Interview de Paul Gardent, directeur général des Houillères, sur la situation du Bassin minier
Notice
Interviewé dans le journal télévisé de Télé Lille, Paul Gardent directeur général des Houillères du Bassin du Nord-Pas-de-Calais estime que l'évolution de la production du Bassin est limitée par l'appauvrissement du gisement. Celui-ci est inégalement réparti et en déclin rapide dans l'ouest. C'est un problème à long terme et il faut approfondir des possibilités de développement des autres industries.
Éclairage
L'enjeu de la reconversion du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais commence à être évoqué de manière prudente dans cette interview de 1964. Elle se déroule sur un fond d'images mettant en valeur le côté industrieux de la mine, et la diversité de ses activités. C'est d'abord la centrale de Dourges à Hénin-Beaumont qui est montrée, puis les fosses n°9 et n°10 de Oignies, avant de terminer par les usines chimiques de Drocourt, Norbenzol, situées au sud de la cokerie. L'idée de modernité se manifeste à travers l'électrification, la mécanisation et les structures en béton. Au contraire, la difficulté du métier n'est évoquée que rapidement, à travers l'antique cage de remonte.
Le personnage interviewé est un haut-fonctionnaire important, le directeur général des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) soit le deuxième responsable après le président Yvon Morandat. Il s'exprime de manière prudente. Ainsi, le déclin charbonnier est attribué exclusivement aux "données naturelles, c'est-à-dire [à] l'appauvrissement progressif du gisement". C'est certainement vrai, comme en témoignent les premières fermetures de puits à l'ouest du bassin minier, dans la région de Bruay et Béthune, là où le gisement est le plus difficile à valoriser. C'est d'ailleurs sur cette région que portent les efforts de l'État. Dès 1959, certaines zones peuvent recevoir des primes spéciales pour l'installation d'entreprises au titre des "zones spéciales de conversion". En 1964, la région de Béthune est éligible à un nouveau dispositif, les "primes d'adaptation industrielle".
Toutefois, le discours de Paul Gardent reste allusif. Il se retranche derrière une expression générale, "les besoins en énergie dans le monde ne cesseront de croître", qui, si elle est juste, minore le fait que ces besoins ne vont certainement pas s'exprimer en charbon français. En effet, les années 1960 sont celles d'une substitution massive et rapide du pétrole au charbon. Par ailleurs, le charbon français coûte cher, en particulier celui du Nord-Pas-de-Calais où les veines sont minces et difficiles à exploiter. Ainsi, d'après les statistiques de Charbonnages de France (CdF), le rendement moyen par poste et par jour s'établit, en 1959, à 1,5 tonne dans le Nord contre 2,4 en Lorraine, où les gisements sont plus larges.
Ce discours lénifiant vise vraisemblablement à rassurer une région encore marquée par le plan Jeanneney de 1960, qui a inauguré la politique de récession charbonnière. Cette frustration s'est d'ailleurs exprimée dans la longue grève des mineurs de 1963. Paul Gardent ne cache toutefois pas la nécessité de créer de nouveaux emplois hors de la mine. Il évoque notamment la chimie, un domaine naturel de diversification à travers la carbochimie. Cette piste fait l'objet de nombreuses réflexions à cette époque au sein de Charbonnages de France, la maison-mère des HBNPC. Peu après cette émission est créée CdF-chimie en 1967. De nombreuses filiales sont développées par les CdF, souvent en association avec des entreprises chimiques comme Kuhlmann ou l'Air liquide, ou même le groupe pétrolier ERAP. Le site de Mazingarbe produit en particulier des engrais, à partir d'ammoniac issu des résidus de l'exploitation charbonnière.
Paul Gardent évoque également une seconde direction : la création d'activités hors des HBNPC, mais favorisées par elle. Les Houillères possèdent en effet, outre des carreaux de mines, de très nombreux bâtiments (corons, écoles, églises), des routes et des terrains, qui seront progressivement transférés aux communes dans les années 1970, ou mis à la disposition de nouvelles entreprises. Il annonce ainsi toute la politique de reconversion qui sera mise en place de manière volontariste par l'État, et son bras armé de CdF et des HBNPC, à partir de 1968.