Galibots dans les années 20

01 janvier 1920
04m
Réf. 00385

Notice

Résumé :

Extrait des Mémoires de la mine dans lequel Jean Baptiste Ooghe évoque ses débuts comme galibot au 6 de Bruay à Haillicourt dans les années 1920.

Type de média :
Date de diffusion :
25 novembre 1981
Date d'événement :
01 janvier 1920
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Le galibot est le nom donné au XIXe siècle aux enfants travaillant dans les mines du Nord Pas-de Calais. En effet, au début de l'exploitation, comme dans de nombreuses industries naissantes, on emploie au fonds des enfants, filles ou garçons, dès 8 ans. Le travail est rude et dangereux.

A partir de 1813 on prend des mesures de protection des enfants et aussi des femmes :

- En 1813 : interdiction au fond des enfants de moins de 10 ans , en 1841, on limite le temps de travail des enfants de 8 à 10 ans à 8 heures par jour

- en 1874 : interdiction au fond des enfants de moins de 12 ans et des femmes.

- en 1892 : interdiction au fond des enfants de 13 ans révolus, sauf pour ceux qui ont le certificat d'étude

Ceux qui ne fréquentaient plus l'école pouvaient se faire embaucher à la mine dès l'âge de 12 ans mais uniquement aux travaux du jour. Ces emplois au jour, plus faciles physiquement que ceux du fond, permettaient une accoutumance au monde du travail et également à celui de la mine. Les jeunes garçons étaient affectés en général au triage où ils se trouvaient au contact des femmes qui y travaillaient. Ce travail de tri du charbon n'était cependant pas de tout repos car il s'effectuait dans le bruit et la poussière, à mains nues et à des cadences de travail inappropriées pour de jeunes garçons. La faible paye qui rétribuait ce travail était nécessaire à la famille pour l'amélioration de son quotidien.

Après 1918, les compagnies minières toutes puissantes possédaient les maisons de nombreux mineurs. Les occupants de ces maisons étaient répertoriés et les besoins en main d'œuvre de l'époque (nous sortions d'une guerre qui avait décimé les hommes aptes au travail du fond ) étaient tels que les garçons de 14 ans vivant dans la maison de leur père mineur étaient recrutés d'office pour le travail à la mine. En cas de refus, celui-ci devait quitter la maison ou s'acquitter d'un loyer. Ce sont ces mêmes besoins de main d'œuvre qui expliquent que le jeune Jean Baptiste Ooghe qui n'avait pas l'âge requis, ait pu s'embaucher en 1919 sans qu'il ait à présenter de pièce d'identité.

Le jour de ses 14 ans, pour respecter la législation, la compagnie minière affectait le galibot aux travaux du fond. L'accoutumance dans ce milieu hostile du fond et l'apprentissage commençait avec l'accompagnement d'un vieux mineur devenu inapte aux travaux d'abattage ou de creusement qui était affecté en général aux travaux d'entretien des bowettes (galeries principales) et des galeries secondaires alors toutes équipées de soutènements en bois. Ce mineur était nommé le "raccommodeur". Le galibot était chargé d'amener les bois stockés à un endroit jusqu'au lieu de travail. Cette tâche qualifiée de légère par l'exploitant était cependant pénible pour un gamin de 14 ans qui effectuait de nombreux allers et retours pour approvisionner le raccommodeur. Parmi les autres tâches (1) il y a celle du porteur de feu (les lampes à huile) dont parle dans ce document JB Ooghe et qui était destinée aux enfants dès le XIXe siècle.

Dès que sa force physique se développait, le galibot devenait rouleur de berlines, le travail consistait à amener les berlines pleines du chantier d'abattage vers les voies de circulation où elles étaient attelées à d'autres pour constituer un convoi et être emmenées vers le puits d'extraction tractées par un cheval, et de ramener les berlines vides vers les points de chargement.

En grandissant , le galibot pouvait devenir meneur de chevaux , mais très vite, dès que ses forces physiques lui permettaient , il était dirigé vers les chantiers d'abattage ou de creusement qui étaient les mieux rémunérés il entrait ainsi dans l'âge adulte en devenant mineur de creusement.

Cette situation ne changera pas jusqu'à la Libération et les nationalisations.

Le 14 juin 1946, un décret interdit le travail des enfants de moins de 14 ans et les HBNPC (Houillères du Bassin du Nord-Pas-de-Calais) mettent en place une véritable formation professionnelle avec la création d'un CAP de mineur.

La formation d'apprentissage dure quatre ans. Dans les centres de formation les jeunes apprennent par alternance (une semaine au fond avec des mineurs expérimentés / une semaine en cours d'instruction générale et de technique minière). On créé des "mines-images" permettant d'apprendre les techniques sans descendre au fond. Enfin, en 1959 , la scolarité obligatoire est portée à 16 ans. On met en place des cours de perfectionnement en formation continue permettent aux jeunes mineurs qui le souhaitent de devenir des ouvriers qualifiés.

(1) Ces différentes tâches ont été listées par la Compagnie de mines de Béthune en 1932 dans Tableaux statistiques de l''emploi des enfants dans les mines et les accidents impliquant des enfants 1931-1932 consultable aux Archives du monde du travail, document scanné consultable sur internet.

Jean-Marie Minot

Transcription

Jandrowiak
Et ici on a vu des gosses de 12 ans, 13 ans.
Mme Jandrowiak
Et ça on n’a pas vu dans l’Allemagne hein.
Jean-Baptiste Ooghe
On m’a dit, "dis donc ’tiot", on cause en patois, là, "dis donc ’tiot, qu’est-ce que tu viens faire ici? Ben j’ai dit, Monsieur, je viens m’embaucher. Ben, tiens, il y a le chef porion qui est là. Le chef porion, tenez-vous bien, j’ai encore le nom dans ma tête : il s’appellait Pierrot, au 6 de Bruay. Alors, il me regarde et me dit, "qu’est-ce tu viens ici faire ?" Ben, je dis, Monsieur, je viens m’embaucher. "T’embaucher, quel âge que t'as ?" Ben Monsieur, j’ai 14 ans. Mais c'’était faux. "Et tes papiers ?" Ben vous savez, Monsieur, on revient des pays envahis nous hein, on a tout perdu. Alors, on n’a plus de papier, on n' a plus rien alors voyez-vous ! "Oh, pauv’tiot va !" Vous voyez comme ils étaient compatissants les gens à l’époque hein. Ecoute, je vais te faire un billet. Et puis, tu vas aller trouver le médecin, tu vas aller passer une visite et si c'est bon tu viens m'retrouver tout d'suite Et puis, ça aurait été même un infirme, il l’aurait pris à l’époque, hein! Alors, je suis parti passer la visite, [inaudible] et bon pour le service. Je suis retourné retrouver le porion. Ben, il me dit, tu commenceras demain ! Ben alors, je suis rentré à la maison et puis, j’ai expliqué la situation à ma mère. "Ah c’est pas possible, tu n’as pas fait ça !" Mais si 'man ! "Pourquoi ?" Mais si, pourquoi pas. Alors la mère est allée avec l’oncle me chercher des effets de mineur. Puis le lendemain, je suis parti avec l’oncle qui travaillait à la même fosse que moi au 6 de Bruay. Mais je vous garantis qu’il y avait une trotte hein ! Je vais vous situer l’endroit si un jour vous pouvez être de passage, vous verrez , on habitait Place Marmottan à Bruay-en-Artois, et on allait travailler au 6 de Bruay qui se trouvait à Haillicourt, on avait presque une heure de chemin, enfin bref ! Alors le lendemain, je suis parti avec l’oncle travailler à la mine avec mes petits habits de mineur. J'avais jamais monté dans une cage, je ne savais pas ce que c’était. Je vois l’oncle qui monte dans la cage qui s’appuie contre la paroi. On sonne un coup, deux coups, allez papiot ! Ça vous plonge comme un caillou, je ne sais plus combien de mètres à la seconde, enfin c'est formidable, mais j’ai eu l’impression que j’avais les intestins qui me remontaient dans la bouche. Oh, j’avais eu une peur bleue, qu’est-ce qui m’arrive ? Alors que je voyais tous les gens, tous les hommes à côté ne pas bouger. Et le lendemain, j’avais peur de descendre. Alors bon, on m’a mis comme heu.., à l’époque on avait des lampes, c’était des lampes à benzine, pour le moindre mouvement, ça se soufflait, il fallait changer de lampe. On m’a mis porteur de feu, qu’on appelait à l’époque. Comme galibot ben, on avait affaire à des poilus qui avaient fait la guerre de 14. Ils étaient durs pour eux-mêmes et ils étaient durs encore, plus durs pour les gosses, et ça je me le suis toujours demandé, je ne leur en veux pas les gars parce ce qu’ils ont trop souffert en 14. Mais pourquoi avoir tant lutté, tant combattu sur les fronts aussi bien à Lorette que partout, partout ailleurs, et qu’ils se disaient : "Bon ça sera la dernière des der", et puis quand ils sont revenus, avoir été aussi durs...