Conditions d'exploitation dans les années 80
Notice
Cet extrait des "Mémoires de la mine" montre que les conditions d'exploitation minière dans les années 80 ont évoluées. Michel Doligez, ingénieur et chef de siège, explique sur des images tournées au fond, que les veines sont de faible ouverture et le charbon est de moins en moins accessible à plus de 1 000 mètres de profondeur rendant la mécanisation inefficace.
Éclairage
Un mineur rampe dans une semi-obscurité et se fraye son chemin avec agilité dans un espace encombré et oppressant. Nous sommes dans une galerie du fond, mais ce ne sont pas des éboulis ni des bois de mine, qu'il contourne ainsi, ce sont de puissants étançons métalliques. En réalité, dans cette mine des années 1980, il n'y a plus de boiseurs pour assurer la sécurité des galeries, mais un soutènement marchant, énorme carapace de métal qui progresse avec le front de taille ; plus de galibots qui poussent des berlines, mais un convoyeur à bandes fixé au soutènement dans lequel tombent les produits à évacuer ; et surtout plus d'hommes au pic ou au marteau-piqueur pour donner son rythme à l'ensemble : l'abatteur, roi de la mine autrefois, a disparu de la mine moderne – une autre mine, que l'ampleur de la mécanisation a transformée en un gigantesque chantier de travaux publics avec régulation de la circulation : la mine moderne, c'est beaucoup de génie civil, ce sont aussi des électriciens et des mécaniciens.
Pourtant ce mineur se déplace dans un milieu toujours aussi difficile. Il lui a fallu descendre de plus en plus profond, faire une demi-heure de trajet ou plus désormais pour gagner le front de taille – dans de petits trains pas si confortables, puis poursuivre au milieu des eaux suintantes, sur un sol accidenté, avec, toujours, le secours de la lampe frontale. L'accident le guette encore, surtout la plaie et l'écrasement d'un membre. La mine reste dangereuse, elle reste un milieu de travail très pénible. Pour faire avancer le soutènement, il lui faudra déplacer les lourds étançons, souvent pris dans le foudroyage – l'effondrement, à l'arrière, du toit de la partie déhouillée – et les replacer. On n'est pas ici à Gardanne où la régularité de la couche, permet d'utiliser des vérins qui, en quelque sorte, font d'eux-mêmes un pas en avant. Dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, la mécanisation se passe moins facilement – le mineur que nous voyons à l'écran l'écrit sur un étançon : la taille fait 1m30 de hauteur, une moyenne pour le bassin, une torture pour le corps de l'homme, une contrainte très grande pour le matériel. Mais le bassin, avec son grisou, sa géologie tourmentée, est-il vraiment si mal loti en Europe occidentale, comme on nous le dit ici ? Au milieu des années 1980, peut-être car la comparaison se fait alors avec des bassins où les veines sont plus épaisses, plus régulières surtout, que ce soit en Lorraine, dans le nord du Yorkshire, dans la Ruhr. C'est que les autres, trop difficiles à exploiter, ont déjà fermé : les très difficiles mines du sud de la France, les puits archaïques de Wallonie où l'on a exploité des veines de 40 centimètres, nombre de petits bassins anglais.
Quittons le plan technique : la mécanisation a aussi constitué une révolution pour les hommes. De moins en moins industrie de main d'œuvre, la mine a nécessité de plus en plus d'investissement en capital. La mécanisation constitue un deuxième choc culturel, après celui, si brutal, du passage au marteau-piqueur. Peut-être la mutation a-t-elle été moins rude en ce qu'elle n'a pas entraîné la même détérioration des conditions de travail et du statut pour l'ouvrier. La mécanisation du fond s'accompagne de formation et de spécialisation. Pourtant, perce dans ce témoignage une nostalgie. La génération des années 1930, avait mal vécu la première révolution du matériel, qui lui avait enlevé beaucoup d'autonomie dans le travail ; la génération suivante s'y est habituée : maintenant c'est de l'équipe de piqueurs sur une taille en longwall qu'elle évoque avec une certaine nostalgie – et en termes sportifs avec ce que cela suppose d'esprit de compétition mais aussi de camaraderie, de goût de l'effort au travail. Leçon d'optimisme aussi, sur la permanence des valeurs d'un monde soudé par le travail.