Conditions d'exploitation dans les années 80

09 décembre 1981
04m 34s
Réf. 00386

Notice

Résumé :

Cet extrait des "Mémoires de la mine" montre que les conditions d'exploitation minière dans les années 80 ont évoluées. Michel Doligez, ingénieur et chef de siège, explique sur des images tournées au fond, que les veines sont de faible ouverture et le charbon est de moins en moins accessible à plus de 1 000 mètres de profondeur rendant la mécanisation inefficace.

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Date de diffusion :
09 décembre 1981
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Éclairage

Un mineur rampe dans une semi-obscurité et se fraye son chemin avec agilité dans un espace encombré et oppressant. Nous sommes dans une galerie du fond, mais ce ne sont pas des éboulis ni des bois de mine, qu'il contourne ainsi, ce sont de puissants étançons métalliques. En réalité, dans cette mine des années 1980, il n'y a plus de boiseurs pour assurer la sécurité des galeries, mais un soutènement marchant, énorme carapace de métal qui progresse avec le front de taille ; plus de galibots qui poussent des berlines, mais un convoyeur à bandes fixé au soutènement dans lequel tombent les produits à évacuer ; et surtout plus d'hommes au pic ou au marteau-piqueur pour donner son rythme à l'ensemble : l'abatteur, roi de la mine autrefois, a disparu de la mine moderne – une autre mine, que l'ampleur de la mécanisation a transformée en un gigantesque chantier de travaux publics avec régulation de la circulation : la mine moderne, c'est beaucoup de génie civil, ce sont aussi des électriciens et des mécaniciens.

Pourtant ce mineur se déplace dans un milieu toujours aussi difficile. Il lui a fallu descendre de plus en plus profond, faire une demi-heure de trajet ou plus désormais pour gagner le front de taille – dans de petits trains pas si confortables, puis poursuivre au milieu des eaux suintantes, sur un sol accidenté, avec, toujours, le secours de la lampe frontale. L'accident le guette encore, surtout la plaie et l'écrasement d'un membre. La mine reste dangereuse, elle reste un milieu de travail très pénible. Pour faire avancer le soutènement, il lui faudra déplacer les lourds étançons, souvent pris dans le foudroyage – l'effondrement, à l'arrière, du toit de la partie déhouillée – et les replacer. On n'est pas ici à Gardanne où la régularité de la couche, permet d'utiliser des vérins qui, en quelque sorte, font d'eux-mêmes un pas en avant. Dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, la mécanisation se passe moins facilement – le mineur que nous voyons à l'écran l'écrit sur un étançon : la taille fait 1m30 de hauteur, une moyenne pour le bassin, une torture pour le corps de l'homme, une contrainte très grande pour le matériel. Mais le bassin, avec son grisou, sa géologie tourmentée, est-il vraiment si mal loti en Europe occidentale, comme on nous le dit ici ? Au milieu des années 1980, peut-être car la comparaison se fait alors avec des bassins où les veines sont plus épaisses, plus régulières surtout, que ce soit en Lorraine, dans le nord du Yorkshire, dans la Ruhr. C'est que les autres, trop difficiles à exploiter, ont déjà fermé : les très difficiles mines du sud de la France, les puits archaïques de Wallonie où l'on a exploité des veines de 40 centimètres, nombre de petits bassins anglais.

Quittons le plan technique : la mécanisation a aussi constitué une révolution pour les hommes. De moins en moins industrie de main d'œuvre, la mine a nécessité de plus en plus d'investissement en capital. La mécanisation constitue un deuxième choc culturel, après celui, si brutal, du passage au marteau-piqueur. Peut-être la mutation a-t-elle été moins rude en ce qu'elle n'a pas entraîné la même détérioration des conditions de travail et du statut pour l'ouvrier. La mécanisation du fond s'accompagne de formation et de spécialisation. Pourtant, perce dans ce témoignage une nostalgie. La génération des années 1930, avait mal vécu la première révolution du matériel, qui lui avait enlevé beaucoup d'autonomie dans le travail ; la génération suivante s'y est habituée : maintenant c'est de l'équipe de piqueurs sur une taille en longwall qu'elle évoque avec une certaine nostalgie – et en termes sportifs avec ce que cela suppose d'esprit de compétition mais aussi de camaraderie, de goût de l'effort au travail. Leçon d'optimisme aussi, sur la permanence des valeurs d'un monde soudé par le travail.

Joël Michel

Transcription

(Bruit)
Michel Doligez
Chez nous dans le Nord-Pas-de-Calais, nos veines sont relativement distantes les unes des autres et de faible ouverture. D’autre part, étant donné que nos anciens ont commencé par aller chercher du charbon là où il était le plus accessible, c’est-à-dire le plus près de la surface, petit à petit nous nous sommes approfondis. Si bien qu’actuellement, nous nous trouvons dans un gisement qui est profond, dans le siège où je suis nous sommes à plus de 1000 mètres donc profond. Deuxièmement dans un gisement qui est peu dense et la troisième chose, c’est que le gisement du Pas-de-Calais a été, après sa formation, complètement chamboulé par les contrecoups du glissement hercynien. Si bien que les couches se sont plissées, se sont fracturées et malheureusement les terrains également se sont fracturés. Donc, nous nous trouvons dans un cas, j’allais dire, assez particulier actuellement au niveau de l’Europe occidentale d’un gisement très difficile à exploiter.
(Silence)
Michel Doligez
Comme tous les autres pays, nous sommes mécanisés bien sûr, je pense qu’il est maintenant inconcevable de retourner à l’exploitation au marteau piqueur mais cette mécanisation qui ne marche que dans des gisements justement assez réguliers est souvent, très souvent, mise en défaut chez nous.
(Silence)
Michel Doligez
Donc, la mine, c’est quelque chose d’extrêmement difficile à appréhender finalement. Premièrement parce que c’est très étendu, deuxièmement c’est très mouvant les chantiers changent tous les jours, les conditions naturelles changent tous les jours. Pour aller voir quelque chose, il faut se déplacer et c’est souvent assez pénible, même des fois, parfois très pénible. Ce qu’on a bien repéré, ce qu’on a cru bien repérer, bien concevoir à un moment donné, malheureusement donc, est remis en question par des événements les jours suivants. Si bien qu’il est très, très difficile d’appréhender, je crois, la globalité d’un siège. Et même pour un ouvrier, je pense sincèrement, il est impossible d’appréhender la globalité de son chantier. Si bien que le mineur est un homme qui vit dans une, j’allais dire, pas dans l'immédiat, enfin quand même, qui a tellement de difficultés pour faire son travail et réaliser ce qu’il doit faire qu' il se polarise, si je puis dire, sur le travail, sur la réalisation à faire dans son temps de travail dans son poste, et au niveau de son équipe.
(Silence)
Michel Doligez
Avant cette mécanisation à outrance qu’on connaît actuellement, il y avait beaucoup de travail à la main, au marteau piqueur et les gens formaient une équipe. Cet esprit donc d’équipe, pour moi, c’est une compétition sportive. Et j’ai connu précédemment, donc il y a une quinzaine ou une vingtaine d’années, des chantiers où les gens avaient un travail bien déterminé à faire, qu’ils avaient terminé et le jour où ça allait bien donc ils avaient terminé avant l’heure et puis un beau jour, il y a une équipe qui avait dit : Ben nous, on veut commencer le travail du poste qui va nous suivre. Un petit peu par, ben d’accord, il y avait une rémunération supérieure, il y a toujours cette, l’attrait du gain qui était plus grand, mais je crois aussi par esprit sportif, pour prouver que leur équipe faisait plus que l’équipe précédente. Et si bien que de décalage en décalage, il y a eu certains chantiers qui ont couru vers des records parce que l’équipe suivante dit : Tiens, ils ont fait ça, on va encore faire plus ! Vous voyez, il y a cet esprit de compétition sportive qui explique peut-être le fait que le public de Lens est un bon public au point de vue foot. C’est un petit peu pareil à Saint-Étienne, je crois que c'est pareil en Pays de Galles, pour le rugby, ça vient peut-être de cette condition de la mine, de la lutte contre la nature que les gens faisaient.