Rétrospective de la crise dans les charbonnages
Notice
Rétrospective à base d'archives de la crise dans les charbonnages depuis les manifestations des mineurs à l'occasion des premières fermetures des puits de mines en 1962, aux annonces du gouvernement en 1983 de la fermeture inéluctable. Fin 1983, les mineurs manifestent et le communiste Georges Valbon démissionne de la présidence des Charbonnages de France. Les communistes émettent des réserves et aux Charbonnages les décisions sont repoussées. Côté gouvernement, le 10 janvier 1984, Jean Auroux affirme qu'il y aura des négociations et des solutions sociales. Le 13, les syndicats estiment que la négociation n'a pas commencé et le 20 Antonin Dufresne (CGT) et Jean Marie Spaeth (CFDT) lancent un appel à la mobilisation. Noël Josèphe, président de la région Nord-Pas-de-Calais, demande à voir le coût des suppressions d'emplois dans les mines.
Éclairage
Cette rétrospective intervient à un moment, l'année 1984, où le sort du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est définitivement scellé. Elle met l'accent sur le déclin régulier de l'activité charbonnière et les problèmes financiers, économiques et sociaux qu'il entraîne.
Elle commence par l'évocation des grèves des mineurs en 1962-1963. La raison structurelle du conflit est le plan Jeanneney de 1960 qui prévoit un déclin massif et rapide de l'exploitation charbonnière dans le pays du fait de l'utilisation croissante de pétrole, et du coût de revient trop élevé du charbon français par rapport à la houille importée. Même les chocs pétroliers successifs de 1973 et de 1979 ne remettent pas en cause ce problème fondamental. Il est d'ailleurs plus aigu dans le Nord-Pas-de-Calais, où les veines sont plus difficilement exploitables, qu'en Lorraine où le rendement est supérieur. Cet argument central du coût de revient n'a pas été développé dans ce reportage, qui se concentre plutôt sur les luttes sociales et l'histoire politique récente, depuis l'alternance socialiste de 1981.
Ce sont les évolutions successives de la politique du gouvernement de Pierre Mauroy qui retiennent en effet l'attention du reportage. A la fin de 1981, le Premier ministre annonce une relance de l'exploitation charbonnière, avec la remise en cause des fermetures envisagées, la relance de la prospection et l'embauche de 10 000 mineurs. Ces décisions s'insèrent dans une volonté plus générale de relancer l'économie française face à un chômage qui atteint bientôt 8% de la population active à cette date. L'essor du charbon doit s'associer aux mesures sociales (cinquième semaine de congés payés, 39 heures, lois Auroux promulguées peu après, en 1982) et aux nationalisations en cours.
Mais les résultats économiques ne sont pas au rendez-vous car le chômage continue de progresser. Surtout, les équilibres financiers sont menacés : les nationalisations ont coûté cher et il a fallu ensuite soutenir financièrement les groupes publics par des dotations en capital (35 milliards de francs entre 1982 et 1984) et des prêts multiples. Il s'agissait alors de restructurer les entreprises pour améliorer leur compétitivité mais aussi de combler les pertes structurelles abyssales d'activités comme la sidérurgie ou les charbonnages. Devant la perspective de difficulté à trouver des capitaux pour financer les déficits français, le gouvernement Mauroy adopte le tournant de la "rigueur" en mars 1983. Dans les charbonnages, ce virage se manifeste dans le discours de François Mitterrand du 27 avril 1983, dont un extrait est présenté ici. Le président français explique clairement qu'il faudra étudier la répartition des crédits entre le soutien à l'activité charbonnière et le soutien aux autres activités industrielles car "les mêmes crédits ne peuvent être dépensés deux fois". Dit autrement, il s'agit de savoir s'il est plus rentable d'investir la même somme pour soutenir l'activité charbonnière, ou pour aider au développement d'autres secteurs économiques.
C'est le même dilemme que présente Noël Josèphe, le président de la région Nord-Pas-de-Calais, mais dans des termes différents : faut-il mieux subventionner l'activité d'un mineur ou payer un chômeur ? L'intervention du président de région dans le débat témoigne de l'émergence d'un nouveau type d'acteur : les collectivités locales dont les pouvoirs ont été considérablement accrus depuis la loi de décentralisation de 1982. Noël Josèphe est particulièrement sensible à ce problème car de nombreuses industries régionales sont en difficulté à cette époque. La Normed, le chantier naval de Dunkerque, ne survit que par des "aides au sauvetage" mensuelles depuis la fin de 1983. Des symboles de l'industrie textile locale ferment, à l'image de la monumentale usine Motte-Bossut de Roubaix en 1981 réhabilité aujourd'hui en centre des archives du monde du travail.
Le coût social du déclin des charbonnages est en effet élevé. Depuis le lancement du plan Jeanneney en 1960, le gouvernement et ses relais locaux comptent sur la formation pour faciliter l'embauche de mineurs, et plus généralement d'habitants du bassin minier, mais c'est une œuvre de longue haleine. Cela explique les multiples manifestations de mineurs à la fin de 1983, et l'hostilité des communistes, alors alliés aux socialistes au sein du gouvernement. Georges Valbon, le président communiste des Charbonnages de France, démissionne ainsi en novembre 1983.
Les mots d'ordre restent les mêmes depuis les années 1960 : le maintien du charbon français au nom d'un argument politique, l'indépendance énergétique. L'approche financière est refusée au profit d'un débat sur la "vérité des prix" , une revendication déjà proposée depuis longtemps car le coût de revient excessif du charbon français est contesté. Il est vrai qu'à l'époque, la plupart des prix français ne sont pas libres mais contrôlés par le gouvernement. Une suspicion pèse alors sur le charbon, dont le prix artificiellement bas serait en fait une subvention aux industries consommatrices, qui sont alors principalement des groupes nationalisés. Le retour à la liberté des prix en 1986 confirmera finalement le coût excessif du charbon français.
Finalement, c'est Jean Auroux, le dynamique ministre du travail qui a le dernier mot en insistant sur l'accompagnement social de la régression charbonnière. Le mineur reste protégé par son statut. Les licenciements seront évités et des solutions de reconversion seront proposées. Ainsi, le couple formée par le déclin charbonnier et la reconversion économique et sociale continue de s'imposer.