêne typique pour faire du meringue. L’écorce est droite, le fût est droit. Donc ça, c’est un critère très important de sélection.
Patrick Arnaud
Et pour faire les pièces d’Armagnac là….
Gilles Bartholomo
Là-dedans, oui…, alors je ne sais pas, il y a peut-être deux pièces ou deux pièces et demie là-dedans.
Patrick Arnaud
Et on va accentuer par l’origine des bois cet aspect typicité qui nous donnera des eaux de vie de longue garde et des millésimes remarquables au bout de 20, 30, 40 ou 50 ans.
(Bruit)
Gilles Bartholomo
L’entreprise au départ était à mon grand-père maternel, qui faisait ce métier, qui était installé au Frèche. Et auparavant, c’était son père. Donc, mon arrière-grand-père faisait déjà ce métier. Moi j’ai fait l’apprentissage durant 12 années chez un maître artisan dans le Gers. Et à la suite de ces deux années, mon grand-père a fini de me former durant huit ans.
(Bruit)
Gilles Bartholomo
Alors, ce qui est très important, c’est d’utiliser le chêne de la région, le chêne qu’on appelle le pédonculé. C’est un chêne qui a un grain gros et moyen. Donc, ça c’est très important au départ. Donc le bois, on va le débiter l’hiver, au mois de novembre, au mois de février. Durant trois années, on va le laisser sécher dehors. Et à la suite de ces trois années, on va reprendre les bois, que l’on appelle meringue, en vue de la fabrication de pièces d’Armagnac. Donc, c’est lui qui après va donner la couleur et le goût à l’Armagnac.
(Bruit)
Xavier Garbay
On chauffe d’abord pour cintrer le bois. Puis, la deuxième phase, c’est apporter la couleur à l’armagnac blanc, qu’on fait des chauffes fortes, ce qui apporte plus de tanin.
(Bruit)
Gilles Bartholomo
Disons que pour fabriquer une pièce d’armagnac, il nous faut huit heures. On a huit heures de temps de fabrication à partir du moment où on prend les bois à la pile et jusqu’à la finition.
(Bruit)
Gilles Bartholomo
Les atouts qu’il faut mettre en avant, il faut jouer sur la proximité par rapport à la clientèle que l’on a, sur la qualité du travail que l’on peut apporter par rapport à une valeur industrielle. C’est sûr qu’on a un savoir-faire entre les mains. Et à l’heure actuelle, c’est peut-être ce qui garantit un petit peu notre survie par rapport à la concurrence, c’est ce savoir-faire. C’est sûr qu’un jour, il faudra penser à le transmettre comme on me l’a transmis également. Tu mettras le cercle après, il ne faut pas perdre trop de temps. Amène-la, tu le mettras après. Ce qui m’intéresse le plus, c’est la création, puisqu’au départ, on part de plans que l’on assemble, que l’on modèle, que l’on ceintre au feu. Ensuite, pour donner naissance à un tonneau. Donc, c’est quand même, c’est beau.
(Bruit)
Journaliste
Un parfum vanillé, boisé, un beau décor de bois, nous sommes maintenant dans le chai antique du domaine Donuas. Patrick, il s’agit de la dernière étape, le vieillissement, qu’est-ce qui se passe à l’intérieur de ces barriques. Ah, une alchimie complexe, c’est là vraiment que tout s’anoblit, que tout devient magique. Là, vous partez déjà de bois qui ont plus de 100 ans, de magnifiques chênes de la forêt que nous prélèvons. Ensuite, ces chênes, on va les laisser sécher pendant deux ou trois ans, à préparer le meilleur bois possible que nous allons fabrique, ce qu’on appelle la pièce armagnacaise. Ce fameux fût de 420 litres, qui va permettre à l’eau de vie, incolore au départ, blanche, de s’anoblir, de s’oxyder et donner progressivement des couleurs jaune, jaunes d’or, ambré, ambré profond. D’ailleurs, on voit bien l’évolution de la couleur de l’armagnac en fonction de la période. Quand il est le plus foncé, là on est à peu près à combien de temps de vieillissement ?
Patrick Arnaud
On est à peu près à quatre ou cinq ans. Au bout de quatre ou cinq ans, on obtient ces ambrés qui vont nous donner toute la caractéristique du produit. Mais en même temps qui va nous donner ce fondu entre le fruité de l’eau de vie jaune que nous produisons ; ensuite à la complexité de tout ce que va mener l’oxydation du bois. Et c’est ça qui va donner l’harmonie du futur millésime qui sera vendu cinq ou six ans après.
Journaliste
Alors, il faut préciser une spécificité de l’armagnac contrairement au cognac où on mélange des millésimes, là en fait on parle de millésimes. Là par exemple, autour de moi, je vois 1969, 1970, quel est l’intérêt en fait de garder cet armagnac par millésime ? C’est parce qu’on peut vraiment contrôler son vieillissement ?
Patrick Arnaud
Complètement, et c’est surtout l’authenticité de la tradition. C’est-à-dire qu’on est parti de la flamme de la fabrication au début. Donc, vous vendangez au mois de septembre d’une année définie comme 2005. Ensuite, vous distillez au mois de novembre 2005. Et ce millésime-là ne sera commercialisé qu’en 2016. Donc, il y a tout le temps que l’on va laisser, c’est-à-dire la patience du producteur d’armagnac pour aboutir au meilleur produit possible.
Journaliste
Il n’est pas inutile de rappeler quand même bien évidemment qu’il s’agit d’alcool, et que tout cela est à consommer avec une extrême modération, et surtout pas avant de prendre la route. Cela dit quand même, une petite question, vous pensez à ce rapport au temps quand on est là ? Bon, parce qu’on voit bien, il y a des millésimes très anciens. Vous, quand vous concevez cette eau de vie, vous vous dites dans 50 ou 100 ans, on boira peut-être celle que j’ai fabriquée ?
Patrick Arnaud
J’ai l’immense bonheur de vivre ça tous les jours et de pouvoir déguster des eaux de vie qu’on avait la chance de fabriquer sur 40 ans ; que j’espère léguer un héritage aussi riche dans l’avenir.
Journaliste
Si vous avez prévu du jambon purée ce soir, ne regardez surtout pas ce qui suit. Après la cuisine 3 étoiles de Michel Guérard, après le foie gras, nous vous invitons pour une partie de chasse gastronomique. Et ça, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.