La dernière remontée du puits de l'Escarpelle

25 octobre 1990
02m 29s
Réf. 00201

Notice

Résumé :

Reportage sur la dernière remontée du puits 9 de l'Escarpelle où des mineurs casqués aux visages noircis donnent leurs impressions pour ce dernier jour de travail. Ils sont à la fois tristes et inquiets quant à leurs reconversions, leurs retraites et à la silicose.

Date de diffusion :
25 octobre 1990
Source :

Éclairage

Alors que la mine de l'Escarpelle, située à Roost-Warendin, aurait dû être la dernière à fermer dans le Bassin minier en 1991, l'exploitation est finalement interrompue dès le mois d'octobre 1990, quelques mois avant le 10 d' Oignies. La fosse 9 de l'Escarpelle est donc la dernière à fermer dans le département du Nord.

La régression charbonnière est une dynamique ancienne. Elle est liée au prix de revient élevé des charbons extraits dans la région. Le plan Jeanneney de 1960, puis le plan Bettencourt de 1968 officialisent le déclin de l'exploitation. Le maximum de production après-guerre de 29 millions de tonnes atteint à la fin des années cinquante est divisé par trois en 1974, avec 9 millions de tonnes. Les Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais voient en parallèle leurs effectifs chuter de 220 000 en 1947 à 62 000 en 1972. A cette époque, il était même envisagé initialement de fermer les puits en 1983. Les courtes relances de l'après crise pétrolière et celle tentée par le gouvernement Mauroy pendant un peu plus d'une année ont repoussé l'échéance de sept années. C'est la fin d'une exploitation commencée au début du XVIIIe siècle, depuis la découverte de charbon à Fresnes-sur-Escaut en 1720. Les bassins de Lorraine et de Gardanne, plus rentables, restent en activité jusqu'au début du XXIe siècle. Le dernier puits de charbon exploité en France a fermé en Lorraine en avril 2004.

Si la fin de l'exploitation charbonnière dans le Nord-Pas-de-Calais est programmée depuis longtemps, à l'Escarpelle les syndicats s'étaient battus pour son raval en 1984, elle n'empêche pas le sentiment de tristesse des mineurs interrogés. Sur le plan social, les mineurs démobilisés bénéficient de deux mesures. Ceux qui atteignent 45 ans peuvent prendre le congé charbonnier de fin de carrière (CCFC) de cinq ans qui permet d'assurer une transition avec la préretraite assurée à 50 ans, sous réserve d'un certain nombre d'années passées au fond. Ils continuent à bénéficier des avantages en nature comme le logement gratuit. La retraite anticipée s'explique notamment par le vieillissement prématuré lié à l'extraction minière. Aux problèmes articulaires et musculaires s'ajoute la silicose, en particulier depuis le développement des marteaux-piqueurs. L'un des mineurs interrogé est d'ailleurs déjà touché par cette maladie grave. Les mineurs ne pouvant partir en retraite bénéficient de mesures de reconversion : une formation professionnelle doit les aider à retrouver un emploi. Ces mesures existent depuis la fin des années cinquante. Dès 1959, certaines zones de l'ouest du bassin minier ont touché des aides pour faciliter leur reconversion. La reconversion des mineurs, et plus généralement de la population active du bassin minier, est donc une politique de longue haleine, menée depuis trente ans à la date de l'émission. Ces mesures ont déjà bénéficié à de nombreux mineurs, partis travailler dans d'autres secteurs d'activités ou d'autres entreprises publiques comme Renault ou EDF. Les mineurs de fond sont toutefois plus difficiles à embaucher du fait des maladies professionnelles qu'ils sont susceptibles de développer. Enfin, la situation est plus difficile pour ceux qui ont souhaité rester à la mine jusqu'à la fin car le chômage a atteint 10% de la population active en 1985, et bien plus dans le Bassin.

Laurent Warlouzet

Transcription

Barre, Michel
Il était midi et demi, ils sont montés de la taille zéro au Bloc 1 à l’étage 540. Au niveau supérieur de la cage au-dessus d’eux, il y avait la dernière berline remplie du charbon du nord, une fermeture qui semble ne plus en finir.
Intervenant 1
Ben, on peut dire que nous avons même une petite pointe d’émotion, étant donné que c’est toute une époque qui va s’éteindre avec cette dernière gaillette.
Intervenant 2
Ce n’est plus le même travail.
Barre, Michel
En quoi ça consiste ces derniers jours de travail, ces derniers postes ?
Intervenant 2
Bien, ça consiste à, je ne sais pas moi, comment je vous dirais ça quoi, c’est vraiment la fin de la mine, quoi.
Witold Olczyk
Que c’est toujours triste quand on pense que c’est demain le dernier poste. Bon, ce ne sera pas tout à fait le dernier poste, mais disons que l’exploitation s’arrête effectivement aujourd’hui. Très triste, tout le monde est triste tous les mineurs.
Intervenant 3
Pas beaucoup, un petit peu, pas beaucoup mais je travaillais quand même.
Witold Olczyk
On travaillait mais ce n’était pas le même que d’habitude, on se parlait moins. Et d’habitude on se parle, on rit ensemble tandis qu’aujourd’hui, c’est très sérieux.
Intervenant 2
En tout, j’ai 29 ans de service.
Barre, Michel
Vous avez fait plusieurs postes ?
Intervenant 2
Oui, ça fait le troisième poste, j’ai fait Bomel, Barrois et puis la Fosse 9 ici.
Barre, Michel
Donc ce n’est pas la première que vous voyez fermée ?
Intervenant 2
Non.
Barre, Michel
Ils sont encore 120 à l’effectif du fond, les plus jeunes ont tous été reconvertis, et eux arrivent aux limites d’âge prévues par le plan social.
Intervenant 1
Pour moi, je vais en retraite anticipée. Nos collègues, certains seront soit en conversion, ou en CCFC.
Intervenant 2
Ben, pour nous, c'est rien, parce que c’est-à-dire que nous, on ne sera pas sonné, c’est plutôt pour les jeunes qui sont partis. Pour le boulot qu’ils vont avoir, je ne sais pas qu’est-ce qu’ils vont avoir comme boulot maintenant
Intervenant 4
Je vais à la retraite, arrivé à 50 ans, 50 oui.
Barre, Michel
Vous restez ici ?
Intervenant 4
On va voir oui, maintenant oui, on va voir les enfants s’ils veulent y aller, on va voir. S’ils ne veulent pas, on va rester.
Witold Olczyk
Je vais encore rester un peu pour démanteler complètement le fond. Et ensuite, c’est suivant les propositions que j’aurais, et puis si ma santé me permet d’exercer certains métiers.
Barre, Michel
Pourquoi, vous avez déjà des problèmes de santé ?
Witold Olczyk
Oui, question de silicose.