La Bretagne sans télé

09 mars 1974
04m 26s
Réf. 00447

Notice

Résumé :

Dans la nuit du 13 février, l'émetteur de Roc Trédudon, dans le Finistère, a été plastiqué par les indépendantistes du FLB. Une partie de la Bretagne, notamment Guigamp, est depuis privée de télévision. Sans télé, les Bretons apprennent à vivre différemment.

Date de diffusion :
09 mars 1974
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
Personnalité(s) :

Éclairage

Si en février 1974 une partie de la Bretagne ne reçoit plus la télévision pendant plusieurs semaines, c'est parce que l'émetteur de télévision de Roc Tredudon a été détruit durant la nuit du 13 au 14 février. Cet émetteur de 220 mètres, situé sur la commune finistérienne de Plounéour-Ménez, dessert la majorité du Finistère et une grande partie des Côtes-d'Armor pour la télévision hertzienne. Cet attentat est revendiqué le lendemain par le FLB, Front de Libération de la Bretagne, alors que l'on a retrouvé sur le site de l'explosion des inscriptions "FLB-ARB" et "Evit ar Brezhoneg" (pour la langue Bretonne). L'attentat a semble t-il été perpétré pour plusieurs raisons, parmi lesquelles la censure qui a frappé un journaliste de télévision breton. En effet, pendant les informations en langue bretonne, qui sont à l'époque diffusées à raison d'une minute et trente secondes deux fois par semaine, le journaliste Charles Le Gall est censuré pour avoir parlé à l'antenne de la création de comités de soutien aux prisonniers bretons au début du mois de février. Cependant, au-delà de cet incident, cette action était menée contre l'institution que représente à l'époque la télévision, encore largement aux mains du pouvoir contre lequel lutte le FLB, ainsi que pour protester contre le faible temps d'antenne accordée à la langue bretonne par l'ORTF. L'originalité de l'acte et le désagrément causé pour près d'un million de bretons a attiré l'attention sur le FLB, puisque l'attentat a fait l'objet d'une importante couverture médiatique aussi bien nationale qu'internationale.

Créé en 1966, le Front de Libération de la Bretagne s'est principalement fait remarquer entre la fin des années 1960 et le début des années 1980 par de nombreux attentats perpétrés à l'encontre de symboles de l'État Français. Des attentats à l'explosif visant des bâtiments, mais qui ne doivent en théorie blesser ou tuer personne, afin d'attirer l'attention sur les problèmes bretons. Cependant l'explosion de l'émetteur de Roc Tredudon fit une victime collatérale, Pierre Péron le vice directeur du centre qui a succombé d'une crise cardiaque au moment de l'attentat. Si l'affaire a fait couler beaucoup d'encre à l'époque, personne n'a été arrêté suite à l'amnistie présidentielle accordée par Valéry Giscard d'Estaing en juillet 1974. Une absence de coupable qui est aussi à l'origine de nombreuses rumeurs dans les années 1970 et 1980, certains accusant la police ou encore l'Armée Française, alors en manœuvre dans la région, d'avoir voulu discréditer le FLB dans la région.

Mais au-delà du simple fait divers que constitue l'explosion de cet émetteur, cet évènement est révélateur d'une évolution profonde de la société française et notamment dans ce cas précis de la société bretonne. La télévision ne s'est démocratisée que depuis peu de temps, mais les réactions recueillies témoignent déjà de l'importance de la télévision dans les foyers bretons. Des réactions que l'on peut juger parfois disproportionnées de la part de ces personnes qui se retrouvent privées de la télévision et qui montrent bien qu'en 1974 les français et les bretons sont bien entrés dans la modernité. Il est frappant de se rendre compte que, même si les témoignages recueillis ici ne peuvent être généralisés à l'ensemble des bretons, la télévision semble s'être imposée devant les divertissements et lieux de sociabilité habituels tels que la lecture, le cinéma ou bien encore les bistrots. Ainsi, si l'attentat a été le révélateur d'un certain malaise en ce qui concerne la représentation de la Bretagne et de langue bretonne à la télévision, ce documentaire nous montre qu'en très peu de temps cette dernière s'est imposée non pas comme comme un simple média mais comme le principal moyen de détente et de divertissement des bretons.

Soline Billon

Transcription

Youenn Gwernig
C'est des gens qui ont réagi exactement comme des, des, des gosses, des bébés à qui on a enlevé leur sucre d'orge, je crois, je ne sais pas moi. Ils trépignaient, ils hurlaient, en disant des choses disproportionnées et d'ailleurs je trouve quoi enfin à l'acte lui-même qui après tout, n'était pas, bien sûr je ne le cautionne pas, loin de là, je ne suis pas d'accord pour les trucs comme ça. Et alors ce qu'il y avait de curieux, c'est qu'avant l'explosion du pylône eh bien c'était général quoi, l'attitude, "ouais la télé, y'a jamais rien de bien, c'est des conneries enfin, la télé, il y en a marre". Bon, le truc explose. "Bah, salauds ! il faut les fusiller !", je ne sais pas moi, il faut être logique quoi.
Journaliste
La semaine dernière à Guingamp, la télévision livrait ses images à domicile. Dans un cinéma de la ville, inter-actualités et 2 épisodes de la demoiselle d'Avignon. Mais, dans la salle pour une fois, ce sont les journalistes que l'on questionne.
(Silence)
Habitante
Pourrais-je savoir quand est ce que l'émetteur qui est promis pour Tréguier va être mis en place, l'ORTF l'a promis pour le mois de mai mais on espère toujours là bas !
Journaliste
Dans la nuit du 13 au 14 février, l'émetteur de Roc Tredudon qui dessert les 3/4 de la Bretagne est plastiqué. 180 mètres de ferraille gisent sur la lande, un attentat revendiqué par les autonomistes bretons. Du jour au lendemain, 1 million de personnes privées de télévision. D'abord, c'est la colère. Un mois après, l'émotion a disparu mais les gens ont pris conscience d'être privé de quelque chose qui fait désormais partie de leur vie quotidienne. Sans télévision, vous qu'est ce que vous faites ?
Habitant
Ah je joue à la belotte, je joue aux dominos, ou je...
Journaliste
Vous allez au café ?
Habitant
Ah non absolument pas. Ah le soir une fois rentré, non, je suis ici au café mais je rentre à la maison là maintenant, mais après ben c'est terminé, je ne ressors plus.
Journaliste
Incontestablement, ce sont les gens qui se déplacent peu, les malades, les handicapés et surtout les personnes âgées dont c'était la seule distraction qui sont les plus pénalisés. Et alors qu'est ce que vous faites sans télévision ?
Habitante 2
Ben, On va au lit le soir, voilà, lire, lire voilà.
(Silence)
Journaliste
Dans le désarroi des premiers jours sans télévision, on retrouve le goût et le temps de lire, on se précipite chez les libraires, on va au cinéma.
Libraire
On a fait une vente beaucoup plus importante de livres, au moins pendant la première quinzaine où toute la ville a été et, les alentours, ils n'ont pas eu de télé du tout. Maintenant évidemment, certains quartiers bénéficient de la télé, soit première ou seconde chaîne, alors évidemment... Mais on a eu une grosse vente pendant un moment.
Libraire 2
Enfin la première semaine, ça nous a apporté pas mal de clients et cette semaine, ça a été quand même plus calme.
Journaliste
Aujourd'hui, l'enthousiasme des veillées retrouvées, du bouquin sous la lampe est retombé, on a fait le tour sans conviction des bistrots et des cinémas. L'infrastructure des loisirs est mince en Bretagne surtout l'hiver, alors la nuit tombée, on tourne en rond en regardant l'écran vide, on attend. Alors depuis que vous n'avez plus de télévision, qu'est ce que vous faites ?
Habitant 2
Ben, je m'ennuie. Je ne sais pas où aller, je n'aime pas tellement le match non plus donc je ne sais pas où aller le dimanche. Je ne suis pas le seul je crois.
Restauratrice
Personnellement, ça me gêne, pas moi, mais mes clients, voilà. Les clients quand ils ont mangé le soir, il est 8 heures, 8 heures et demie, 9 heures le soir, bon ben le client, il tourne, il rode, il ne sait pas quoi faire. On n'a plus l'habitude de se coucher comme les poules, de se coucher à 9 heures du soir. On se couche à 10 heures, 10 heures et demie. On était, on était pris par la télé. C'était devenu une occupation comme un travail journalier. Alors pour moi, ben je trouve ça abominable.
Journaliste
Vous n'avez pas trouvé une activité de remplacement ?
Restauratrice
Ben si, le cinéma quand il y en a. Un jeu de cartes quand... mais on ne sait plus jouer aux cartes. On ne sait plus que regarder la télé maintenant. On ne fait plus que regarder la télé.
Journaliste
Et s'il n'y avait plus du tout de la télévision, qu'est ce que vous feriez ?
Restauratrice
Eh ben, il faudra s'adapter à un autre train de vie.
(Musique)
Journaliste
S'adapter, c'est le mot clé. Si on savait que la télévision ne reviendra plus, jamais plus, on trouverait sans doute autre chose. Mais, se raconter des belles histoires, s'inventer des jeux, c'est le privilège des enfants et des poètes.
(Musique)