Visite du Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas dans le Bassin minier
Notice
Le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas s'est rendu dans le Bassin minier pour rassurer les mineurs. Interviewé à la fin de sa journée de visite, il annonce la création de 1 000 emplois industriels et assure qu'en 1975 les 6 000 emplois nécessaires seront acquis. Il insiste également sur la nécessaire formation professionnelle des employés des Houillères et le développement de l'industrie chimique.
Éclairage
La visite du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas permet d'évoquer la reconversion du bassin minier dans toute sa complexité puisqu'il est question de quatre thèmes : la création d'emplois, la formation professionnelle, le développement des infrastructures et le rôle des collectivités locales.
Le déclin charbonnier est déjà très avancé au début des années soixante-dix, en raison du coût de revient trop élevé de la houille locale. La production régionale est passée d'un maximum après-guerre de 29 millions de tonnes à 9 millions en 1974, tandis que le nombre de mineurs employés par les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC), supérieur à 200 000 en 1947, est tombé à 40 000 en 1974. Il s'agit donc de trouver des emplois pour compenser le déclin charbonnier. Le problème est toutefois atténué par le contexte général de prospérité des Trente Glorieuses, qui durent jusqu'à la crise économique fin 1973. La France connaît alors des taux de croissance supérieurs à 5% par an et un chômage très faible. Le Premier ministre évoque tout d'abord la création d'emplois dans l'ouest du Bassin minier (Béthune, Gosnay, Auchel) car c'est la première zone touchée par les fermetures de puits. C'est là en effet que l'exploitation est la plus difficile et la moins rentable. Dès 1959, l'État encourage l'implantation de nouvelles activités économiques en l'érigeant au statut de "zone spéciale de conversion". Dès la fin de cette année, le manufacturier de pneumatiques américain Firestone décide de s'implanter à Béthune.
Jacques Chaban-Delmas évoque enfin le développement de l'industrie chimique, deuxième pilier de la reconversion après l'automobile. Contrairement à ce dernier secteur, il s'agit d'une activité implantée depuis longtemps dans la région, du fait de la mise en valeur des résidus de l'exploitation charbonnière. L'usine de Mazingarbe (entre Lens et Béthune) qu'il évoque a été ouverte à la fin du XIXe siècle. La synthèse de l'ammoniac à partir de l'hydrogène fourni par les Houillères y a été réalisée dès 1922. Il s'agit donc de renforcer cette activité, et de la diversifier vers d'autres domaines, notamment la plasturgie ou la "chimie organique" évoquée directement par le Premier ministre à travers l'exemple du chlorure de polyvinyle, qui est en fait le PVC (polychlorure de vinyl), un matériau léger, peu cher et résistant. Elle est ouverte en 1976, et complète ainsi la production d'engrais du site. Jacques Chaban-Delmas évoque également les emplois tertiaires, qui se développent plus rapidement que ceux de l'industrie.
Outre l'emploi, la formation professionnelle fait l'objet d'un développement en raison du niveau de scolarisation de la population du Bassin minier est faible car la disponibilité de nombreux emplois non qualifiés n'incitait pas à investir dans l'école. Plus généralement, la formation professionnelle est l'une des priorités du gouvernement Chaban-Delmas, conseillé sur cette question par Jacques Delors. La première loi importante sur la formation professionnelle est d'ailleurs votée en 1971.
Enfin, la question des infrastructures est développée, en relation avec celle des collectivités locales. Les HBNPC gèrent en effet un patrimoine considérable constitué de 113 000 logements, de 1 100 km de voiries, de 22 000 ha de terrains, de 55 églises, d'écoles, d'hôpitaux, de salles des fêtes, ainsi que d'équipements sportifs et culturels. Or, dans le cadre du déclin de l'activité charbonnière, l'enjeu est de transférer aux communes du bassin minier ce patrimoine considérable. Avec la reconversion, elles doivent assumer ces missions de services publics autrefois prises en charge par les Houillères. Selon l'expression du préfet André Chadeau, elles doivent "intégrer progressivement cette partie d'elles-mêmes" en opérant une véritable reconquête de leur territoire. Ces communes sont en effet sous-dimensionnées par rapport aux grandes compagnies minières (privées puis publiques avec les HBNPC) qui opèrent sur leur sol. Hormis un petit nombre de villes anciennes (Béthune, Douai, Valenciennes), elles n'étaient que des villages ou des bourgs avant l'industrialisation du XIXe, et ont donc dû faire face à une urbanisation anarchique, guidée par les seuls besoins de l'exploitation minière. L'enjeu évoqué par le Premier Ministre est de leur transférer progressivement tout ce patrimoine des Houillères. Le principe en a été décidé lors d'un comité interministériel tenu le 10 février 1971. Mais l'État accepte en parallèle de le mettre à niveau par un vaste programme de rénovation des logements de mineurs et d'amélioration de la voirie (transport mais aussi réseaux d'épuration des eaux). Ce travail se réalise en concertation avec les collectivités locales, appelées à jouer un rôle croissant dans la reconversion. La thématique de la décentralisation commence d'ailleurs à être discutée sérieusement en France, alors que le général de Gaulle a quitté le pouvoir en avril 1969 après un référendum qui proposait la création de collectivités territoriales régionales.