L'avenir du bassin minier décrit par le maire de Liévin

07 octobre 1983
02m 14s
Réf. 00193

Notice

Résumé :

Le maire de Liévin, Jean-Pierre Kucheida, développe les priorités pour le bassin minier : maintenir le charbon le plus longtemps possible, la chimie doit être confortée, développer des emplois induits autour des usines automobiles. Il s'interroge ensuite sur l'avenir du Bassin.

Date de diffusion :
07 octobre 1983
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Éclairage

Dans un exposé pédagogique en quatre points successifs, Jean-Pierre Kucheida développe un programme ambitieux pour le Bassin minier. Il a le mérite d'évoquer tous les points sans complaisance, en ne cachant pas les faiblesses structurelles de cette région, qu'il convient de surmonter par une action volontariste.

Le premier élément mis en avant par le maire de Liévin est l'exploitation charbonnière. Selon lui, il faut "continuer à exploiter tant que cela est techniquement et humainement possible le charbon de notre bassin minier". On perçoit dans cette déclaration l'attachement à la politique de ralentissement du déclin charbonnier mise en œuvre par le gouvernement Mauroy depuis 1981, en rupture avec la dynamique de déclin rapide annoncée par le plan Jeanneney de 1960. En même temps, les précautions de langage utilisées montrent clairement que cette activité ne peut être qu'une base résiduelle, vouée à un déclin inéluctable, et qu'il faut dépasser.

La deuxième activité évoquée est logiquement celle des activités chimiques dans la mesure où elles constituent une diversification vers l'aval naturelle. Il évoque notamment l'usine de Mazingarbe, ouverte dès la fin du XIXe. Elle est utilisée notamment pour la production d'engrais, et même pendant quelques années pour réaliser de l'eau lourde destinée au programme nucléaire français. Les Charbonnages de France (CdF), l'entreprise-mère des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais, multiplient les filiales dans ce secteur, souvent en association avec d'autres entreprises du secteur comme Kuhlmann, l'Air Liquide ou des compagnies pétrolières.

Le maire de Liévin évoque ensuite les activités créées par la politique de reconversion de l'État, notamment les nombreuses usines automobiles. Il est vrai que les diverses incitations de l'État, des CdF et des collectivités locales ont poussé de nombreuses entreprises automobiles à s'installer dans le bassin minier, ou en lisière de celui-ci, entre 1969 et 1972 : Renault à Douai, la Française de mécanique (issue d'un partenariat entre Peugeot et Renault) à Douvrin (entre Lens et Béthune), la Société des transmissions automatiques à Ruitz (près de Béthune) et Simca (à l'époque possédé par Chrysler) à Hordain (entre Valenciennes et Douai). Par la suite viendront s'ajouter deux sites proches de Valenciennes, l'usine Peugeot Sevelnord en 1993, et l'usine Toyota en 1998. Jean-Pierre Kucheida estime toutefois que les effets d'entraînement de ces installations industrielles sur le tissu entrepreneurial local ont été insuffisants. Il est vrai que ces usines automobiles s'intègrent en fait dans des réseaux de sous-traitants nationaux et européens, et ne sollicitent pas forcément des fournisseurs locaux.

Enfin, le maire de Liévin aborde dans une dernière partie les faiblesses structurelles de la région qu'il faut dépasser, une formation insuffisante et une image de marque dégradée. Il attribue ces défauts à la "tradition", en l'occurrence celle de l'activité minière qui dissuadait d'un investissement dans l'école dans la mesure où l'exploitation charbonnière offrait des débouchés nombreux, et avec des avantages économiques et sociaux certains. Le niveau de formation de la population du bassin minier reste donc inférieur à la moyenne nationale. La préoccupation de "l'image" est importante car elle témoigne d'une prise de conscience qui débouchera ensuite sur des opérations spectaculaires d'amélioration de l'image de marque de la région comme le classement du Bassin minier par l'Unesco ou l'ouverture du Louvre-Lens, toutes deux réalisées en 2012. Jean-Pierre Kucheida souligne en effet que, si la qualité de vie est bonne dans la région, son image de marque est dégradée. L'enjeu est tout autant culturel qu'économique et social car le dynamisme d'un espace donné dépend aussi de son appropriation par sa population. Le maire de Liévin évoque ainsi le problème de la reconversion dans toute sa complexité, à travers ses dimensions économiques mais aussi socio-culturelles.

Laurent Warlouzet

Transcription

Jean Pierre Kucheida
Ces priorités sont simples, d’abord nous disons qu’il faut maintenir tout ce qui existe. Il faut continuer à exploiter tant que cela est techniquement et humainement possible le charbon de notre Bassin minier. Les 23 000 emplois qui existent encore dans cette région doivent être maintenus le plus longtemps possible. Deuxièmement, au charbon dans la région est liée la chimie. Nous avons un certain nombre de plates-formes, celle de Mazingarbe, celle de Drocourt, l’usine de Socanor, par exemple à Liévin. Tout cela doit être maintenu, défendu, conforté avec les moyens nécessaires. Troisièmement, à travers la conversion, un certain nombre d’usines automobiles se sont installées dans le Bassin minier. Ces usines automobiles sont intéressantes sans nul doute. Elles ont créé plusieurs milliers d’emplois. Mais ce qu’il faudrait également aujourd’hui, c’est développer tous les emplois induits qui tournent autour de ces usines ; parce qu’ils n’existent qu’à 5 % simplement de leur capacité. Cela permettrait donc de créer de très nombreux autres emplois dans le secteur. Alors à côté de cela, si vous voulez, il y a naturellement l’avenir du Bassin minier. De quelle manière concevons-nous cet avenir du Bassin minier ? Et bien d’abord en assurant à l’ensemble de cette population victime d’un siècle d’habitude, d’un siècle de tradition, de ce qu’on appelle un peu la chape de plomb. Il faut leur assurer une formation la plus élevée possible, parce qu’à ce niveau nous avons beaucoup à faire. Les gens qui habitent dans cette région minière ne peuvent plus continuer à vivre comme à la fin du XIXème siècle. Il faut qu’on continue de reconquérir les terris pour que l’on ait plus cette image de marque bien triste qu’on a au-delà de nos frontières. On oublie d’ailleurs trop souvent, au-delà de cette image de marque, la qualité de vie, la qualité humaine qui peut exister dans ce Bassin minier. Mais cela, nous l’avons, mais au-delà, il faut également préserver, en quelque sorte, la forme.