Le bénéfice de la gratuité du logement est remise en cause à des retraités marocains
Notice
Une centaine de mineurs retraités, d'origine marocaine pour la plupart, se voient privés de la gratuité de leur logement, un droit acquis de longue date mais aujourd'hui remis en cause par l'organisme de gestion des retraites. Ils parlent d'abandon et de trahison. Témoignages d'Hassan Mourabit, 14 ans de mines qui touche une petite retraite, Bourhim Ezaou, 25 ans de mine, silicosé. Au téléphone, Lionel Toutain de l'association Nationale de gestion des droits des mineurs, affirme que Charbonnages de France les avait licenciés puis repris en rachetant ce droit au logement. Raymond Frackowiak de la CGT mineurs conteste cette décision prise plusieurs années après.
Éclairage
Ce reportage entremêle plusieurs questions liées aux dernières décennies de l'exploitation charbonnière et à la gestion problématique de l'héritage de cette dernière. La première est celle des mineurs marocains. Embauchés surtout à partir des années 1960 pour "fermer les mines", pour satisfaire aux à-coups de la production en attendant l'arrêt des puits, ils sont placés sous le régime de contrats temporaires et en général dans une situation nettement discriminatoire par rapport à leurs collègues français. Il leur faut deux longues grèves, en 1980 et 1987, pour obtenir de bénéficier des droits et avantages inclus dans le Statut du mineur (1946). Parmi ces droits, se trouve celui du logement (et du chauffage) gratuit, en général au sein du parc immobilier longtemps détenu par les Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais (HBNPC). Reste que la dissolution de ces dernières en 1992 rend les choses plus complexes : à qui appartient l'ancien parc minier et sous quelle forme le gérer ? Quelle structure susciter en général pour garantir les droits (du logement à la retraite) des anciens mineurs et de leurs ayant-droits quand l'exploitant a disparu ? La réponse est donnée en 2004 avec la création de l'ANGDM (Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs).
Reste que cette structure ne résout pas tout, comme on s'en aperçoit ici. Ce sont clairement deux logiques qui s'opposent. D'un côté, il y a celle de l'ANGDM, rationnelle et comptable, soucieuse de gérer les droits des mineurs en fonction des règles qu'avait fixé l'exploitant. Pour bénéficier du logement gratuit, il fallait avoir travaillé continûment au sein des Houillères. Les mineurs qui avaient fait l'objet de mesures de reconversion dans d'autres entreprises avaient cependant obtenu que les HBNPC leur rachètent, sous forme d'un capital, leur droit au logement gratuit mais cette mesure ne profitait qu'aux Français et aux ressortissants de l'Union européenne, non aux Marocains. Ces dispositifs expliquent que l'ANGDM, préoccupée de clarifier la gestion des droits miniers, réclament à partir de 2005 le paiement des loyers. Mais on comprend, de l'autre côté, à quel point cette réclamation subite peut paraître inacceptable aux anciens mineurs marocains interrogés ici. Victimes de la récession charbonnière, discriminés durant leur vie active, ils ont le sentiment que cette discrimination renaît au moment où ils s'y attendent le moins.
Une partie d'entre eux va donc se mobiliser. Elle le fait moins à travers la CGT des mineurs que par le biais de l'Association des mineurs marocains du Nord (AMMN). Celle-ci bataille pour que les Marocains aient le droit, comme les Français, à un capital rachetant le droit au logement gratuit ou au moins pour que ce droit leur soit intégralement maintenu. Le combat judiciaire dure près de six ans. En 2011, la cour d'appel de Douai confirme la condamnation de l'ANGDM pour discrimination ainsi que l'octroi à ces mineurs retraités de 40000 euros au titre des dommages et intérêts et pour compenser l'absence du rachat par l'entreprise de leur droit au logement. Ce jugement est perçu comme un symbole par l'AMMN, qui y voit la reconnaissance d'une dignité longtemps déniée à ces mineurs marocains. Il démontre par ailleurs que l'arrêt de l'exploitation charbonnière ne met pas forcément fin dans l'immédiat aux questions sociales liées à cette exploitation.